Retour vers le futur est un film-pli. Sa construction met en miroir les choses et permet de jouer sur la répétition et le redoublement. C'est ainsi que se justifie notamment cette longue mise en situation familiale réservée au personnage de Marty McFly : elle produira ses bons fruits comiques dans la partie 1955 du film. C'est ainsi, également, que certaines trouvailles de mise en scène ne sautent aux yeux qu'à une deuxième vision. Par exemple, au début, tel cadrage, empreint de second degré, en contre-plongée sur Marty enlaçant sa copine et laissant voir derrière eux l'horloge arrêtée de la mairie. A l'évidence, Zemeckis et Spielberg s'y entendent pour imposer, non seulement l'idée de suite, de série, mais aussi de "culte" et de re-visionnage.
Le plaisir et le sympathique vertige sont bel et bien ("à nouveau", ce que je n'attendais pas forcément, presque trente (!) ans après) au rendez-vous. Bien sûr, l'axe de vision est très spielbergien par la manière dont la famille américaine est vénérée en même temps qu'elle est mise en danger. Ce qui est intéressant ici, c'est qu'elle l'est par le sexe, dans son origine-même, Marty se retrouvant rapidement dragué par sa jeune mère. Le dénouement de la scène principale illustrant ce thème est d'ailleurs, à l'image du film entier, tout à fait ingénieux et il est le seul qui soit "satisfaisant" pour tous : "J'aurais l'impression d'embrasser mon frère, c'est très étrange" avoue Lorraine en se reprenant au dernier moment. De l'autre côté, paternel, Zemeckis offre la possibilité d'un agréable renversement, en faisant du fils le conseiller qui aiguille la vie du père.
Se gardant assez bien de verser dans la pure nostalgie comme dans la moquerie (en 1955, c'est plutôt Marty qui subit les vannes à cause de son "gilet de sauvetage"), Retour vers le futur déroule avec bonheur, vivacité et humour le scénario du fantasme absolu : le saut dans le passé pour faire dévier la trajectoire des choses et des gens et, plus accessoirement, pour se sentir dans la peau de l'inventeur (du rock'n'roll ou du skate board). Notons bien, tout de même, que la réussite d'une vie se mesure pour nos auteurs à la taille de la voiture et au brillant de sa carrosserie et que si le père "devient" écrivain, il ne pond que des best sellers assurant le confort de la famille.
Une fois la machine relancée, Retour vers le futur 2 entraîne dans un tunnel désastreux. En commençant par aller dans l'autre sens, vers l'avenir (qu'il est décidément difficile d'imaginer : pour ce qui a trait aux modes de vie, rien de ce qui est annoncé par le film pour 2015 ne sera effectivement réalisé dans deux ans), le projet s'effondre temporairement. Les lieux, repeints aux couleurs du futur, et surtout les dialogues sont les mêmes, et la répétition lasse. Cela d'autant plus que la surcharge est la norme, dans les décors comme dans les comportements. Pire encore : il faut supporter non seulement l'auto-citation zemeckiso-spielbergienne mais également un ahurissant festival de placement de marques, chaque plan présentant une innovation technique (soit quasiment tous dans cette partie-là) laissant apparaître gracieusement tel sigle connu de tous.
Heureusement, nous étions, en quelque sorte, sur une fausse piste, Zemeckis ayant sans doute conscience de ne pas pouvoir simplement refaire dans le futur ce qu'il avait fait dans le passé. Là-bas, nous y retournons donc. Et ce retour vers 1955 joue à nouveau sur le vertige, de manière moins "profonde" mais au moins aussi divertissante puisque les voyages multiples provoquent cette fois-ci des démultiplications des "moi" et des confrontations insensées. Le recyclage devient décalage du regard : nous voyons autrement les scènes connues, à la faveur des changements d'angle.
Mais le bémol à apporter est assez évident : le nœud dramatique perd de son importance. On se moque un peu, finalement, de ces rebondissements incessants (assez gratuits cette fois). Ces allers-retours dans le temps et ces bouleversements du cours des événements font que tout apparaît assez vain, l'aspect "cartoon" du cinéma de Zemeckis aidant.
Pour éviter la redite, le concept gouvernant Retour vers le futur 3 se devait d'être différent. Hormis introduction et conclusion, tout cet épisode se passe donc à la même époque, en 1885. Plus linéaire et plus simple, il propose moins un voyage dans le temps que dans l'imaginaire cinématographique. Références et clins d'œil n'étaient certes pas rares dans les deux premiers volets, mais cette dimension devient primordiale ici. La meilleure preuve est avancée par la scène du passage d'un temps à l'autre, la machine (la célèbre DeLorean trafiquée) prenant son élan dans un drive in et face à l'écran. Littéralement, Marty, donc, y entre.
Arrivé au Far West, il peut se faire appeler Clint Eastwood (et se servir des idées de Leone pour se tirer d'un duel) et prendre plaisir à marcher dans la grand' rue avec un colt à la ceinture. Il peut aussi constater l'écart séparant la "réalité" de la "fiction". Toutefois, sans doute trop vite après avoir blagué sur la tenue trop voyante et colorée du néo-cowboy ou sa marche dans le crottin, le film abandonne cette piste réflexive. Il est vrai qu'il s'agit avant tout de reproduire les images du western hollywoodien. Ce jeu, ainsi que la maîtrise du rythme et la réussite des morceaux de bravoure, assurent la distraction.
Il était sage, cependant, de s'arrêter là.
RETOUR VERS LE FUTUR de Robert Zemeckis (Back to the future, Etats-Unis, 116 min, 1985) ****
RETOUR VERS LE FUTUR 2 de Robert Zemeckis (Back to the future Part 2, Etats-Unis, 108 min, 1989) ****
RETOUR VERS LE FUTUR 3 de Robert Zemeckis (Back to the future Part 3, Etats-Unis, 118 min, 1990) ****
Commentaires
J'ai bien aimé en son temps cette cohérente trilogie.Mais comme tu le dis si bien,il était sage de s'arrêter là.
A vrai dire, Eeguab, je ne m'attendais pas à retrouver de manière aussi agréable le premier épisode. En revanche, je n'avais pas vu les deux autres à l'époque.
C'est amusant comme coïncidence, nous parlions sur Twitter des films fantastique / SF qui nous avaient marqué pendant notre adolescence. Il y avait "Wargames" de Badham et "Une créature de rêve" de Hugues. Celui-ci (je parle du premier opus, le meilleur) aurait très bien pu y figurer.
Oui pour "Wargames", mais je m'en rappelle vraiment très mal, ne l'ayant jamais revu, ni en entier, ni en extraits. En revanche, je ne connais pas le Hughes.
on les voit pas tes étoiles mec
Faut que l'écran soit bien réglé. Mais je dirai que, de toute façon, c'est fait exprès, afin de ne pas trop se focaliser dessus.
Ok, mais on passe tout de même dans cette critique à côté de l'essentiel du film. La grande force de Zemekis ce n'est pas d'avoir bien reconstitué les années 50 ou d'avoir bien imaginé le futur, mais d'avoir incorporé des éléments fabuleux qui sont rentré dans l'imaginaire collectif de toute une génération: la Dolorean, le convecteur temporel, l'hooverboard,et surtout doc. A l'image de ce prof à la folie douce, c'est en caricaturant mieux tous les passages obligés du voyage dans le temps que cette trilogie a sur créer sa propre identité. D'ailleurs le 3ème opus (et non le 2ème) et de fait le moins bon car il délaissait justement l'imaginaire au profit d'un ancrage trop concret dans le far west, faisait perdre de sa singularité au concept.
Abitbol, plutôt que des critiques, vous trouverez ici (et de plus en plus) des "notes", donc forcément lacunaires. Et donc appelées à être éventuellement complétées et discutées via les commentaires.
Par ailleurs, je ne dis nulle part que la force du film est la reconstitution du passé ou l'invention du futur (au contraire même, pour ce dernier point).
Toutefois, vous avez raison sur l'imaginaire collectif et le jeu à partir des éléments constitutifs des récits de voyage dans le temps. Cela dit, à mon sens, ce jeu apparaît très naturel, jamais forcé, jamais coincé dans le référentiel.
Enfin, je trouve finalement le 2 et le 3 assez proches au niveau qualité. Je mets bien sûr le 1 à part, mais je ne sépare pas les deux autres (qui ont été réalisés l'un dans la foulée de l'autre me semble-t-il). Les idées de départ sont différentes mais ce changement était à mon avis nécessaire (sinon on tombait dans la "série" au sens plus simple de la série télévisé).