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desplechin

  • Léo, en jouant "Dans la compagnie des hommes"

    (Arnaud Desplechin / France / 2004)

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    leo.jpg- Ah non ! Tu ne vas pas encore commencer ta note en parlant de ta difficulté à écrire sur le cinéma de Desplechin, trois mois à peine après Un conte de Noël. Les gens vont se lasser.

    - Et bien, si, justement. Contrairement à ce que je pensais, Léo, je ne sais pas par quel bout le prendre lui non plus...

    - Pourtant tu commences à le connaître, c'est la deuxième fois que tu le vois.

    - Oui. Arte l'avait déjà diffusé début 2004, au moment où il sortait dans une poignée de salles, uniquement parisiennes me semble-t-il. Un peu comme L'aimée, son documentaire de l'an dernier, que je ne connais toujours pas.

    - Tu pourrais commencer par résumer le film. Quelque fois, ça peut déclencher les idées derrière. Mais il est vrai que ce n'est pas très facile à expliquer cette histoire de fils adoptif qui veut prendre la place de son père au sommet d'une grosse entreprise d'armement. Les détails des complots ourdis dans ce milieu des affaires et de la haute finance nous échappent parfois.

    - Les détails nous échappent, mais la trame est limpide. C'est une des forces du film, notamment dûe à l'origine théâtrale.

    - Je ne connais pas du tout la pièce d'Edward Bond. Tu n'as pas trouvé que c'était l'oeuvre de Desplechin la plus proche de La sentinelle ?

    - Si, et c'est là où je le préfère : dans cette ambiance qui flirte avec les tensions du film de genre et surtout dans ces trouées presque fantastiques, lorsque le temps semble se suspendre, son côté Resnais quoi... D'ailleurs, bien des moments dans Léo, renvoient à d'autres cinéastes qu'il admire : la mère dans la chambre rouge, c'est Cris et chuchotements, la voix de Desplechin en off, c'est celle de Truffaut, et bien sûr, Jurrieu et sa partie de chasse, c'est La règle du jeu. Il y en a certainement d'autres. J'ai peur qu'en les énumérant, les gens pensent à un de ces films croulant sous les références.

    - Ne t'inquiètes pas, cela fait longtemps que Desplechin a prouvé qu'il savait à merveille intégrer ces renvois à son style propre. C'est pas Christophe Honoré.

     - Ah ça, non... Ce qui est difficile, c'est de rendre compte de la construction du film, qui mélange la fiction et des scènes réelles, captées lors des répétitions des comédiens sous la direction du cinéaste. Toute cette distanciation, qui risquait donner une oeuvre très théorique, elle ne pénalise jamais le récit. C'est tout à fait étonnant, comme si ces images au statut différent ne produisaient pas tant des ruptures que des passages successifs d'un palier à un autre.

    - Cette fluidité est dûe à la mise en scène. Répétitions et fiction sont toujours identifiables par le grain de la photographie, mais la même caméra ondoyante tourne autour des personnages.

    - En parlant d'eux, celui d'Ophélie a du mal à s'intégrer au récit. D'ailleurs, la majorité des séquences où elle apparaît sont des moments de répétition.

    - Desplechin en est conscient puisqu'il se permet un clin d'oeil ("ça manque de fille !") et insiste bien sur le fait que le personnage est une pièce rapportée, venue de Shakespeare.

    - Et puis il est fort agréable de voir jouer Anna Mouglalis. Tous les interprètes sont renversants. Sami Bouajila, Hyppolyte Girardot dans un surprenant registre clownesque et Jean-Paul Roussillon, qui trouve là à mon avis son meilleur rôle.

    - La musique de Paul Weller est intéressante également : il reprend ses vieux morceaux des années punk avec Jam, mais en s'accompagnant seul à la guitare...

    - Oui, c'est décharné et c'est à l'image du film entier, tourné en vitesse et avec un mini-budget : le squelette peut en fait être aussi beau et fonctionnel que le corps l'enveloppant.

    - Et bien voilà, tu n'as qu'à partir de ça...

  • Un conte de Noël

    (Arnaud Desplechin / France / 2008)

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    contenoel.jpgPas facile de parler d'Un conte de Noël. Avec les cinq premiers films d'Arnaud Desplechin, de La vie des morts à Léo en jouant "Dans la compagnie des hommes", les choses étaient claires : je savais exactement ce que j'admirais dans chaque opus. Mais avec Rois et reine et aujourd'hui ce Conte de Noël, tout se complique. Comme si, en devenant a priori plus accessible, son cinéma devenait encore plus insaisissable.

    Une fête de famille et des retrouvailles plus ou moins souhaitées après un traumatisme : tous les ingrédients du film choral basique sont réunis. Rassurons-nous, nous ne sommes pas dans Ceux qui m'aiment prendront le train. La première partie déroute, comme souvent dans ce genre de récit où l'on nous présente en parallèle une multitude de personnages. Mais cette narration est si étrange... Nous sommes dans un flux; les scènes semblent déborder les unes sur les autres (surtout grâce à la musique). Pourtant les ruptures de tons abondent : des débordements comiques aux larmes. Une courte séquence nous montre l'un des fils, Ivan, passer derrière les platines lors d'une fête. Ses dons de DJ lui font destructurer les morceaux pour mieux les ré-inventer. Scratches, superpositions de couches sonores, indécision du rythme : éléments caractéristiques de ce passage électro, éléments caractéristiques de tout le film. Des événements, chargés dramatiquement, prennent forme mais rien ne semble se résoudre réellement. Jamais de façon classique en tout cas. Je défie quiconque de deviner au début de n'importe quelle séquence du film où celle-ci va mener. Peu de cinéastes en France réussissent ainsi à faire naître le mystère à partir de données aussi prosaïques.

    Une fois encore, on dira de Desplechin qu'il ne filme que des bourgeois et des gens très cultivés. Et le regard n'est pas critique. Ce n'est pas du social, ce n'est pas du politiquement correct-engagé. On sent très bien qu'il joue avec ça. Et lui au moins ne se pose pas la question de savoir si c'est pas un peu trop de filmer ces gens en train de fumer et picoler continuellement, de blaguer avec le judaïsme ou de faire dire des grossièretés aux enfants. Quand à cette histoire de culture, peut-être encombre-t-elle parfois, mais remarquons seulement qu'elle permet de faire passer de façon très fluide toutes les références mythologiques ou littéraires qui paraîtraient ailleurs pédantes ou plaquées. Et ce travail donne des dialogues ciselés, toujours étonnants même dans les situations les plus convenues sur le papier, tel l'échange bouleversant entre Simon, amoureux sacrifié, et Sylvia, dans la cuisine. La troupe de comédiens habituelle s'en délecte (il est inconvenant de ne détacher qu'une personne, mais Chiara Mastroianni est bien la fille de ses parents).

    Comme dans Rois et Reine, le personnage de Mathieu Amalric s'oppose totalement à celui d'une femme (ici celui d'Anne Consigny) et on sent, dans les deux films, un déséquilibre. Le burlesque, la folie dynamique de l'homme tranche avec la névrose et le repli sur soi de la femme. La surprise et la satisfaction du spectateur provient du premier plus que de la seconde.

    Je conclue cette note besogneuse en disant que si Un conte de Noëlm'a moins impressionné que les travaux précédents de son auteur (peut-être parce qu'il me fait cette fois-ci plus penser à Truffaut qu'à Resnais), Desplechin reste, au sein d'une génération de cinéastes qui donna tant de premiers films prometteurs au début des années 90 (Ferran, Kahn, Beauvois, Ferreira-Barbosa, Lvovsky, Masson...), de loin le plus important et le plus régulier.