(Francis Girod / France / 1974)
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Le trio infernal, premier film de Francis Girod, est inspiré d'un sordide fait divers de l'entre-deux-guerres. Le notable Georges Sarret, rencontre les deux soeurs Schmidt : Philomène et Catherine, belles, d'origines allemandes et avides d'argent. Le ménage à trois se forme. Les femmes se marient avec des vieillard et l'homme monte les escroqueries à l'assurance vie qui portent leurs fruits à la mort rapide des maris. Cette première partie, plutôt enlevée, est une satire de la bourgeoisie provinciale. La respectabilité est synonyme de ridicule ou de monstruosité cachée. Au-delà d'une esthétique rétro guère renouvelée (mais Resnais lui-même, avec Stavisky, n'avait pas totalement réussi à la dépasser), l'humour noir et les audaces sexuelles propres à l'époque tirent vers la farce. La peinture grinçante évoque Chabrol, le trio, les uniformes, la cruauté, renvoient aux Folies de femmesde Stroheim. Georges et Philomène, c'est le couple de vedettes Romy Schneider et Michel Piccoli, utilisé à contre-emploi. Ce dernier est assez impressionnant dans le registre du clown réactionnaire et dépravé. La troisième est la découverte Mascha Gonska qui montre bien plus que ses charmes physiques.
Tout aussi bien mis en valeur sont les seconds rôles notamment Philippe Brizard et Andréa Ferréol. C'est avec eux que débute le second mouvement du film et premier virage à 180°. Chambon (Brizard) est associé aux magouilles de Sarret. Le fait que lui et sa femme soient riches les désignent comme les prochaines victimes du trio. Alors que le parcours était jusque là borné par des morts certes accélérées mais naturelles, le meurtre prémédité prend maintenant la place. Francis Girod se passe alors quasiment de dialogues, étire ses séquences et pousse ses acteurs dans leurs retranchements physiques et nerveux. La violence éclate soudain dans toute sa brutalité et surtout l'immédiat après-meurtre (nettoyage et élimination des corps) est enregistré longuement et froidement. Ici, dans ces mares de sang, sanglée dans son tablier de boucher, Romy Schneider a des regards qui en disent long sur le palier franchi dans la folie furieuse. Cette sidération, Girod l'atténue malheureusement ensuite, quand lors des allers-retours destinés à vider l'infâme baignoire de ses restes, il fait passer doucement le malaise par des pointes d'humour (les chutes dans l'escalier, les masques à gaz) et le désamorce.
Après l'horreur, les magouilles continuent. Le trio jette son dévolu sur une orpheline malade, recueillie pour prendre l'identité de Catherine et mourir à sa place. Le film change à nouveau de ton et de rythme. Plus léchée, plus travaillée, cette partie est la moins captivante. La mise en scène du dénouement, de par la position des personnages et le décor, donne la clé : il s'agissait de finir comme sur une scène de théâtre.
Les ruptures de tons et l'indécision du rythme font l'intérêt et la limite du Trio infernal, qui se trouve finalement déséquilibré par les deux ou trois longues et fortes scènes de la partie centrale du récit. Sans aller trop loin, le film bouscule tout de même assez les conventions pour se faire attachant.