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Un Polanski plaisant mais un Polanski mineur. Produit d'une adaptation de la pièce de Yasmina Reza Le Dieu du carnage par le cinéaste et la dramaturge elle-même, le film ne procède jamais à une quelconque explosion ou au moindre détournement de son matériau théâtral. Les trois unités classiques sont respectées à l'écran et, hormis à l'occasion du premier et du dernier plans, à aucun moment nous ne sortons de l'appartement des Longstreet, couple recevant les Cowan, suite à la blessure que le garçon des seconds a infligé à celui des premiers.
Cette obligation que nous avons de rester entre ces murs nous permet d'observer avec attention la mise en scène de Polanski, que l'on pourrait qualifier de discrètement efficace ou d'efficacement discrète. Les miroirs sont parfaitement intégrés au décor, renvoyant et dédoublant quand il le faut sans trop insister, et les placements des personnages, leurs mouvements au fil de l'action, sont orchestrés avec maîtrise. Au cours de cette réunion entre adultes censée être de conciliation et qui tourne rapidement au règlement de comptes acerbe, les points chauds et les lignes de front bougent régulièrement, ce qui évite la monotonie, celle qu'engendrerait un affrontement programmé entre deux couples intangibles. Selon les échanges et les coups de sang, les antagonistes peuvent changer : les femmes peuvent ainsi s'opposer brièvement aux hommes ou un seul personnage peut supporter le regard désapprobateur des trois autres. Si le caractère mécanique de la progression dramatique se fait tout de même sentir par endroits (les relances volontairement exaspérantes de Jodie Foster sur l'état d'esprit de Zachary, le fils "agresseur"), il est inhérent au projet. La dérive (alcolisée) vers le grotesque et le politiquement incorrect provoque quelques dérapages gestuels et autres saillies verbales plutôt savoureux car particulièrement bien rendus par un quatuor d'acteurs très complémentaires.
Pour autant, la mécanique ne se grippe ni ne s'emballe jamais vraiment. L'intention de départ n'est pas dépassée. La volonté de Polanski est bien sûr de rire de la chute du masque de la moyenne-haute bourgeoisie, de débusquer la puissance des pulsions tapies derrière le vernis des convenances, de brocarder l'illusion de la communauté et la bonne conscience humaniste. Le film se nourrit de tout cela, de ces petits plaisirs polanskiens. Cependant, il ne fait que ça, il s'en tient là, au programme prévu. De plus, ce mini-psychodrame se joue à partir d'un déclencheur de peu d'importance (la bêtise d'un gamin) et le fait que ceci soit posé dès le début et confirmé avec force au final accuse certes la vanité des comportements de ces quatre personnages mais a aussi tendance à contaminer le film lui-même. Ainsi, ce Carnage est-il vif et agréable mais il manque quelque peu de consistance.
CARNAGE
de Roman Polanski
(France - Allemagne - Pologne - Espagne / 79 min / 2011)