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Choses secrètes

(Jean-Claude Brisseau / France / 2002)

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chosessecretes.jpgJe précise d'emblée que vous ne trouverez ici nulle remarque sur "l'affaire Brisseau" qui occupa bien du monde en 2005. Je n'en connais précisément ni les détails ni les conséquences actuelles. Des deux positions les plus affirmées par les commentateurs de l'époque aucune ne me convient : ni le lynchage d'une personnalité hors-norme, ni l'excuse de tout écart au nom d'une grande oeuvre. Je ne tiens pas à ajouter d'autres sottises.

Passée une introduction aussi franche que possible (un show érotique), il n'est pas aisé de s'installer de suite dans Choses secrètes. Image aplatie, (faussement) neutre, diction des comédiens soignée, rigueur et simplicité des cadrages : Brisseau suit une ligne claire, à peine perturbée dans ces premières minutes par une apparition et le caractère sacré de la musique. Sandrine, serveuse dans une boite à strip-tease est fascinée par Nathalie, qui lui propose bientôt de s'installer chez elle et d'abandonner leur job respectif. Nathalie, la sublime et mystérieuse brune, pousse la plus sage et classique Sandrine à oser. Oser aller au bout de ses fantasmes, sans s'attacher aux hommes rencontrés, en ne pensant qu'à son plaisir.

Choses secrètescommence donc ainsi, par une exploration du désir féminin, et se poursuit selon le programme établi par les deux filles : gravir l'échelle sociale en se servant de leur corps, en séduisant tour à tour des hommes de pouvoir. La neutralité de la mise en scène est donc voulue, exclusivement au service de l'histoire que l'on nous présente. Comme les personnages, elle évoluera. Le début de l'ascension sociale nous le suivons avec un double plaisir : celui du récit au premier degré et celui de la confrontation avec la "feuille de route" établie auparavant. Lors de ces séquences de bureau (ceux d'une entreprise filmée comme une bulle : on n'en sort guère avant le dernier acte et Natalie disparaît quasiment de l'intrigue, laissant Sandrine nous conduire), Brisseau commence à libérer sa caméra. Il excelle à filmer les conversations entre collègues, entre supérieurs et subordonnés.

Par petites doses, le fantastique est distillé et la dernière partie peut alors y verser allègrement, sans mettre en péril l'équilibre de l'ensemble. Un restaurant désert, un pacte avec le diable, un château, une orgie : il faut une belle naïveté ou une foi inébranlable dans les pouvoirs du cinéma pour oser ainsi aller à contre-courant. Mais Brisseau peut se permettre ces éclats car de la simplicité du début aux audaces de la fin, c'est tout un art de la mise en scène et de la construction narrative qui se déploie sous nos yeux. Il faut voir cette façon évolutive de filmer les bureaux et les couloirs, cette façon d'amener le personnage machiavélique du fils du vieux patron qui prendra bientôt le pouvoir (le présenter n'importe comment dans des petites saynètes étranges l'aurait fait paraître au mieux saugrenu, au pire ridicule, alors qu'ici son importance grandit dans tous les sens du terme au fil du récit).

Histoire d'une initiation, satire sociale et conte fantastique : ces trois registres se superposent et sont bien sûr encore surplombés par celui de l'érotisme. Car Choses secrètesest, caractéristique rare, un film érotique. Et rare également est la voie choisie par Brisseau. Cette plongée dans la sexualité féminine, à rebours de la quasi totalité des cinéastes travaillant le sujet, il l'aborde sans vraiment poser la question, habituelle depuis quelques années, de la limite de la représentation du sexe. Nulle scène choc vers laquelle convergerait tout le film, nul débat autour de la pornographie, aucun questionnement autour de la position du curseur. La réflexion de Brisseau n'est pas là. Intégrée à un jeu sur les clichés, sur les rapports hommes-femmes, sur les fantasmes et sur les genres cinématographiques, elle est plus profonde. C'est l'un des nombreux mérites de ce beau film.

Commentaires

  • Je partage ton enthousiasme sur ce film : je n'y reviens pas. Mais si tu ne les connais pas, je te conseille de te plonger dans les films précédents de Brisseau qui viennent d'être réédités en coffret DVD. Je ne les avais pas revus depuis longtemps et ils tiennent très bien le coup : "Céline" est un mélo absolument époustouflant (où l'on retrouve cette croyance inébranlable dans le cinéma dont tu parles si bien), "l'ange noir" est un faux polar incroyablement beau et le mal-aimé "les savates du bon dieu" est un incroyable mélange des genres qui sera, à coup sûr, réévalué à sa juste mesure...

  • En fait, doc, moi aussi cela faisait longtemps que je n'avais pas vu de film de Brisseau. J'avais beaucoup aimé "De bruit et de fureur" et l'étonnant "Céline" dont tu parles. Moins "L'ange noir" et pas du tout "Noce blanche". Pas vu son premier, ni "Les savates", ni le dernier.

  • un tres beau film, je n'ai vu que deux films de Brisseau mais c'est un cinéaste qui m'est cher car c'est l'un des derniers chez nous a oser le lyrisme.
    il n'y a que le plan sur l'aigle vers la fin qui m'a paru en trop. En dehors de ça, la progression vers le fantastique est remarquable (vous l'avez d'ailleurs remarque).

  • Oui, ce passage de la fin est un peu limite, mais le fait que ensuite l'image revienne brutalement, par un montage très sec, sur la "réalité" de Nathalie, avec son flingue à la main, rend la chose acceptable.

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