polanski
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J'accuse (Roman Polanski, 2019)
*L'affaire Dreyfus empaquetée par Polanski, avec une pléiade de vedettes françaises, jusque dans les seconds rôles. C'est réalisé avec soin, dans une grisaille qui n'est plus guère, maintenant, signe d'audace dans ce domaine du film historique. Bien que le final, notamment, rejette l'idée de spectaculaire comme celle d'émotion facile, l'ensemble est traité comme un thriller d'époque et subit l'effet de grossissement et de simplification propre à la fiction, ici via les figures de styles paranoïaques habituelles du cinéaste, sans nouveauté (doute, solitude, angoisse d'être suivi, persécuté...). Après une première moitié intéressante, ça patine sévère, sans passion, en suivant le cheminement parfaitement balisé et convenu du personnage principal en confrontation avec son affligeante hiérarchie militaire. -
Carnage
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Un Polanski plaisant mais un Polanski mineur. Produit d'une adaptation de la pièce de Yasmina Reza Le Dieu du carnage par le cinéaste et la dramaturge elle-même, le film ne procède jamais à une quelconque explosion ou au moindre détournement de son matériau théâtral. Les trois unités classiques sont respectées à l'écran et, hormis à l'occasion du premier et du dernier plans, à aucun moment nous ne sortons de l'appartement des Longstreet, couple recevant les Cowan, suite à la blessure que le garçon des seconds a infligé à celui des premiers.
Cette obligation que nous avons de rester entre ces murs nous permet d'observer avec attention la mise en scène de Polanski, que l'on pourrait qualifier de discrètement efficace ou d'efficacement discrète. Les miroirs sont parfaitement intégrés au décor, renvoyant et dédoublant quand il le faut sans trop insister, et les placements des personnages, leurs mouvements au fil de l'action, sont orchestrés avec maîtrise. Au cours de cette réunion entre adultes censée être de conciliation et qui tourne rapidement au règlement de comptes acerbe, les points chauds et les lignes de front bougent régulièrement, ce qui évite la monotonie, celle qu'engendrerait un affrontement programmé entre deux couples intangibles. Selon les échanges et les coups de sang, les antagonistes peuvent changer : les femmes peuvent ainsi s'opposer brièvement aux hommes ou un seul personnage peut supporter le regard désapprobateur des trois autres. Si le caractère mécanique de la progression dramatique se fait tout de même sentir par endroits (les relances volontairement exaspérantes de Jodie Foster sur l'état d'esprit de Zachary, le fils "agresseur"), il est inhérent au projet. La dérive (alcolisée) vers le grotesque et le politiquement incorrect provoque quelques dérapages gestuels et autres saillies verbales plutôt savoureux car particulièrement bien rendus par un quatuor d'acteurs très complémentaires.
Pour autant, la mécanique ne se grippe ni ne s'emballe jamais vraiment. L'intention de départ n'est pas dépassée. La volonté de Polanski est bien sûr de rire de la chute du masque de la moyenne-haute bourgeoisie, de débusquer la puissance des pulsions tapies derrière le vernis des convenances, de brocarder l'illusion de la communauté et la bonne conscience humaniste. Le film se nourrit de tout cela, de ces petits plaisirs polanskiens. Cependant, il ne fait que ça, il s'en tient là, au programme prévu. De plus, ce mini-psychodrame se joue à partir d'un déclencheur de peu d'importance (la bêtise d'un gamin) et le fait que ceci soit posé dès le début et confirmé avec force au final accuse certes la vanité des comportements de ces quatre personnages mais a aussi tendance à contaminer le film lui-même. Ainsi, ce Carnage est-il vif et agréable mais il manque quelque peu de consistance.
CARNAGE
de Roman Polanski
(France - Allemagne - Pologne - Espagne / 79 min / 2011)
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The ghost writer
(Roman Polanski / Grande-Bretagne - France - Allemagne / 2010)
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Quels que soient leur sujet et leur degré de réussite, les films de Roman Polanski, du Couteau dans l'eau au Ghost writer ressemblent tous énormément à leur époque - précisons aussitôt qu'ils ne courent pas pour autant après la mode. Par conséquent, autant que la mise en avant (plutôt que le "retour") des thèmes favoris du cinéaste, il convient de saluer ses capacités de renouvellement formel, dans un cadre à la fois classique et très actuel.
Notre guide dans cette sombre histoire, le nouveau nègre littéraire de l'ex-premier ministre britannique Adam Lang, est sans cesse pressé par le temps (le délai qui lui est imparti pour peaufiner les mémoires de son client est raccourci) et compressé par l'espace : envoyé sur une île au large des Etats-Unis, cloîtré dans une villa-bunker, constamment sommé de monter dans des véhicules aux vitres teintées. En ces lieux, les ouvertures qui s'offrent à lui sont illusoires, qu'il s'agisse de l'horizon d'une mer démontée, des larges baies vitrées de la maison ne renvoyant qu'un écho assourdi du monde extérieur ou des paysages défilant en voiture. Parfois, la caméra semble se coller à lui (et aux autres personnages), le plan se bouchant alors sous nos yeux. Mais ce sont surtout les matières, les meubles, les pièces, qui disent la claustration (The ghost writer est l'un des rares films contemporains s'appuyant sur un décor travaillé, sur une architecture pensée et sur une topographie précise, bien que "ré-inventée"). A ces éléments s'ajoute bien sûr, la technologie, l'excellent gag de l'exercice de sécurité figurant le point d'orgue ludique de cette réflexion. Les causes de la paranoïa semblent d'ailleurs, elles aussi, cheminer à travers elle (la scène du GPS, autre belle trouvaille).
Le classicisme du film est celui du thriller de haute-volée ayant retenu toutes les leçons données par Lang et Hitchcock sur le rythme et les relations avec l'espace. Il vient aussi de la manière dont sont appréhendés les différents éléments constitutifs de l'ouvrage, du scénario à la photographie, du décor à la musique, du jeu d'acteurs au montage, tous jugés d'égale importance. Surtout, ce classicisme se ressent dans la position qui est assignée au spectateur. Polanski oriente notre regard de façon à ce qu'il ne puisse qu'épouser celui du personnage d'Ewan McGregor, ce ghost writer se faisant le réceptacle parfait de nos projections fictionnelles. Pas de femme, pas de famille, pas de passé, pas de nom : voilà l'homme de la situation pour le politique en mauvaise posture qu'est Adam Lang. Et voilà pour le spectateur, le témoin-relais idéal. La légitimité professionnelle du personnage est posée sans difficultés et l'acteur a suffisamment de charisme pour que Polanski se permette de jouer sur une note basse, sans volontarisme ni héroïsation (sur cette "transparence du nègre", je vous invite à lire l'excellent texte de mon collègue T.G.). Son aventure n'est pas flamboyante et cet écrivain semble entraîné par le courant au moins autant qu'il provoque de vagues. Entièrement dévoué à sa tâche puis au dévoilement d'un mystère (dévoilement qui, après tout, s'inscrit dans le prolongement du contrat initial qui est de mettre en forme une biographie), celui-ci se voit interdire par le récit tout écart. Même la relation sexuelle inattendue à laquelle il s'adonne ne provoque pas de bifurcation. Polanski tient son sujet jusqu'au bout.
A travers ce récit saturé de faux-semblants, de mystères et de mensonges, se distingue une belle estime du spectateur. Le film peut, en son centre, souffrir de chutes de tension mais elles sont d'abord dues à ce matériau, difficile à manier esthétiquement, qu'est le flux d'images télévisuelles d'information, et ensuite à la nécessité d'exposer clairement l'enjeu politique et judiciaire de l'histoire. Si la bascule sans retour du côté du pur thriller intervient donc à point nommé pour savourer la maîtrise de la mise en scène du cinéaste, c'est bien le scénario qui va in fine "rattraper" les séquences centrales, apparues plus faibles au premier abord. Il faut en effet louer sans retenue le travail d'adaptation de Robert Harris à partir de son propre roman car non seulement son récit a la diabolique efficacité requise par le genre mais il dispense encore de nombreuses subtilités de construction, tels cet étrange écho se créant autour d'une mort ayant suivie une fâcherie, ou cette évolution du regard porté sur Adam Lang (Pierce Brosnan fait passer ce retournement au cours de la fantastique séquence de l'entretien en avion, Lang devenant en quelque sorte véritablement la bête politique qu'il est sensé être au moment, tardif, où il a le discours le plus sincère).
Si The ghost writer se termine sur une victoire dérisoire, le spectateur, invité à refaire le film une seconde fois, a, lui, tout gagné.