Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Un crime dans la tête & Les parachutistes arrivent

(John Frankenheimer / Etats-Unis / 1962 & 1969)

■■■□ / ■■■□

1752818041.jpgUn crime dans la tête (The Manchurian candidate) est un thriller politique, un étonnant film d'espionnage réalisé avec un regard assez acide. En Corée, des soldats américains sont faits prisonniers. Ils sont manipulés psychologiquement, puis renvoyés chez eux sans souvenirs de l'expérience imposée mais prêts à être à tout moment "dirigés" à leur insu. Le but de l'opération est l'assassinat d'un candidat à la Maison Blanche et son remplacement par un politicien fantoche. Ce film de Frankenheimer est ouvertement anti-communiste. Il ne se résume pas cependant à cette position, car il est tout aussi clairement anti-fasciste. Ce sont bien les deux extrêmes qui sont renvoyés dos à dos. Les allusions au McCarthysme et à ses dérives insupportables sont évidentes. Finalement, c'est au sein même de la bonne société américaine que sont nichés les plus grands ennemis de la démocratie, plus que chez les Rouges à l'étranger.

Un crime dans la tête se singularise également par son aspect science-fiction. La technologie est omniprésente, notamment les écrans de télévision. On peut penser au Dr Mabuse pour cela et pour la manipulation des esprits et l'utilisation de techniques paranormales. Plus que dans un film politique, on se retrouve dans une sorte de conte où l'on nous montre des cauchemars, un bal masqué, des cartes à jouer. Même les scènes les plus anodines, comme la rencontre dans le train entre Frank Sinatra et Janet Leigh sont traitées comme si elles faisaient partie de la manipulation, laissant planer le doute. Frankenheimer s'en donne à coeur-joie visuellement, rajoutant à un scénario et à un positionnement moral déjà intrigants, une esthétique pleine d'effets très maîtrisés, à base de grands angles déformants, proposant en particulier un catalogue de la figure favorite du cinéaste : un cadrage en profondeur avec la tête d'un des personnage envahissant toute une partie du premier plan.

Le film a fait l'objet d'un remake signé par Jonathan Demme en 2004.

175969462.jpg7 ans et 6 films plus tard (dont 7 jours en mai et Grand prix), Les parachutistes arrivent (The gypsy moths) s'éloigne considérablement du registre virulent d'Un crime dans la tête, car Frankenheimer entamait là un virage esthétique certain. Les parachutistes en question ne sont pas des militaires mais trois sportifs casse-cous proposant un spectacle itinérant de voltige. Le trio pose ses valises dans un petite ville du Kansas et plus précisément dans la maison de la tante du plus jeune, Malcolm, qui revient ainsi, plus de dix ans après, au pays. Ainsi se fait la chronique de quelques journées pas si tranquilles, tout étant réuni pour que l'arrivée de ces trois saltimbanques mélancoliques perturbent la petite vie de famille bourgeoise bien rangée.

Frankenheimer calme son jeu et se cale merveilleusement entre cinéma moderne et classicisme du mélodrame sirkien ou minnellien. Rien que le sujet des Gypsy moths fait penser à La ronde de l'aube de Douglas Sirk. La confrontation des deux oeuvres devrait être riche en reflexions. Le fantôme de Minnelli flotte lui notamment grâce à Deborah Kerr. Dix ans après Thé et sympathie, elle laisse toujours autant sentir le feu sous la glace. Entre les deux périodes, bien des choses ont changé. Alors que le trouble affleurait à peine sous la surface, la gêne est maintenant palpable dès la première rencontre. Alors que le désir était contrarié ou repoussé, l'adultère s'étale pratiquement au grand jour. Mike Rettig, le solitaire qui les fait toutes frissonner sans dire un mot, n'a pas longtemps à attendre pour coucher avec la maîtresse de maison dès que le mari s'endort à l'étage. Les existences sont vides. Il ne s'agit même pas de révélation par une confrontation, car tous en sont déjà conscients. Le malaise touche chacun. Seule différence : certains l'acceptent, d'autres non.

La description sociétale s'appuie donc sur des figures archetypales mais poussées à un point de tristesse extrême. La formation des trois couples éphémères est directe. Une séquence de bar à strip-tease ne dépareillerait pas dans un Tarantino. La construction du film rattache plus, elle aussi, l'ensemble à la modernité : après une introduction présentant le show, deux grands segments s'articulent de part et d'autre de la longue séquence centrale du spectacle aérien. Pendant plusieurs minutes, les sauts se succèdent, le plus souvent sans musique. Pas évidente sur le papier, cette partie est remarquable. Évitant au maximum les gros plans de visages qui induisent l'utilisation de transparences, Frankenheimer privilégie les plans larges sur les cascadeurs. Le spectacle s'avère assez beau, techniquement impeccable, parfois drôle même grâce aux pitreries de Browdy faisant croire à l'assistance, par micro interposé, qu'il a oublié son parachute alors qu'il a déjà sauté dans le vide. Sans élément dramatisant autre que cette tristesse diffuse envahissant les personnages, on craint tout de même, forcément, le drame. Il arrive. Ce sera un drame de la mélancolie.

Il faudrait dire encore bien des choses sur ce film aux riches prolongements : la caractérisation sans faille (Gene Hackman en Browdy, grande gueule obsédée par l'argent, Burt Lancaster en Rettig, retrouvant le temps d'un exposé sur le parachutisme devant une assistance de braves dames le ton vif et charmeur et le sourire ô combien carnassier d'Elmer Gantry le charlatan), le regard sur la foule qui se masse de la même manière autour d'un cadavre qu'autour d'un parachutiste ayant réussi un saut fabuleux, ou le rôle de la météo (la chaleur de la première journée, la fausse piste de la pluie et du terrain trempé...). Bref, tout cela incite à découvrir bien d'autres oeuvres de John Frankenheimer (décédé en 2002), dont le nom est loin de ne s'associer qu'à French Connection n°2.

A lire : Cinétudes (un passage en revue très détaillé de la carrière de Frankenheimer).

Commentaires

  • Vu il ya très longtemps The Gypsy Moths avec la grande Deborah Kerr.Lointain mais bon souvenir.Un crime dans la tête est un bon film aussi sur la manipulation.On ne peut effectivement le réduire à un brulot anti-rouge.

  • Je n'ai vu ni l'un ni l'autre. Pour Une balle dans la tête, je n'ai vu que le remake. Pour the Gypsy Moth, je n'en n'avais même pas entendu parler. Mais je dois dire que je ne connais pas bien la filmographie de John Frankenheimer. Merci pour ce billet très intéressant.

  • Merci. En fait, jusqu'à présent, je n'avais vu que French Connection 2 (il y a fort longtemps et que j'avais aimé). Il y a apparemment beaucoup de films de bonne réputation à découvrir dans la filmo de Frankenheimer, surtout dans les années 60/70 (Le prisonnier d'Alcatraz, 7 jours en mai, Le train, Grand prix, L'homme de Kiev, Le pays de la violence, Les cavaliers, Black sunday). Sur la fin de sa carrière, quelques policiers sont plus ou moins sortis du lot, je me demande ce qu'ils valent (Dead bang, Ronin).

  • J'ai fait un billet il ya quelques mois sur Le prisonnier d'Alcatraz.J'ai appelé ça Doux oiseau de perpete.Vu Le train et Sept jours en mai mais il ya trop longtemps.Ronin,à mon avis n'offre aucun intérêt.

  • Effectivement pour Ronin, un film policier de 98 avec DeNiro en roue libre et Jean Reno, ça donne pas très envie. Idem pour Dead bang avec Don Johnson en vedette.

Les commentaires sont fermés.