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L'enterré vivant

(Roger Corman / Etats-Unis / 1962)

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lenterrevivant.jpgÉcrire sur L'enterré vivant (Premature burial) est une torture. Il est en effet bien difficile d'en rendre compte sans en dévoiler la fin, qui remet brutalement en cause notre jugement sur le récit que l'on vient de nous conter (le film fait bien sûr partie du "cycle Edgar Poe" de Roger Corman). Marchons donc précautionneusement (d'autant plus que le brouillard est dense) et prenons les choses dans l'ordre.

Guy Carrell vit avec sa sœur Kate dans le château familial et va bientôt se marier avec la douce Emily. Il se dit sujet à des crises de catalepsie et lutte contre la peur d'être un jour enterré vivant, comme il croit que son père l'a été. Malgré la présence à ses côtés de sa jeune épouse, Guy devient prisonnier de cette obsession (amplifiée qu'elle est par un traumatisme plus récent, présenté dans un formidable prologue), refusant de quitter sa demeure même pour un voyage de noces. Lui qui ne veut pas être enterré alors qu'il vit encore s'impose en fait une morbide claustration.

En accord avec l'habituelle économie Corman, il n'y a, dans le film, que deux lieux à arpenter : la grande bâtisse des Carrell et le vaste jardin. Dans la première, l'espace s'organise verticalement, de la crypte aux chambres, en passant par les salles de réception, et il est investi dans toute sa profondeur. Les reflets des miroirs creusent les plans, les perspectives s'étirent, les travellings avant suivent magnifiquement les personnages dans les couloirs, les montées et les descentes d'escaliers se succédent. A l'extérieur, là où la brume omniprésente et la végétation brouillent quelque peu les repères, le jardin se transforme en marais pour mener à un petit cimetière. Ici, la dynamique est horizontale, la progression des personnages étant accompagnée par une série de panoramiques et de travellings latéraux. La mise en scène (et une très belle photographie) fait vivre magistralement ces décors pourtant chargés de sens et de signes et rend sensible l'influence néfaste du lieu sur la psychologie du héros.

Dans son jardin, Guy va jusqu'à construire un caveau duquel divers mécanismes sophistiqués lui permettraient de "s'évader" au cas où ses amis l'y laisseraient pour mort alors qu'il ne l'est pas. La scène dans laquelle il détaille ces astuces devant Emily et son ami, le docteur Miles Archer, tous deux éberlués, mêle le comique et le pathétique. Elle semble sur le coup trop longue, presque laborieuse. Mais Corman nous en offre plus tard une remarquable variation, sous forme de cauchemar dans lequel Guy se retrouve pris au piège dans son propre caveau, activant des mécanismes qui refusent tous de fonctionner, dans une atmosphère de pourrissement généralisé. Comme lorsqu'il s'appuie sur le cliché du ciel orageux et zébré d'éclairs pour le décaler légèrement mais suffisamment (lors des séquences du mariage, le tonnerre semble dialoguer avec Guy), Corman navigue entre convention et singularité.

Nous en étions donc là, à apprécier le travail plastique et l'interprétation sans faille du quatuor formé par Hazel Court, Richard Ney, Heather Angel et Ray Milland (préféré par Corman, pour une fois, à un Vincent Price moins romantique et plus âgé), tout en n'arrivant pas tout à fait à partager l'angoisse du héros, en devinant un peu trop facilement quelle est la part respective de mystère inexplicable et de manipulation psychique probable, bref en étant porté vers un dénouement attendu et une explication sans surprise... Croyait-on...

Car s'opère soudain un renversement total. L'édifice se brise et s'affaisse en pliure sur tout ce qui avait été construit précédemment. Tout a changé. Les actions deviennent violentes et les mouvements rapides. Guy Carrell est toujours vivant mais n'est plus tout à fait le même (y compris physiquement). Miles, le scientifique, perd totalement pied. Et en un instant, Emily libère un érotisme à couper le souffle, chevelure flamboyante tombant sur ses épaules nues et dents prêtes à croquer. Tout est retourné. La vengeance n'est pas verbalisée, elle est mise en forme, en espace. Guy s'est extrait de son cercueil et y fait basculer quelqu'un d'autre, avant de tomber, lui aussi, mais du côté opposé, à la renverse. Deux trépas. Et un être en peine au-dessus de chaque victime. Tout est à reconsidérer. Il faut, dans l'urgence, ré-interpréter tous les indices, revenir sur les éléments du récit les plus anodins. Le film est fini, Corman m'a bien eu.

Commentaires

  • Seul film du cycle Corman / Poe que je n'ai pas eu l'occasion de voir, tu m'a bien mis l'eau à la bouche ! Très belle note.

  • Merci Raphaël. Je ne connais pour l'instant que celui-ci (mon favori), "La chute de la Maison Usher" & "Le corbeau". Malheureusement, pas d'autre découverte en prévision. Il me semble que, compte tenu de la cohérence du cycle, l'idéal serait de les voir à la suite, afin d'en goûter toutes les variations. Est-ce que tu as fait de ton côté ?

  • Il est vrai que l'ensemble du cycle ressemble à des variations sur les mêmes thèmes : double personnalité, possession, ... La fidélité à l'ordre chronologique me semble intéressant sans être primordial, les intrigues étant évidemment indépendantes. Tout au plus peut-on remarquer une recherche dans l'épure cinématographique, et une folie toujours plus démesurée.

    Pour ma part, j'y suis allé sans ordre précis : mon premier fut La chute de la maison Usher, suivi par La tombe de Ligeia (très belle fin de cycle, à laquelle je ne manquerais pas de consacrer une chronique), Le corbeau (qui est bien en dessous du reste quand même), puis La chambre des tortures (qui ressemble par de nombreux aspects à la Maison Usher-, Le masque de la mort rouge, très hallucinatoire, et la malédiction d'Arkham, qui est plus de Lovecraft que de Poe. Rien qu'en énumérant les titres, ô combien évocateur, je m'y replongerais bien... En faisant la liste, je m'aperçois qu'il me reste un autre film à découvrir : l'empire de la terreur. Peut-être pour bientôt...

  • J'ai hâte de te lire sur "La tombe de Ligiea" qui est le titre qui m'attire le plus, avec "Le masque de la mort rouge" (ce sont, je crois, les deux plus réputés).
    Sinon, c'est vrai que "Le corbeau" n'est pas terrible (je lui ai consacré une note, il y a quelques mois).

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