(Katsuhiro Fujii / Japon / 1980)
■■□□
Des innombrables "romans pornos" produits par la Nikkatsu entre 1971 et 1988, Fleur empoisonnée n'est sans doute pas le meilleur ni le plus représentatif mais il est empreint d'un charme paradoxal, tenant essentiellement au mélange d'ingrédients disparates qu'il réalise. Le prologue se teinte d'une couleur rétro plutôt vague avant que le récit ne soit clairement situé dans le temps, au tournant des années 40, l'ambiance est au mystère, proche du roman policier anglais, le décor est à l'européenne, l'intrigue se déroulant dans une vaste demeure aux allures de château, mais les références historiques et les rites sexuels sont clairement japonais.
Le héros de Fleur empoisonnée, qui n'est pas vraiment le personnage le plus souvent présent à l'écran mais celui dont on épouse le mieux le point de vue, est un peintre. La première séquence dans laquelle il apparaît le montre en train de mettre la dernière touche au portrait de la femme qu'il aime. En s'invitant au manoir du mari de celle-ci, il pénètre en fait dans son propre tableau (il veut aussi, bien sûr, pénétrer son modèle). Mais ce passage lui fait perdre toute maîtrise des événements et lever le voile sur le secret qui s'y niche revient à se faire expulser du cadre.
Le huis clos orchestré par Katsuhiko Fujii a tout du ballet mécanique. Les entrées s'y multiplient, de manière aléatoire, aux limites de l'absurde, au-delà du crédible (deux soldats arrivent et c'est toute l'armée que l'on annonce). Les scènes se font parfois surréalistes, presque buñueliennes, comme lorsque l'ensemble des invités-surprise finissent par s'assoupir dans le salon.
Le constant va-et-vient à l'œuvre dans le film (nous ne parlons là, pour l'instant, que des déplacements des personnages dans le décor) et les pistes narratives qu'il entrouvre à chaque fois, font que la mise à jour du traumatisme de l'héroïne, classiquement explicité par des flash-backs de plus en plus précis, n'a pas vraiment la force qu'elle devrait avoir. Ainsi, le film donne l'impression d'effleurer plusieurs thèmes, d'illustrer plusieurs figures et combinaisons plutôt que de s'en tenir à une seule ligne. Cela explique sans doute que malgré son propos finalement assez noir (il est tout de même question de régression, d'abus, de domination et de mort), il se suive agréablement, presque confortablement.
Les scènes sexuelles se succèdent en offrant quantité de variantes. Cadrages et postures, respectant les interdits, sont savamment calculés et accentuent l'étrangeté de certaines situations. Ici, ce n'est pas l'idée de la femme-objet qui émerge car tous le sont, de l'un ou de l'autre sexe. La plupart des personnages ne sont d'ailleurs définis que par leur fonction, leur costume : l'infirmière, le soldat, le majordome...
Devant ce ballet, la question se pose : qui manipule qui ? Et surtout, qui est le voyeur ? Tout le monde l'est à un moment ou à un autre, jusqu'à l'être ensemble et au même moment, lorsqu'un interrogatoire se transforme en spectacle de bondage. Alors qu'il ne semble y avoir dans ce manoir que deux chambres, l'une principale, l'autre pour recevoir les amis, une ronde se met en marche autour du miroir sans tain qui les sépare. Il y a donc, souvent, exhibition. La plus étonnante est celle qu'effectue une fille de général portant l'uniforme allemand avec ses deux serviteurs, devant les invités à moitié endormis dans le salon. Elle se donne en spectacle sans retenue.
Un impeccable retournement final (avant un épilogue qui s'étire quelque peu) achève de nous le confirmer : si les miroirs du manoir ne manquent pas de reflets, le film, lui, ne manque pas de réflexivité.