(Matteo Garrone / Italie / 2008)
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Tout en privilégiant, comme la plupart de ses prédécesseurs cinéastes-enquêteurs, un regard documentaire, il ne s'agit plus maintenant pour Matteo Garrone de décrire les rouages de la mafia (plus précisément de la Camorra napolitaine) mais bien de se placer au centre et d'observer, médusé, les dégâts. Aux études verticales passées qui mettaient l'accent sur la structure pyramidale de l'organisation, Gomorrasubstitue une succession de visions horizontales. Cinq histoires parallèles se jouent, autour de Naples, à cinq niveaux différents : le très jeune Toto entre dans la bande qui contrôle son quartier; Marco et Ciro se veulent indépendants et n'arrêtent pas de "foutre la merde" dans la zone réservée; Don Ciro sillonne les barres d'immeubles, chargé par l'organisation de dédommager les familles des mafieux emprisonnés; Franco est un entrepreneur empoisonnant la terre avec ses décharges; et Pasquale est un tailleur remarquable qui ne se satisfait pas de son travail au sein d'un atelier clandestin et se lie, au péril de sa vie, à des collègues Chinois.
Ces différentes histoires, Matteo Garrone a l'intelligence de ne pas les relier arbitrairement, ce qui nous évite les lourdeurs du film choral contemporain. La narration les fait se succéder par longues séquences, le montage les entremèle mais en les séparant clairement. Les principaux protagonistes ne se croisent pas. Cette indépendance témoigne bien sûr de l'emprise totale de la Camorra sur cette société mais surtout enserre d'une part les personnages dans l'étau, ne leur offrant pas d'autre horizon, et souligne d'autre part la dilution des responsabilités et les court-circuitages constants des ordres descendants. On parle bien de quelques "oncles" mais pas besoin de les nommer (on dit "Ils", "eux", et tout est dit). Le système est désormais tellement ancré qu'il ne semble même plus soutenu par une hiérarchie mais qu'il s'auto-alimente indéfiniment. Il faut être contre ou avec (et le choix doit se faire, quasiment, le pistolet sur la tempe). C'est "ami" ou "ennemi". La mythologie de la famille, de l'honneur, de la respectabilité n'a plus cours. Il faut "marquer des points et faire du fric". Les mafieux, jusqu'aux plus installés, affichent une vulgarité sans nom.
Matteo Garrone impose le long de ces 2h15 une certaine égalité de rythme, assurée par une caméra mobile mais sans hystérie, qui sert le constat documentaire. Ce choix a pour conséquence de laisser l'inquiétude face à la violence contaminer toutes les séquences, même les plus anodines, même celles qui apaisent un instant. Gomorraest ainsi un grand film sur la peur. Aucun des protagonistes n'y échappe. Garrone capte remarquablement les regards d'effroi, le plus marquant, le plus bref pourtant, étant celui qui pétrifie Toto lors de la fusillade en bas de l'immeuble. Les rares lueurs d'espoir sont toujours lestées d'une certaine inquiétude. Personne n'est excusé ou sauvé. Autant que par un ordre du chef local, le sort de Ciro et Marco est scellé par leur bêtise. Pessimisme absolu : à la fin, sur une plage déserte baignée par le soleil couchant, un bulldozer soulève des corps, sous l'oeil de deux gros porte-flingues en short et chemise hawaïenne.
Commentaires
Bonsoir edisdead, quand on a vu le film, il faut aussi lire le livre. Le pessimisme de Saviano est telle que l'on se demande s'il n'en rajoute pas un peu? En ce qui concerne le film, on est loin de l'Italie de carte postale. C'est triste, déprimant. Les gens sont presque des zombies. Ils vivent dans un environnement à pleurer. Les femmes ne sont pas épargnées dans les tueries. On sent l'engrenage dans lequel les protagonistes sont prisonniers. Pas d'échappatoire. Le tailleur par exemple est pire qu'un forçat. Il travaille jour et nuit pour se retrouver chauffeur routier. Les comédiens presque tous des non professionnels donnent encore plus de vérité à l'ensemble. Bonne soirée.
Bonjour,
je viens de le voir à l'instant. Ta note rend parfaitement compte du film. Entièrement d'accord sur l'idée d'horizontalité.
Malgré tout, je n'ai pas trouvé là le chef d'œuvre annoncé, un bon film certes mais pas un grand film !
Oui Dasola, le pessimisme est ici absolu.
Et oui aussi, El Pibe, excellent film mais sans doute pas le "film ultime" sur la mafia que le marketing veut nous vendre...