(Andrei Zviaguintsev / Russie / 2007)
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Je tiens Le retour pour l'un des plus grands films de ces dernières années et par conséquent pour le plus impressionnant début de carrière de cinéaste depuis l'an 2000. Quatre ans après, Andrei Zviaguintsev revient avec Le bannissement (Izgnanie) mais peine à retrouver l'état de grâce initial. Si la déception est au bout de ces 2h30, précisons immédiatement qu'elle naît surtout d'une trop grande ambition, celle d'offrir un récit empruntant les bases de la tragédie antique et, partant de là, rejoindre Bergman ou Tarkovski sur les cimes. Pour tenir ce pari impossible, posséder un extraordinaire sens plastique ne suffit pas toujours. Il faut que l'incarnation soit au rendez-vous et que quelque chose vibre dans toutes les compositions. Zviaguintsev avait réussi cela dans Le retour, en développant dans le cadre d'un récit déjà quasi-mythique un drame familial intense, physique et inquiétant.
Dans Le bannissement, le poids de la tragédie fige bien souvent les personnages et les acteurs (qui ne sont pas mauvais mais le prix d'interprétation obtenu à Cannes par Konstantin Lavronenko est un peu téléphoné et Maria Bonnevie n'est pas inoubliable). Les dialogues sont rares mais à chaque fois très lourds de sens. Cette histoire de couple en crise qui décide de se retirer à la campagne et se trouve un peu plus bouleversé par l'aveu d'une grossesse adultère, Zviaguintsev choisit de ne pas la situer précisément dans le temps ni dans l'espace. Signes passéistes et modernes se côtoient dans ce monde peut-être en guerre ou proche d'une catastrophe redoutée, un monde en suspens, où tous semblent attendre que quelque chose arrive, où une maladie peut foudroyer en quelques heures, où une tromperie débouche directement sur l'avortement et la mort.
C'est surtout lorsque le silence règne, ou mieux encore, lorsque monte cette musique religieuse, que le cinéma de Zviaguintsev se libère vraiment de la pesanteur. Annonciateurs des retours réguliers dans le récit du frère mafieux (finalement le personnage le plus intéressant), ces chants, pourtant eux aussi si chargés de sens, enveloppent des séquences magistrales. Dans ces moments-là, disons que l'auteur quitte le théâtre pour se diriger vers ce qu'il aurait dû privilégier entièrement : une dimension proprement fantastique. Registre dans lequel il serait certainement très à l'aise, lui qui peut nous gratifier parfois de magnifiques effets de "sauts temporels" dans un unique plan. Peut-être aurait-il dû aussi pousser plus loin encore vers la spiritualité, assumer franchement son goût pour la religiosité, afin de se détacher du dilemme moral pour nous mener ailleurs. Deux plans séquences, d'une beauté sidérante, osent s'affranchir ainsi du scénario : celui qui suit la formation d'un ruisseau et celui filmé de l'intérieur de la maison dont on ferme portes et volets après le drame. A propos du scénario justement et pour ajouter du poids du bon côté de la balance, saluons l'audace du dernier segment du film, long flash-back déviant brutalement la ligne narrative suivie jusqu'alors et faisant bien plus qu'éclairer les événements d'un nouveau jour.
Mes Frères, pardonnons donc les pêchés d'orgueil d'Andrei et prions pour un grand troisième film...