Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les grandes gueules

(Robert Enrico / France / 1966)

■■□□

322699d6f3d5c00855cb3710df726ee6.jpgSi le nom de Robert Enrico fait pas mal frémir à cause du Vieux fusil, de Au nom de tous les miens, de Zone rouge ou de La Révolution Française, il faudrait se pencher sur ses débuts, de La rivière du hibou (1962) aux Aventuriers (1967), où il tentait une approche physique, ample et singulière du cinéma, avec en tête le classicisme hollywoodien.

Pour Les grandes gueules, son deuxième long-métrage, Enrico bénéficiait de la présence de Bourvil et de Lino Ventura en tête d'affiche, et de l'adaptation par José Giovanni de son propre roman. Hector (Bourvil), de retour du Canada, décide de remettre en route la scierie de son père, repoussant les offres de reprise d'un puissant concurrent, Therraz, mieux installé, plus bas dans la vallée. Il embauche deux hommes de passage, sortis récemment de prison, Mick (Jean-Claude Rolland) et Laurent (Ventura). Devant les difficultés d'Hector pour obtenir une main d'oeuvre fiable, détournée par Therraz, les deux nouveaux employés proposent à leur patron de faire appel à des "conditionnels", prisonniers en fin de peine pouvant bénéficier d'une semi-liberté. L'arrivée d'un petit groupe, auquel était censé appartenir un homme que Laurent voulait ainsi éliminer, va exacerber les tensions avec l'entrepreneur voisin et bouleverser les habitudes du village en contrebas.

Les grands noms qu'Enrico a réuni au générique lui ont permit de jouir de moyens à la hauteur de son ambition. Le film est entièrement tourné dans les Vosges, sur les lieux mêmes du roman, et scieries et installations techniques alentour ont été recrées (dont une sorte de luge qui permet de descendre de grosses quantité de bois, l'ouvrier se plaçant devant pour la freiner en prenant appui sur une série de traverses, comme autant de marches à dévaler avec un monstre dans le dos prêt à vous écraser : machine trop spectaculaire pour ne pas jouer un rôle primordial dans le scénario). Les forêts montagnardes sont filmées avec une belle vigueur, Enrico se délectant de ces chutes d'arbres, notamment lors d'une séquence toute musicale. Le cadre et la simplicité de l'argument tirent vers le western, chaque élément pouvant parfaitement être transposé dans l'Ouest américain (les quelques allusions du dialogue au indiens ou aux trappeurs, du coup, en rajoutent trop). Cette simplicité, de la narration et de la mise en scène, a son revers : la psychologie des personnages s'en retrouve limitée. Les réactions d'énervement de Bourvil, qui tire tout à coup dans le vide avec son fusil, laissent pourtant entrevoir quelques zones d'ombres. Toujours en rapport avec le western, la musique est signée par François de Roubaix, dans l'esprit de Morricone. Pas désagréable en accompagnement, elle peine sérieusement, par contre, quand elle prend en charge le rythme et tire l'image et le récit, dans ces quelques séquences muettes, bien loin du résultat obtenu ailleurs par Sergio Leone et son compositeur.

La constitution du groupe de prisonniers amène à aligner les seconds rôles "à gueules", à la caractérisation très appuyée. Des bagarres se succèdent, un peu trop homériques, parfois à la limite du comique, alors qu'une plus grande sécheresse aurait emporté le morceau. Le principe en vigueur ici est celui selon lequel tous les problèmes se règlent à coups de poings, qu'ils servent à souder une amitié ou à écraser un ennemi. Cet univers est donc masculin. Il n'empêche pas cependant l'apparition de belles silhouettes féminines, dont celle de la toujours touchante Marie Dubois. Les rapports entre les protagonistes sont basés sur l'honnêteté et dessinés dans la sobriété. Dans le beau final, Laurent, après la mort de Mick, trouve en Hector un autre alter ego, avec lequel il pourra reprendre la route. Contrairement à l'habitude, un bourlingueur ne prend pas sous son aile un nouveau jeune protégé, mais repart accompagné d'un vieil homme fatigué. L'échec, raisonné, du plan initial fait penser à John Huston. Et pour le spectateur de cinéma, l'échec est souvent plus payant qu'une réussite.

Ma femme a adoré.

Les commentaires sont fermés.