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Lame de fond & La toile d'araignée

(Vincente Minnelli / Etats-Unis / 1946 & 1955)

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c9d8b5bbbb1d5f75f7a492c0a1a57f8e.jpgLame de fond (Undercurrent) est l'un des premiers films de Vincente Minnelli. Coincée entre Yolanda et le voleur et Le pirate, deux formidables comédies musicales, l'oeuvre est assez curieuse. Katharine Hepburn y incarne Ann Hamilton, jeune mariée qui ne tarde pas à s'inquiéter de l'état mental de son si charmant mari (Robert Taylor), et qui rencontre le frère plus ou moins caché de celui-ci (joué par Robert Mitchum). Toute la première partie est une chronique mondaine moyenne, où Hepburn apparaît quelque peu en porte-à-faux. Elle partage pourtant une scène fascinante et trouble avec Jane Meadows, qui, dans les toilettes des femmes, lui jette des allusions déconcertantes sur son mari. Mais ce n'est pas un film noir qui démarre alors, plutôt un drame psychologique et conjugal, dans la lignée de Rebecca ou Gaslight. Malheureusement, Minnelli, ici, ne se hisse pas au niveau de ces modèles du genre. L'aspect psychanalytique rend le film bavard et trop explicatif, malgré le soutien d'une mise en scène efficace (parfois trop efficace : on s'aperçoit vite de l'omniprésence dans le cadre des portes et des escaliers ou de ces feuillages soulevés par le vent). Mitchum est mal employé dans ce rôle de frère sensible et secret. Il est aussi au centre d'une scène très faible où il explique lourdement pourquoi et comment il a disparu tout ce temps. De l'autre côté, Robert Taylor ne soulève guère l'enthousiasme et meurt de façon ridicule sous les sabots du cheval de son frère. Déjà maître de son style dans les musicals, Minnelli n'était peut être pas encore prêt pour un grand film dramatique (sous réserve de voir un jour L'horloge, qu'il réalisa en 45). Plus tard, la réussite de Madame Bovary (1949) lui ouvrira cette deuxième voie qui mènera entre autres aux Ensorcelés.

Dix ans plus tard, La toile d'araignée (The cobweb) est d'une toute autre tenue. Minnelli peut étaler en couleurs et en CinémaScope ses éclats mélodramatiques comme Sirk à la même époque. L'histoire gravite autour d'un hôpital psychiatrique "ouvert", là où le docteur McIver tente quotidiennement de changer les rapports entre soignants et malades responsabilisés. La mise en route du récit se fait à rebours de la convention qui veut que l'introduction d'un film présente clairement les personnages tour à tour. Pendant plusieurs minutes, il est bien difficile de différencier patients et personnel de l'hôpital dans le mouvement organisé par Minnelli. De même, Lauren Bacall passe deux ou trois scènes à s'affairer à l'arrière plan avant de se détacher et d'entrer dans le jeu. Nous avons donc bien là une ronde, un grand film choral, genre tellement à la mode ces temps-ci. Une petite affaire de choix de rideaux pour décorer la salle de réunion est le prétexte, parcourant tout le film, pour révéler les tensions au sein de la direction de l'établissement, chez quelques malades et dans le couple du Dr McIver. La narration se développe comme la toile d'araignée du titre, Minnelli alternant des scènes agitées dans l'hôpital et une série de duos dans les appartements ou les bureaux. Ces duos sont orchestrés de manière admirable, souvent en plans séquences d'une grande fluidité. La monotonie que le procédé pourrait engendrer est balayée par les variations apportées d'une séquence à l'autre : ici le décor peut supporter toute la scène (les allées et venues de Widmark, au début, dans les pièces de sa maison), là un long plan est coupé au milieu pour y insérer un événement se déroulant plus loin (la mise en parallèle des deux débuts de liaison, celle entre les deux jeunes patients et celle entre Widmark et Bacall). Parfois, le cinéaste s'appuie aussi sur un découpage plus classique mais terriblement efficace (la conversation téléphonique tendue entre Lilian Gish et Gloria Grahame).

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Cet art de la scénographie et du rythme que déploie Minnelli, il est rendu parfaitement aussi grâce à un casting cinq étoiles. Le jeu de Richard Widmark, tout en soudaines accélérations des gestes, fait des merveilles. Gloria Grahame, renversante, compose une femme de médecin déjantée aux bords de la nymphomanie. Charles Boyer est un directeur balançant entre classe aristocratique et faiblesses pitoyables pour les chambres d'hôtel et les petites secrétaires. Lauren Bacall porte le deuil le plus terrible avec un magnifique retenue. Enfin, Lilian Gish fait exister le personnage le plus typé rien qu'en prenant l'habitude de raccrocher au nez de ses interlocuteurs. L'excellence s'étend jusqu'au seconds rôles, dont celui de John Kerr en jeune peintre incompris. Son histoire d'amour naissante avec une autre malade est traitée avec la subtilité habituelle de Minnelli. Une scène magnifique et muette montre ce couple enlacé, sortant doucement d'une séance de cinéma : la jeune femme est en train de guérir de son agoraphobie. Les dialogues sont d'une grande intelligence et, se concentrant sur les rapports entre les gens, évitent la vulgarisation de la pratique psychanalytique (à l'exception du discours bref de Richard Widmark devant le conseil d'administration qui paraît alors superflu). Cette qualité dans les dialogues, l'histoire d'amour entre Widmark et Bacall, en bénéficie et s'y fait jour alors une merveilleuse émotion contenue. L'évolution de leurs sentiments, le cinéaste la relate subtilement, faisant bien sentir la grande complexité qu'entraîne, dans les rapports humains, un simple adultère.

Portraits de névrosés, de nymphomanes, d'alcooliques : ces figures mènent certes plus tard à Dallas. Mais elles sont, dans les grands Sirk ou les grands Minnelli, les véhicules d'une réflexion profonde sur l'état de la société américaine des années 50. Pourtant moins citée que d'autres oeuvres de son auteur, La toile d'araignée, avec sa mise en scène d'une beauté sans pareil, prend bien sa place, tout près des classiques du genre.

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Photos Cobweb (en noir et blanc): briansdriveintheater.com & doctormacro.com

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