(Frank Borzage / Etats-Unis / 1946)
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Un mélodrame de Borzage assez mauvais, qui fait illusion pendant une quarantaine de minutes avant de sombrer vers les limites du supportable. Bien sûr, nous ne croyons pas une seule seconde à cette histoire, celle de Myra, jeune femme élevée à la campagne par son père, autrefois pianiste célèbre en Europe, et qui devient la protégée du Maestro Goronof avant de lui faire de l'ombre sur la prestigieuse scène du Carnegie Hall. Toutefois, les péripéties du début s'enchaînent avec suffisamment d'assurance et la caractérisation des personnages oscille assez plaisamment entre stéréotypes et touches plus originales. Surtout, Borzage laisse toute sa place à la musique : le chemin balisé qui nous mène de l'audition au premier concert, en passant par les nombreuses répétitions, grâce sans doute à la sensibilité du cinéaste, évite les raccourcis et les escamotages habituels.
Puis arrive le grand soir : Goronof dirige son élève sur scène pour la première fois et devant le tout New York. La séquence marque le point de bascule du récit et, malheureusement, celui du film qui, à partir de là se désagrège totalement. La bienveillance que l'on pouvait avoir pendant la première partie est mise à trop rude épreuve. La longueur de cette séquence au Carnegie Hall commence par nous intriguer mais nous nous rendons vite compte que le changement de statut des personnages qu'elle est chargée d'illustrer passe sans originalité aucune par la lourde mise en scène d'un combat, au cours duquel s'oppose de façon bien improbable la pianiste virtuose et son maître à l'oeil tout à coup noir.
Ici, comme en bien d'autres occasions, Borzage surligne par les dialogues l'importance du moment, qui ne devrait être exprimée que par l'image. Par exemple, la communication extra-sensorielle qui s'établit entre Goronof et Myra, au piano tous les deux, à une centaine de kilomètres l'un de l'autre, est explicitée par la mère du premier, dont l'irruption ne semble justifiée que par cette fonction didactique : "Écoutez, elle lui parle... il lui répond...". Dans les deux séquences de concert, le public se charge de nous dire ce que l'on doit ressentir. Les personnages, de leur côté, ne parviennent plus à nous intéresser. L'inconséquence parfois vacharde du fils et de la mère Goronof se transforme en prise de conscience douloureuse pour l'un et en clairvoyance pleine de sagesse pour l'autre. Du point de vue de la construction dramatique, les ellipses couvrant plusieurs années sont sans effet, ne relevant que de la plus plate facilité : pendant six ans, Myra n'a pas touché à son piano de salon et c'est une simple demande de sa petite fille qui la pousse à rejouer ; après un saut de vingt ans, les enjeux et les caractères ne varient pas d'un pouce, les conversations semblent immédiatement reprendre le même cours.
Au final, I've always loved you s'abîme dans les pires conventions du mélodrame et fait sienne la moins aimable des idéologies du genre, celle qui rend possible le triomphe des personnages les plus forts par le renoncement et l'effacement des plus faibles. Du désastre de cette dernière heure, sauvons éventuellement l'interprète de Myra, Catherine McLeod.
Commentaires
ha mince, mon souvenir de ce film est joli mais bien trop vague par rapport à la précision implacable de votre critique pour que je puisse le défendre décemment.