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Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?

(Pedro Almodovar / Espagne / 1984)

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questcequejaifait.jpgSeul long-métrage cinéma d'Almodovar qui manquait jusqu'à présent à mon tableau de chasse, Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? (Qué he hecho yo para merecer hesto !!) trouve parfaitement sa place en tant qu'oeuvre de transition entre la première période du cinéaste (ses trois premiers films "officiels", provocateurs, foutraques, débraillés et très underground) et la deuxième (celle qui le voit accéder au statut d'auteur européen d'envergure, à partir de la deuxième moitié de la décennie 80).

Ici, l'histoire est celle d'une famille de la banlieue de Madrid : la mère tient la baraque grâce à ses ménages, s'aidant de calmants et autres colles, le mari fait le taxi et semble avoir le don d'imiter toute écriture (dont celle d'Hitler), la grand-mère collectionne les bouts de bois et apprivoise un beau lézard vert (qu'elle nomme "Dollar"), le fils aîné deale pour tout le quartier et le cadet, à peine entré dans l'adolescence, se fait régulièrement "adopter" et héberger par quelques notables pédophiles. Nous nous en tiendrons-là pour la description, mais il faut savoir que les figures secondaires gravitant autour de l'appartement familial sont toutes aussi gratinées. Les comportements sont donc ahurissants mais passent pour naturels aux yeux de chacun, source d'un comique qui atteint souvent sa cible. Almodovar enregistre cependant ces excès de manière relativement sobre et les situe dans un environnement désespérant, celui d'une zone délabrée de la ceinture madrilène.

Entre la noirceur, le kitsch et la tendresse, l'esthétique peut rebuter légèrement, durant les premières minutes. Les cadrages sont souvent frontaux, donnant à voir de manière rigoureuse des décors intérieurs très chargés. Surtout, ils participent d'une réflexion sur la représentation, rendue évidente par la convocation de tous les arts : le fils et la grand-mère vont voir La fièvre dans le sangau cinéma, un écrivain évoque Truman Capote, le mari s'est entiché d'un air d'opéra allemand, l'adolescent veut suivre des cours de peinture... Les surcadrages théâtralisent les jeux érotiques de la voisine prostituée et certains plans ouvertement artificiels (pris de l'intérieur de la machine à laver ou de la penderie) échappent à la gratuité s'ils sont mis en rapport avec l'influence de la publicité télévisuelle.

Les sous-intrigues et les croisements abondent, Almodovar étant, déjà à l'époque, plutôt à l'aise dans la construction narrative. Quelques épisodes sont certes un peu faibles (la mère de famille sévère et sa fille aux étranges pouvoirs, le couple d'écrivains alcooliques) mais certains détails accrochent plaisamment (la bourgeoise ne peut s'empêcher de faire les poches de tout le monde, y compris de la bonne) et l'ensemble est suffisamment bien structuré pour intéresser de plus en plus au fil du temps.

Pour la première fois, Almodovar trouve son équilibre entre distanciation et incarnation, provocation et émotion. Les personnages (et les comédiens) masculins ne sont pas les plus remarquables. En revanche, les figures féminines de la grand-mère et de la prostituée, sont croquées avec une tendresse touchante, y compris lorsqu'elles agissent de façon irréflechie. Et il y a surtout une formidable Carmen Maura dans le rôle principal de la mère, à laquelle on s'attache dès qu'on la voit se défouler seule dans la salle des arts martiaux, en criant et en mimant les attaques, après un rapport sexuel écourté dans les douches avec l'un des sportifs. Jouant juste tout du long, elle se voit offrir par son metteur en scène un final magnifique dans lequel la caméra l'accompagne en long travelling arrière depuis l'arrêt de bus jusqu'à son immeuble, puis dans son appartement maintenant vidé de ses occupants. Son visage apparaît, dans cette soudaine proximité, à la fois triste et lumineux.

Avec le recul du temps, je me suis plu à voir dans les dernières séquences de Qu'est-ce que j'ai fait...la trace concrète d'un changement de statut du cinéma d'Almodovar, sentant là qu'il était tout à coup près pour Matador et tout le reste...

Commentaires

  • Du très bon Almodovar, vu dernièrement, ce film m'a bien plu !

  • Toi je ne sais pas mais Carmen Maura était vraiment la plus grande avec Pedro (et la réciproque est également vraie)!
    Tiens, j'me suis offert quelques vieux standards...vus quand j'étais petiote et que toi, même pas tu trainais dans tes langes :D
    http://lanuitdescinesfous.tumblr.com/post/201073652

  • Ah ça oui, Fred, la Maura est merveilleuse chez son ami Pedro (jusque dans "Volver").

    Merci pour la dédicace (Jack Palance fait vraiment peur avec sa moumoute).

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