(Michael Mann / Etats-Unis / 2004)
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Collateralest énervant et ce d'autant plus que le film de genre s'y drape d'esthétisme forcené. Michael Mann a eu ce qu'il a voulu : il passe maintenant pour un grand styliste...
Nous n'avons pas tant là une oeuvre formaliste qu'un objet chichiteux, dans lequel le cinéaste ne se résout jamais à laisser passer un seul plan, même le plus bref, qui n'en mette plein la vue par le choix du cadrage, de la lumière ou de la composition interne. Ces effets à répétition donnent une esthétique chic et lisse qui sombre vite dans la vacuité clipesque. La bande son subit le même traitement hyper-chiadé (c'est la première fois que je me trouve devant une séquence de discothèque où l'on entend à peine la musique, et cela sans aucune raison). La bande originale, elle, se résume à une soupe rock-FM imbuvable.
Tout ceci n'est encore rien à côté du scénario, dont nous devrions accepter la nullité sous prétexte de mise en scène "souveraine" et de récit à rebondissements. L'invraisemblable est partout : aucune péripétie n'y échappe. La moindre séquence de Collateral pourrait être contestée sur ce point, la plus ahurissante étant celle qui voit le brave chauffeur de taxi se substituer au tueur lors du rendez-vous avec les commanditaires.
La relation qui se tisse entre les deux personnages principaux, que jouent mal Tom Cruise et Jamie Foxx, repose elle aussi sur du vide. La peur et la fascination mêlée, la tentation d'une autre vie, le flirt avec la limite : aucune piste n'aboutit, plombées qu'elles sont de toute façon par des touches d'humour pathétiques (la visite rendue à la mère hospitalisée) et par une philosophie de bazar. Car bien entendu, le tueur est la personnification du Mal et de ce fait, philosophe beaucoup. Une incarnation similaire mais ô combien plus inquiétante sera proposée par Javier Bardem, plus tard, chez les frères Coen (No country for old man). L'acteur espagnol tient un rôle secondaire ici, placé au centre d'une scène symptomatique de l'échec total du film. Dans la peau de celui qui tire les ficelles, il use de périphrases, prenant un détour idiot le menant vers une fable mexicaine sur Santa Claus au lieu d'avoir une discussion simple et claire. Mais Michael Mann n'est pas à un tic auteuriste près.
Non content de nous faire subir d'incessants retournements de situations (le dernier, qui nous révèle l'identité de la dernière victime sur la liste, est affligeant), il se montre parfois d'une grande complaisance, comme dans cette scène où Tom Cruise dégomme deux petites frappes qui en voulaient à sa mallette. Tarantino a été lynché pour trois fois moins que ça. Que l'on ne s'inquiète pas, le héros noir, que toutes les polices prennent pour le tueur, ne sera pas abattu par erreur par les flics. Nous ne sommes pas chez Romero. Nous sommes plutôt à l'opposé du spectre : dans le douteux, le clinquant, la frime...
Commentaires
Ah oui, c'est plutôt très mauvais et bien chichiteux même si j'ai aussi le souvenir d'une certaine atmosphère pas désagréable. Mais je suis content de constater que je ne suis pas le seul à être étonné par l'engouement que suscite Michael Mann aujourd'hui alors qu'il me semble être un Beineix d'aujourd'hui...
Avec une note pareille, tu vas te faire des amis aux Inrocks et aux Cahiers, dis donc...
Je n'ai pas une passion pour ce film, mais j'aime quand même assez la façon dont il filme Los Angeles comme une ville "archipel" en passant d'un îlot à l'autre. Et j'aime assez les plans du métro au petit matin, à la toute fin. Mais c'est vrai qu'il ne reste au fond dans mon souvenir qu'une suite de plans, des vignettes marquantes mais un peu creuses. Dans le genre, "to live and die in LA" de Friedkin reste quand même le vrai polar sur LA.
Sinon, pas eu l'occasion de te féliciter pour ta note sur P-Park mais c'était une brillante exégèse. J'y reviendrai peut-être en détail si j'ai le temps, plus avant.
Doc : Merci du soutien. Quel supplice ce film prétentieux et assommant... Je soupirais à chaque rebondissement. Si je n'avais pas eu ma voisine de canapé à côté de moi (qui est également ma femme), je crois que j'aurai arrêté le dvd.
"Le sixième sens" m'avait ennuyé, "Heat" était pas mal, mais faisait un peu pétard mouillé. Sans compter "Ali" et "Miami vice" (pas vus), "Révélations" est d'après moi son seul grand film.
Joachim : J'ai hésité à citer précisemment dans ma note les Inrocahiers, puis je me suis dis "A quoi bon...". D'autant plus que sur le coup, ils ne sont pas les seuls : Positif y était allé de son entretien avec M.Mann et je suis tombé hier sur un article écrit en état de lévitation ("l'un des trois ou quatre grands films de l'année...") sur le site de Chronicart.
Je veux bien lui accorder un intérêt géographique ou architectural, mais cela est filmé de manière si lisse... Dans ma tête, le Friedkin est trop lointain pour comparer.
Merci pour les félicitations. Je serai ravi de poursuivre la discussion autour du Van Sant.
Je vous trouve un peu durs avec Mann, même si je suis assez proche de vos points de vue. J'ai u bon souvenir de "Manhunter" mais c'était il y a bien longtemps. "Heat" m'avait beaucoup déplu, mais j'avais apprécié le numéro de Pacino. Par contre, la rencontre avec De Niro, j'en pouffe encore. Sur celui-ci, j'vais plutôt bien marché à la relation entre les deux hommes, même si elle est cousue de fil blanc, je ne m'étais pas ennuyé, non, mais je n'ai pas aimé la photographie (déjà vu, déjà vu) et j'ai mal compris les critiques élogieuses qui ont été faite à ce film. Je préfère largement les gangsters de Tarantino...
Bonjour edisdead, tu n'y vas pas de main morte. J'avais bien aimé ce film dans lequel où Tom Cruise joue un "méchant" convaincant. Il est très à l'aise dans ce genre de rôle. Et puis Los Angeles est bien filmée et ce n'est pas si facile. M. Mann a respecté les 3 unités: de temps (une nuit), d'action et de lieu.Je n'ai pas revu le film depuis sa sortie donc je n'ai pas de nouvel avis à donner. Bonne journée.