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Après avoir tourné Los Olvidados, Buñuel n'a pas le temps d'attendre que son brûlot passe les frontières du Mexique et doit accepter une production bien dans les clous. Susana est donc un drame édifiant sur les périls de la passion sexuelle. Échappée d'une maison de correction, une jeune femme trouve refuge dans une hacienda isolée. Elle va y faire tourner trois têtes masculines en même temps, celles du propriétaire, du fils et du contremaître, au grand dam de la mère de famille pourtant prévenue dès le début par sa fidèle servante. Le titre français (dis)qualifie le personnage. Précaution inutile puisque Susana est immédiatement présentée sous un jour qui ne variera jamais. Elle s'évade de son cachot durant une nuit tempétueuse, sous les éclairs et les trombes d'eau. Lorsqu'elle surgit au ranch, la dévouée Felisa ne s'y trompe pas : c'est le diable que l'on fait entrer dans la maison. Dès lors, chaque jeu de séduction va donner à voir sans aucun filtre la duplicité de Susana, notamment par les changements soudain d'expression. Le film pâtit de cette absence d’ambiguïté, ne semble pas pouvoir dépasser le premier degré de la fiction. Le plaisir que l'on peut y prendre tient donc dans les incessantes tentatives de destruction de la cellule bourgeoise mexicaine, au fil des désirs et des intérêts d'une femme en recherche contradictoire de liberté et de confort. Soumise à certaines contraintes, la réalisation de Buñuel apparaît moins tranchante qu'en d'autres occasions. Les images fortes ne manquent pourtant pas, dans le bestiaire (de l'araignée à la jument), le fétichisme (Susana ne cesse, en bas, de relever sa robe pour dévoiler ses jambes et, en haut, de baisser son corsage pour offrir ses épaules et son décolleté) ou l'insolite (l'échange amoureux dans le puits) mais théâtre et bavardage pointent parfois le bout de leur nez. Le voyeurisme enchâssé produit quelques beaux résultats : souvent, le pêcheur est lui-même sous surveillance ou surpris. De même, la violence, ou ses prémices, saisissent toujours autant. Certes, dans un tel cadre commercial, on sait que l'explosion sociale ne peut véritablement advenir, qu'elle doit être évitée au dernier moment. Il n'en reste pas moins que la conclusion laisse coi : en deux minutes soudainement ensoleillées, la famille (et l'entreprise) se réconcilie dans le pardon souriant, dès le lendemain matin. Susana reléguée dans le hors-champ de sa prison, tout est oublié grâce à la force d'âme chrétienne. Buñuel lui-même désespérait de n'avoir pas trouvé le moyen de recouvrir ce dénouement, heureux jusqu'à la caricature, de l'ironie nécessaire.