Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

This must be the place

sorrentino,italie,irlande,2010s

****

"Car tel quel, le film paraît bloqué au même endroit
que son avatar robert-smithien de héros :
en plein milieu du pire des années 80"
(Joachim Lepastier, Cahiers du Cinéma n°669, juillet-août 2011)

 

Salut les potes !

Pfff… L'année scolaire n'a pas encore démarré que mes parents me mettent déjà la pression par rapport au Bac ! Du coup, hier, j'ai mis mon walkman sur les oreilles et je suis parti faire un tour. Comme le disquaire d'à côté n'a toujours pas reçu The Joshua Tree, le nouveau U2 qui a l'air d'enfer, je me suis fait une toile. Super 8 semble pas mal mais les films de Spielberg, je préfère les voir avec les copains et comme j'étais tout seul, j'ai choisi This must be the place de Paolo Sorrentino. Je n'étais pas spécialement chaud au départ mais la bande annonce, que j'ai vu l'autre jour avec Steph juste avant L'aventure intérieure, m'a plutôt accroché en me promettant de la bonne musique et un récit tordu.

Le problème, c'est que, en fait, j'ai perdu deux heures de mon temps à regarder un film débile.

Déjà, l'idée du cinéaste est bizarre : il a choisi de se lancer dans une sorte de science-fiction puisque son scénario se déroule dans le futur, en 2011 pour être précis. Il nous montre ce que pourrait devenir une star du rock d'aujourd'hui dans une vingtaine d'année. Il imagine donc la vie d'un certain Cheyenne alors que celui-ci, après avoir vendu des millions de disques, a arrêté les drogues et la musique et s'ennuie dans son immense baraque, en compagnie de sa femme et de son chien, tout en s'habillant et se maquillant chaque jour comme s'il allait monter sur scène.

Alors, dès le début, on touche le fond et jamais on ne remontera, au contraire de la caméra qui, elle, vole dans les airs autant que celle d'Alan Parker dans Birdy dont le sujet, au moins, justifiait les acrobaties. C'est clair, la photo est soignée, les cadres étudiés et les mouvements millimétrés. Tous les plans sont hyper-expressifs. Le hic, c'est qu'on ne respire plus, que tout se réduit à l'image. Inutile de chercher, il n'y a rien derrière les masques ou les décors.

Faisant tout tomber dans la caricature, Paolo Sorrentino n'évite aucun cliché sur la gloire passée, la rock'n'roll attitude et le décalage qu'elle peut créer avec la réalité environnante. Je préviens tout de suite : je ne suis pas en train de me plaindre que l'on se moque de cette culture-là, qui m’attire aussi. Récemment, j’ai adoré The Rutles d'Eric Idle ou Spinal Tap de Rob Reiner, qui montrent que l'on peut rire des travers des rockers sans prendre les spectateurs, amateurs ou pas, pour des cons. De toute façon, le film de Sorrentino n'est pas drôle un instant et joue en plus sur une corde sensible absolument détestable. Le réalisateur nous met en garde, nous les jeunes : écouter Cure trop longtemps peut nous conduire au suicide ! Voilà l'un des détails qui me font dire que Sorrentino, au fond, s'en cogne totalement de la musique. Il n'y a qu'à voir comment il la filme, mixée n'importe comment et sans aucune idée visuelle. Je suis prêt à parier que la séquence du concert a été pensée par David Byrne et non par lui, la trouvaille étant purement scénique.

David Byrne, justement, est présent à travers le titre du film (qui est bien sûr celui d’une chanson de ses Talking Heads) et, largement, sur la bande-son. Dans le scénario, il intervient dans son propre rôle et, pour le faire apparaître plus vieux de 25 ans, Sorrentino a en fait engager son père (enfin, je crois). Du coup, la version de This must be the place que l’on entend en concert est un peu mollassonne. Quant à la scène dialoguée qui suit, elle n’est là que pour offrir un nouveau grand moment d’émotion à Sean Penn, le père de Byrne n’étant qu’un faire valoir.

Oui, vous avez bien lu, c’est bien le petit Sean Penn qui est la star du film. Le mari de Madonna n’a pas de chance : à peine sorti du bide de Shanghai surprise, il se voit embarqué dans cette galère, maquillé, vieilli artificiellement pour qu’il ait l’air d’avoir 50 ans. Dans ce rôle, il en fait des caisses comme c'est pas permis, en alignant les tics énervants. À Côté, Robert De Niro dans Angel heart c’est Erland Josephson...

Bon bien sûr, il n’y a pas que la petite histoire du rocker fatigué dans le film, loin de là. Il y a aussi une errance à travers les States, une leçon sur la nécessité des liens familiaux et la recherche d’un ancien nazi. Vu que le début est déjà complètement nul, le reste ne nous étonne pas plus que cela, aussi improbable soit-il. Les dix dernières minutes vont certes encore plus loin dans le ridicule, mais je n’ai guère envie de m’appesantir dessus.

Il faut seulement que je vous parle, avant de partir, de deux personnes. La première est Wim Wenders. Sorrentino a fait, avec This must be the place, une espèce de Paris Texas pour les nuls. Il a même été chercher Harry Dean Stanton (qui a quand même pris un sacré coup de vieux en trois ans seulement !). A un moment, j’ai eu peur que la femme à la fenêtre, à Dublin, ce soit Nastassja Kinski. Mais non, ouf ! Sur la recherche du lien, sur l’espace traversé, sur la musicalité de la narration, sur l’étrangeté du réel, dois-je vraiment préciser que Wenders se situe cent coudées au dessus ? D’ailleurs, il est déjà passé à autre chose avec Les ailes du désir, que j’ai eu la chance de voir le mois dernier en avant-première. On y trouve une séquence de concert avec Nick Cave qui disqualifie déjà les pauvres petites tentatives de Sorrentino. Mais je ne vous en dis pas plus, vous découvrirez tous ce chef d'œuvre prochainement… La seconde personne est Jonathan Demme. Voilà sans doute un autre modèle de Sorrentino, modèle qu’il ne parvient pas à approcher de plus près que le premier. Demme, lui, est un authentique cinéaste rock (comme Wenders, d'ailleurs). Son récent film-concert avec les Talking Heads, Stop making sense, est peut-être le plus beau du genre (David Byrne a dû sentir la différence en passant de l’un à l’autre) et l’an dernier Dangereuse sous tous rapports réussissait un mélange des genres auquel Sorrentino ne parviendra certainement jamais. Mon magazine Première me dit que Demme prépare un film sur la mafia avec Michelle Pfeiffer. Je suis très impatient.

Quant à Sorrentino, que deviendra-t-il ? Peut-être doit-on lui conseiller de rester en Italie, de se tourner vers les problèmes de son pays, de s’exercer à la bouffonnerie à partir d’un sujet sur un homme politique par exemple (pas sûr que le résultat soit mémorable, mais cela ne pourra pas être pire). Sinon, je crains vraiment que dans 25 ans, personne ne se souvienne de lui…

Bon, il est temps que je vous laisse. Ma mère m’appelle pour manger et la note du Minitel va encore être salée (déjà que ma mob est en panne !). Et puis tout à l’heure, je dois aller chez Jean-Bapt regarder un concert d’Echo and the Bunnymen.

Allez, tchao !

 

PS : En cherchant bien, j’ai trouvé un mérite à Sorrentino, celui d’avoir fait participer (mais est-ce vraiment sa responsabilité ?), pour la bande originale, un certain Will Oldham. Celui-là n’a pour le moment sorti aucun disque (et pour cause, il n’aurait, apparemment que 17 ans !), mais s’il le fait dans l’avenir, je pense que je les achèterai tous, tellement ses chansons me plaisent.

 

sorrentino,italie,irlande,2010sTHIS MUST BE THE PLACE

de Paolo Sorrentino

(Italie - France - Irlande / 118 min / 1987 - 2011)

Commentaires

  • Un blog cinéma de cette qualité tenu par un lycéen... épatant de nos jours.
    Merci pour tes critiques.

  • Tu devrais essayer d'écrire dans Starfix (avant qu'ils ne ferment). Bravo, quand je pense que nous écrivais, il n'y a pas si longtemps, que tu voulais te mettre en mode veille :)

  • N. : Merci. On me dit souvent que je suis en avance sur mon âge...

    Vincent : Oh mais le mode veille, c'était juste le temps des vacances (pas facile de trouver un minitel en colo). Là, ça y est, j'ai plein de choses sur le feu.
    Pas essayé Starfix mais l'autre jour, j'ai envoyé à Marc Esposito un article de mon cru, intitulé "Christophe Lambert, un mythe d'aujourd'hui".

  • Bravo gamin (c'est dit sans paternalisme).

  • Merci mon vieux (sans vouloir faire dans le jeunisme).

  • Donc, si j'ai bien compris, mieux vaut réécouter Pornography qu'aller voir ce film pour retrouver le moral...

  • Exactement, Antoine. Le noir et violent Pornography me fascine toujours autant alors que le coloré et sentimental This must be the place me désespère.

  • Cher Edouard, je me permets d'utiliser les colonnes de la rubrique "Courrier des lecteurs" pour vous conseiller chaleureusement quelques cinéastes "rock" plutôt doués. Avez-vous vu, par exemple, "Down by law" de Jim Jarmusch dont j'avais adoré "Stranger than paradise"? Je pense que la presse devrait plus mettre l'accent sur ce cinéaste indépendant peu connu du grand public. En tous cas, bravo pour votre analyse très drôle de ce film que je n'irai sans doute pas voir.

    PS : J'aime beaucoup Robert Smith mais je pense que Mark Knopfler a plus de talent...D'accord, c'est un autre style, moins "new wave"...

  • Vous avez raison, cher lecteur, de citer Jim Jarmusch, dont j'aime aussi beaucoup les deux titres que vous citez et que j'aurai très bien pu évoquer dans ma note (je crois que c'est un cinéaste qui apprécie des gens comme Tom Waits, Iggy Pop ou Neil Young).

    PS : Aujourd'hui que je suis encore au lycée, je vous suis à peu près ou du moins je mets Smith et Knopfler au même niveau. En revanche, dans 25 ans, je suis certain de ne plus avoir du tout l'envie d'écouter le second, au contraire du premier...

  • Quoi, Edouard un gamin? Expression péjorative mais qui est une sorte d'hommage tant mon bras aurait été en risque si j'avais fait un pari sur l'âge de notre écrivain du site. Comme quoi un certain talent répand l'universalime un peu partout.
    Et puis pour une fois qu'on est totalement d'accord sur un film : CHAMPAGNE

  • Allez, un scoop : J'ai presque l'âge de ... Paolo Sorrentino.

  • Un article en forme d'elixir de jouvence, il fallait y penser. Quant Sorrentino, je suis sorti de son insupportable "il divo" et ses guignols mafieux définitivement vacciné de son cinéma. Même la perspective de ce revival de mes jeunes années musicales ne m'enthousiasme guère.

    ps : il semblerait que ce jeune Oldham traîne dans les films de John Sayles... un jour passera-t-il à la musique ?

  • La couleur musicale annoncée était le principal appât, pour moi. Le résultat n'en a était que plus affligeant.

    ps : Ah oui, c'est vrai. Je te parie que ce type va devenir l'une des personnalités les plus influentes du petit monde indé dans les 25 prochaines années !

Les commentaires sont fermés.