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The ghost writer

(Roman Polanski / Grande-Bretagne - France - Allemagne / 2010)

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ghostwriter.jpgQuels que soient leur sujet et leur degré de réussite, les films de Roman Polanski, du Couteau dans l'eau au Ghost writer ressemblent tous énormément à leur époque - précisons aussitôt qu'ils ne courent pas pour autant après la mode. Par conséquent, autant que la mise en avant (plutôt que le "retour") des thèmes favoris du cinéaste, il convient de saluer ses capacités de renouvellement formel, dans un cadre à la fois classique et très actuel.

Notre guide dans cette sombre histoire, le nouveau nègre littéraire de l'ex-premier ministre britannique Adam Lang, est sans cesse pressé par le temps (le délai qui lui est imparti pour peaufiner les mémoires de son client est raccourci) et compressé par l'espace : envoyé sur une île au large des Etats-Unis, cloîtré dans une villa-bunker, constamment sommé de monter dans des véhicules aux vitres teintées. En ces lieux, les ouvertures qui s'offrent à lui sont illusoires, qu'il s'agisse de l'horizon d'une mer démontée, des larges baies vitrées de la maison ne renvoyant qu'un écho assourdi du monde extérieur ou des paysages défilant en voiture. Parfois, la caméra semble se coller à lui (et aux autres personnages), le plan se bouchant alors sous nos yeux. Mais ce sont surtout les matières, les meubles, les pièces, qui disent la claustration (The ghost writer est l'un des rares films contemporains s'appuyant sur un décor travaillé, sur une architecture pensée et sur une topographie précise, bien que "ré-inventée"). A ces éléments s'ajoute bien sûr, la technologie, l'excellent gag de l'exercice de sécurité figurant le point d'orgue ludique de cette réflexion. Les causes de la paranoïa semblent d'ailleurs, elles aussi, cheminer à travers elle (la scène du GPS, autre belle trouvaille).

Le classicisme du film est celui du thriller de haute-volée ayant retenu toutes les leçons données par Lang et Hitchcock sur le rythme et les relations avec l'espace. Il vient aussi de la manière dont sont appréhendés les différents éléments constitutifs de l'ouvrage, du scénario à la photographie, du décor à la musique, du jeu d'acteurs au montage, tous jugés d'égale importance. Surtout, ce classicisme se ressent dans la position qui est assignée au spectateur. Polanski oriente notre regard de façon à ce qu'il ne puisse qu'épouser celui du personnage d'Ewan McGregor, ce ghost writer se faisant le réceptacle parfait de nos projections fictionnelles. Pas de femme, pas de famille, pas de passé, pas de nom : voilà l'homme de la situation pour le politique en mauvaise posture qu'est Adam Lang. Et voilà pour le spectateur, le témoin-relais idéal. La légitimité professionnelle du personnage est posée sans difficultés et l'acteur a suffisamment de charisme pour que Polanski se permette de jouer sur une note basse, sans volontarisme ni héroïsation (sur cette "transparence du nègre", je vous invite à lire l'excellent texte de mon collègue T.G.). Son aventure n'est pas flamboyante et cet écrivain semble entraîné par le courant au moins autant qu'il provoque de vagues. Entièrement dévoué à sa tâche puis au dévoilement d'un mystère (dévoilement qui, après tout, s'inscrit dans le prolongement du contrat initial qui est de mettre en forme une biographie), celui-ci se voit interdire par le récit tout écart. Même la relation sexuelle inattendue à laquelle il s'adonne ne provoque pas de bifurcation. Polanski tient son sujet jusqu'au bout.

A travers ce récit saturé de faux-semblants, de mystères et de mensonges, se distingue une belle estime du spectateur. Le film peut, en son centre, souffrir de chutes de tension mais elles sont d'abord dues à ce matériau, difficile à manier esthétiquement, qu'est le flux d'images télévisuelles d'information, et ensuite à la nécessité d'exposer clairement l'enjeu politique et judiciaire de l'histoire. Si la bascule sans retour du côté du pur thriller intervient donc à point nommé pour savourer la maîtrise de la mise en scène du cinéaste, c'est bien le scénario qui va in fine "rattraper" les séquences centrales, apparues plus faibles au premier abord. Il faut en effet louer sans retenue le travail d'adaptation de Robert Harris à partir de son propre roman car non seulement son récit a la diabolique efficacité requise par le genre mais il dispense encore de nombreuses subtilités de construction, tels cet étrange écho se créant autour d'une mort ayant suivie une fâcherie, ou cette évolution du regard porté sur Adam Lang (Pierce Brosnan fait passer ce retournement au cours de la fantastique séquence de l'entretien en avion, Lang devenant en quelque sorte véritablement la bête politique qu'il est sensé être au moment, tardif, où il a le discours le plus sincère).

Si The ghost writer se termine sur une victoire dérisoire, le spectateur, invité à refaire le film une seconde fois, a, lui, tout gagné.

Commentaires

  • Belle analyse même si tu sais ce que je pense du film (estimable) de Polanski. Si tu t'es détaché du Scorsese à cause de ses séquences finales, j'avoue ne pas pouvoir oublier ce que tu appelles le "ventre mou" du film où Polanski navigue sans arrêt entre quelques passages assez réussis (la scène de l'exercice de sécurité, effectivement) et de longs tunnels de champs/contrechamps que je trouve un peu paresseux. Ceci dit, la fin est réussie et l'ensemble n'est pas désagréable. Ce n'est pas encore autour de ce film que nous nous déchirerons : Tim Burton peut-être?

  • oui oui oui et oui,
    cette invitation à le revoir en conclusion me tente bien. Car c'est d'une telle maitrise, d'une telle finesse, d'une telle majesté de mise en abime que The Ghost Writer devrait devenir un classique de sa filmo.

  • Merci Ed pour votre petite parenthèse! Et merci aussi pour ce bel article qui décrit bien la place du spectateur dans ce jeu de dévoilement et de dissimulation.

  • Légers bémols de mon côté... Il y a quand même quelques grosses maladresses impardonnables (pour un cinéaste de sa stature :

    - le mot d'esprit autour de "ghost"...
    - la missive qui circule lors du discours
    - le "twist" [Oliver ;-] (qui n'apporte pas grand-chose à la dramaturgie d'ensemble)
    - et le plan final - quelque peu "scolaire", je trouve...

    Mais, on passe un très bon moment...

  • Bonjour Ed, bravo pour ce bel article, je n'ai pas fait si bien. En le lisant, j'ai vraiment envie d'aller retourner le voir (j'ai acheté le roman que je lirai un de ces jours). Bonne journée.

  • Merci pour vos commentaires.

    Doc : J'entame une pause au niveau du cinéma en salles. Je ferai donc l'impasse sur "Alice" et ne bataillerai pas avec toi sur ce coup. Sans regrets, car tout semble confirmer la thèse de l'accident industriel. Je n'ai lu que 2 critiques presse (Télérama et Olivier de Bruyn sur Rue 89) et les quelques notes publiées sur des blogs présents dans ma colonne de droite. Résultat : unanime déception. Burton est bel et bien fichu...
    J'attends avec impatience de prendre connaissance de ton jugement.

    Alexandre : Je vois là aussi un Polanski majeur. Le meilleur depuis belle lurette. J'aime beaucoup "Le pianiste", mais je remonterai peut-être jusqu'à... "Chinatown".

    T.G. : De rien, ta note est sans doute ce que j'ai lu de mieux sur le film.

    Père Delauche : Disons que le jeu autour du "Ghost" est un peu... voyant, je le reconnais. Le bout de papier qui circule, moi, ça m'a ramené aux séquences du début, avec ces corps qui envahissaient le cadre, qui donnaient l'impression d'être à l'étroit. Le "twist", j'aime beaucoup (il m'a bien plus stimulé que celui du film de Scorsese) et il donne une dimension supplémentaire à un personnage féminin déjà marquant. Quant au plan final, c'est quand même une belle conclusion visuelle.

    Dasola : Je lirai avec intérêt ta chronique du livre.

  • Je suis d'accord avec toi sur toute la ligne. Polanski maitrise parfaitement son film, un film dont l'atmosphère est très bien appuyée par les décors et la mise en scène. Et le côté "transparent" du personnage principal m'a beaucoup plu.

  • Je me demande vraiment pourquoi tu vas faire une pause pour les films en salle :))
    Moi, j'ai réussi à y retourner, avec ce film, et je partage globalement ton avis. Sur le finale, la lettre et la suite, je suis plus proche de l'opinion du Père Delauche. D'une part je trouve ça un peu gros (avec les enjeux, le personnage agit aussi stupidement qu'un adolescent dans un psycho-killer) et le plan final, certes joli, est quand même un peu téléphoné. Ça m'a rappelé les fin d'un tas de films français politico-policiers des années 70 ou le héros finissait mal, jusqu'à absurde. C'est quand même un excellent Polanski.

  • Tiens, je n'avais pas du tout fait ce rapprochement... Pas vraiment d'exemples précis en tête, mais c'est vrai qu'on peut aussi penser, chez les Italiens, à la fin de "Cadavres exquis" de Rosi.

  • Oh, bonjour Vincent !-]

    Je tombe par hasard sur votre commentaire : et suis content d'apprendre qu'il arrive que nous puissions, de temps à autres, tomber d'accord !-]

    Sur le côté "téléphoné", j'ajoute que cette "belle conclusion visuelle" [dixit Ed :-] est bien trop astucieusement "amenée" : vers le milieu du film, Polanski nous insiste assez lourdement sur le fait que Mc Gregor a du mal à s'adapter à la circulation... Bien sûr, il est toujours stressé ; et il a maintenant le poids d'une information capitale, etc.

    (j'ai même oublié de mentionner la lourdeur dans l'évocation des relations de rivalité entre les deux femmes...).

    Ce sont bien sûr des pinaillages ; car, j'aime bien ce film ;-]

  • Tiens, cette "prémonition" par rapport à la circulation, je ne l'ai pas du tout ressenti... Polanski n'a donc pas dû insister assez lourdement... :)

  • Bonsoir mon père :) Oh, je crois que nous pouvons être assez souvent d'accord, il me semble. C'est juste histoire de pinailler parfois. Moi non plus je n'avais pas fait attention aux problèmes de circulation chez McGrégor, mais ça colle bien avec les personnages chez Polanski, souvent pas très bien adaptés à la vie moderne.

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