(Anton Corbijn / Grande-Bretagne / 2007 & Michael Winterbottom / Grande-Bretagne / 2002)
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En 1991, à l'occasion de la sortie du film d'Oliver Stone, The Doors, plutôt agréable, j'avais été surpris par des propos très acides d'Agnès Varda qui regrettait notamment que Jim Morrison ait été réduit à l'écran à l'état de "pauvre pantin". Il m'aura fallu une quinzaine d'années pour comprendre l'énervement de la réalisatrice, le temps que le cinéma rattrape mes amours de jeunesse.
Control est un bon film, peut être excellent même (il a frôlé la Caméra d'or cette année à Cannes), mais il m'est bien difficile de le juger. Il est bien difficile de dépasser le petit jeu des ressemblances physiques. Il est bien difficile d'oublier toute la part de représentation de scènes connues ou déjà imaginées. L'iconographie autour de la figure de Ian Curtis, d'autant plus forte qu'elle est rare, la beauté de cette musique qui nous fait revenir tous les 3 mois à Unknown pleasures et Closer, depuis la fin des années 80 (j'avais 9 ans en 1980, je suis donc forcément arrivé à Joy Division en passant par New Order), tout cela faisait de la tentative de Anton Corbijn un sacré défi.
Le cinéaste-photographe a choisi de retracer scrupuleusement le parcours de Curtis (à partir du livre de sa veuve) sur ses deux-trois dernières années. Cette volonté de tenir un récit très proche des faits, au contraire de l'évocation vague de Gus Van Sant pour le "Kurt Cobain" de Last days, fait peser la menace continue d'une déception due à la confrontation entre la mémoire et l'imaginaire du spectateur et la représentation cinématographique des événements. Cependant, force est de constater que pratiquement tous les choix de Corbijn sont justes, et en premier lieu celui de l'interprète principal : Sam Riley. Le noir et blanc du film retranscrit parfaitement l'ambiance (on songe parfois à Regard et sourires - Looks and smiles de Ken Loach, d'ailleurs réalisé en 1980) et s'accorde avec les souvenirs que peuvent avoir les admirateurs de Joy Division, groupe dont l'image a si peu été en couleurs. Obsédé par l'idée de paraître juste et honnête, Corbijn écarte toute tentation du biopic. Ici, pas d'événement traumatique ou fondateur qui expliquerait l'art du parolier-chanteur, juste la fascination très jeune pour le David Bowie du début des 70's. Ce n'est pas une fresque exemplaire et édifiante. Si lutte il y a, elle ne concerne pas celle d'un homme pour imposer sa vision artistique mais bien celle qu'il mène avec une réalité trop oppressante, pris entre sa femme, sa maîtresse, sa petite fille, son groupe. Et l'art ne sauve pas à tous les coups. Les fêlures peuvent donner naissance à de grandes chansons sans apaiser en retour. Anton Corbijn insiste bien là-dessus, en laissant de plus en plus de place aux moments de la vie quotidienne, au détriment des scènes musicales. C'est pourtant dans celles-ci qu'il excelle, offrant de remarquables séquences live par la proximité de la caméra et un montage adéquat, sans effets racoleurs ou superfétatoires (malgré la tendance à raccourcir les morceaux). Les scènes de crises conjugales sont moins réussies, moins inventives en tout cas. Peut être aurait-il dû lâcher la bride un peu plus, moins s'appuyer sur ce réalisme et faire confiance à son talent pour la composition d'images (témoins les plans où Curtis marche dans la rue, ou ceux ou il est cadré sur son canapé sans bouger).
Pour pointer les réels défauts ou qualités du film, il faudrait, je crois, aller voir les avis de ceux qui ne connaissait rien de toute cette histoire. Enfin, pour conclure cette note bien trop vague, j'insisterai sur le plaisir sans cesse renouvelé d'entendre une telle musique à l'écran. Le plaisir aussi d'une ballade dans ce pays où le moindre looser a le rock dans les veines, où les plus sombres crétins deviennent les Happy Mondays, chose qui nous étonnera toujours à nous, concitoyens de Bruel et de Benabar.
Le hasard m'avait fait découvrir quelques semaines auparavant 24 hour party people de Winterbottom, oeuvre qui reprend une bonne partie des événements liés au destin de Joy Division, puisqu'elle s'attache à suivre l'aventure de Factory Records et de son créateur Tony Wilson. Englobant une période plus vaste et beaucoup plus de personnages, Winterbottom fait lui le choix du pseudo-reportage distancié. Il reprendra ce même dispositif et le même guide (l'attachant Steve Coogan) dans son Tournage dans un jardin anglais(pour une tentative qui sera, elle par contre, complètement ratée). Des vignettes font ainsi se succéder tous les protagonistes de l'époque. Leur brièveté laisse souvent la désagréable impression de voir de jeunes gens singer les attitudes de musiciens connus. Avec étonnement, je me suis rendu compte plus tard que Sam Riley était déjà de la partie mais cette fois en Mark E. Smith de The Fall. L'aspect pénible du docu-fiction est heureusement atténué par le dynamisme et l'humour de la mise en scène.
24 hour... et surtout Control, films que j'attendais et que je me devais de voir, me laissent ainsi l'impression mélangée d'une réussite maximale dans les contraintes que chacun s'est fixé et d'une tentative d'incarnation directe à jamais impossible. Autrement dit, c'est loin de ce que j'avais rêvé, mais ça ne pourrait pas être mieux fait.
Commentaires
Moi, je connaissais très peu l'histoire de Joy Division, tout en ayant certains morceaux en référence. Je savais que curtis s'etait suicidé, mais pas beaucoup plus -Ce n'est pas un groupe qui m'a intéressé outre mesure. bref, tout ça pour dire que j'ai trouvé parfaitement mon compte dans ce 'Control' et dans son austérité revendiquée, même s'il ne résout pas les problèmes inhérents au sujet : raconter une trajectoire (d'où la part de musique, très importante mais totalement demythifiée) ou tenter de l'expliquer (ou du moins d'y apporter des modèles d'explication). Du coup, on donne peut être un peu trop dans le 'control' et ça tourne parfois à vide.
Pour éviter de se lancer dans des explications nébuleuses : on reste un peu sur sa faim, mais le 'sujet' du film n'est pas de ceux qui rassasient.