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J'ai aimé Le gamin au vélo mais je commence par deux bémols, qui concernent des petits défauts assez récurrents, me semble-t-il, dans le cinéma des frères Dardenne. La fin ne me plaît pas beaucoup. Sans la dévoiler, on peut dire qu'elle provoque successivement deux émotions fortes contradictoires. Je la trouve claudicante, les cinéastes prenant ici le risque de déplaire deux fois, au lieu d'asséner un seul grand coup (que ce soit dans un sens ou dans l'autre). Auparavant, à mi-parcours, il y a, comme souvent chez eux, un endroit où l'on voit le nœud du récit se serrer trop fort. Ainsi, à la remarquable première partie succède une seconde un peu trop dirigiste, faisant grincer ses rouages de film noir social.
Cela dit, pour une large part, le petit miracle se reproduit. Devant une caméra que l'on sent de moins en moins tremblotante avec le temps mais toujours aussi engagée auprès des personnages, du récit et du réel, se raconte un bout de l'histoire de Cyril, 11 ans, abandonné au foyer par son père et récupéré les week-ends, avec son vélo, par l'aimable coiffeuse Samantha. Cyril, c'est Thomas Doret, garçon vif, pugnace et costaud, qui avance la tête en avant et les épaules rentrées. Samantha, c'est Cécile de France qui, dès sa première scène, fait tomber toutes les craintes que l'on pourrait avoir concernant sa présence dans cet univers particulier. Son personnage de coiffeuse existe.
Lorsque le film se concentre sur la quête butée du père (toute cette première partie dont je parlais), il est stupéfiant de justesse et accumule les séquences très simples mais d'une grande force. Le montage, le cadrage, le rythme imposé aux acteurs libèrent une énergie incroyable. Cyril, par ses mouvements, ses déplacements, ne cesse de nous faire rebondir d'une séquence à l'autre (parfois, ces relances ont lieu dans le plan séquence lui-même). C'est une boule toujours en train de rouler et de changer de direction ("Pitbull", préfère le nommer, de son côté, le caïd de la cité, sous la coupe duquel il va tomber).
Surtout, à l'intérieur des scènes, l'imprévisibilité des gestes est totale, autant que dans la vie. Les tentatives de fuite du foyer, qu'elles réussissent provisoirement ou qu'elles échouent aussitôt, donnent l'impression de n'avoir jamais été traitées comme cela au cinéma, de manière aussi réaliste, non pas dans leur teneur mais dans leur déroulement. Les échanges et les comportements sont parfois hésitants, souvent contrariés, régulièrement source de méprises (l'éducateur qui voit Cyril pédaler à toute vitesse vers la sortie et qui croit, comme nous, qu'il fait une nouvelle tentative). Être attentif à cela, c'est se rendre compte à quel point, d'ordinaire, le cinéma gomme tous ces effets de réel pour mieux atteindre à l'efficacité, au mépris de la moindre vraisemblance. Bien sûr, faire cette distinction ne doit pas revenir à établir un jugement de valeur entre les grands réalistes et les autres. Mais chez les Dardenne, et particulièrement ici, c'est bien cette précision et cette "honnêteté" que l'on admire (pour ma part, en tout cas) en premier, avec l'énergie pure qui émane de leur mise en scène, et qui permet d'accéder au fil du récit, malgré les quelques ficelles évoquées plus haut, à une grande émotion, parfois réellement bouleversante.
LE GAMIN AU VÉLO
de Jean-Pierre et Luc Dardenne
(Belgique - France / 87 mn / 2011)
Commentaires
Très belle analyse... C'est une boule toujours en train de rouler ("Pitbull", préfère le nommer, de son côté, le caïd de la cité, sous la coupe duquel il va tomber). Et c'est bien tourné.
Très belle critique de ta part.
Une fois de plus je suis en accord parfait avec toi !
Ma critique ici :
http://ilaose.blogspot.com/2011/06/le-gamin-au-velo.html
Merci messieurs...
Simplicité et énergie, et surtout une luminosité inhabituelle au pays des Dardennes : du cinéma signé mais toujours pas redondant. Belle approche.
Oui, tout à fait, il y a cette lumière plus vive, cette virée à vélo (vers la fin) délestée de tout poids...