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kumashiro

  • Sayuri, strip-teaseuse

    (Tatsumi Kumashiro / Japon / 1972)

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    317ea0a36ccb85a598c993f9d7b89362.jpgArte, dans le cadre de son cycle trash, a diffusé en octobre dernier Sayuri, strip-teaseuse (Ichijo Sayuri : Nureta Yokujo), exemple de "roman porno", genre ayant fait florès au Japon dans les années 70. Précisons que la définition du terme porno varie, dans ce cas, de celle utilisée en France. La censure japonaise interdit depuis toujours l'exposition des pilosités et donc des sexes (la version que nous connaissons de L'empire des sens d'Oshima n'a été distribuée qu'en Occident). Les réalisateurs tournent donc autour de cet interdit en millimétrant leurs cadrages et les postures des comédiens ou en ayant recours à des caches (ce qui arrive à trois reprises ici et qui, paradoxalement, participe assez bien de l'ambiance visuelle recherchée du film). Nous avons là un travail en série, mais les résultats sont aussi loin de la nullité cinématographique des telefilms soft du dimanche soir que des moyens et des buts que se fixent l'industrie du X contemporaine. Car nous sommes bien dans ces années turbulentes où Oshima, Imamura, Suzuki et d'autres, donnent leurs grands coups de boutoirs contre le cinéma traditionnel, par leurs recherches formelles, leurs récits déconstruits, leurs réflexions politiques.

    Dans Sayuri..., Kumashiro relate l'histoire d'une rivalité entre deux strip-teaseuses. Harumi, la plus jeune, jalouse la vedette du show, Ichijo Sayuri (interprétée par... Ichijo Sayuri, qui joue donc son propre rôle), et tente de s'en débarrasser ou du moins, de prendre sa place de star du strip. La narration de Kumashiro est particulièrement heurtée, en phase avec l'époque. Les propos tenus ouvrent des pistes qui ne débouchent sur rien (Harumi demandant à son amant de violer Sayuri). Des scènes énigmatiques, à peine explicitées par des cartons (Sayuri reconvertie, attendant son procès), désarçonnent par leur insertion dans un récit antérieur à ce qu'elles semblent représenter. Soyons honnête, nous ne saisissons pas toujours si ces allers-retours et ces vides sont le fruit d'une volonté de déconstruction radicale ou l'expression d'un j'men foutisme bravache. 

    Un deuxième balancement, autre que temporel, a lieu entre la stylisation des numéros sexuels et les prises de vues documentaires de balades dans les rues. Une séquence étonnante nous fait suivre par exemple Harumi et une collègue de show lesbien, chacune accompagnée de son protecteur, depuis leur sortie du commissariat. Dans la durée de la promenade, le long des trottoirs ensoleillés, au coeur de la vie de la cité, Kumashiro enregistre les provocations verbales d'Harumi envers sa partenaire, l'envenimement de la situation entre les deux et finit sur la bagarre entre les deux protecteurs. Sans crier gare, ce petit événement donne aussi l'occasion au cinéaste de se débarrasser du personnage du petit ami d'Harumi, alors que l'on s'attendait à le voir jouer un rôle important dans l'histoire. Plus tard, le montage parallèle entre le dernier spectacle de Sayuri et la promenade en ville d'Harumi, l'un des moments les plus beaux et intrigants du film, crée un sentiment d'attente dramatique lui aussi déjoué.

    Loin d'être sordides, les shows sont assez fascinants, tant par ce qu'ils montrent que par leur mise en place. Ils tiennent de la cérémonie (les derniers sont montés sans musique, ce qui décuple leur force), de l'abandon total, à la fois calme et intense. Le rapport aux spectateurs du club est aussi rendu de façon singulière, découpant d'abord leurs silhouettes noires au premier plan, encadrant la scène au fond, puis individualisant plus précisément ces têtes silencieuses et tendues vers ce que nous, nous ne pouvons voir. Forcement moins troublantes que les séquences de strip-tease, qui rendent assez fébrile, les scènes d'accouplement, fiévreuses sans être bestiales, donnent bien des leçons aux cinéastes contemporains qui tentent ces derniers temps de filmer l'amour physique au plus près.

    L'oeuvre n'est évidemment pas parfaite. Le jeu des comédiens n'est pas égal, les dialogues criés et les mimiques appuyées ne se faisant pas rares, et les quelques notes humoristiques ne sont pas terribles. Mais les fulgurances sont régulières. Les beautés sont réelles et, de surcroît, pas toujours là où on les attend le plus (voir la belle séquence dans la loge où l'hypocrisie d'Harumi se heurte à l'indifférence de Saruyi, nue et occupée à éponger la cire sur son corps après son numéro).