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israël

  • Le policier

    policier.jpg

    Commençons par la fin. Le policier se termine sur une confrontation, mais dans laquelle l'un des deux antagonistes reste en position dominante. L'insistance sur son regard, dirigé vers l'autre, a pour but de faire naître sans doute le sentiment d'une prise de conscience. Le dernier plan est pour lui, comme l'est le titre du film, qui ne s'appelle pas Le policier et la terroriste.

    Pourtant, la construction s'affiche en deux panneaux, deux parties successives et bien distinctes, dont les ingrédients ne se voient mêlés que dans une troisième. La synthèse succède ainsi à la thèse et à l'antithèse. Il me semble cependant que, au-delà des détails que j'ai évoqués en introduction, l'édifice est déséquilibré.

    La première partie est très supérieure à la deuxième. On y sent une adéquation entre la rigueur de la mise en scène (espace et temps) et la description d'une vie placée sous le signe unique du rite social. Si le membre de la brigade israélienne anti-terroriste qui nous est longuement présenté n'est pas montré en action mais avec sa femme enceinte, sa famille et ses amis (qui sont aussi ses collègues), ses activités domestiques ou de loisirs s'avèrent aussi ritualisées que son travail. Par ce seul biais du quotidien, le cinéaste montre très bien la puissance d'une idéologie particulière, fondée sur le conservatisme, le sens de l'honneur, le machisme, la virilité, le culte du corps, l'esprit de groupe. En apparence chaleureux (soins tendres prodigués à l'épouse, tapes amicales et incessantes dans le dos des copains, amitiés indéfectibles), le portrait du policier laisse peu à peu deviner l'envers du tableau et finit par faire froid dans le dos, la rigidité, déjà peu attirante, du bonhomme masquant des arrangements moraux plus détestables encore. Cette sensation culminerait avec l'affreux "gag" du collègue cancéreux tabassant, bien après les autres, le temps d'arriver essouflé, le voleur de fleurs du cimetière. Nul doute qu'à travers son personnage de policier c'est la société elle-même que cherche à démasquer Nadav Lapid.

    Il continue dans la deuxième partie. Seulement, en voulant celle-ci en miroir, il impose un discours qui paraissait jusque là plus subtil. Délaissant son flic, il s'intéresse à quatre gauchistes décidés à passer à la lutte armée contre les riches. Cette fois, la vacuité de l'action est évidente, pointée dès le départ. Ces jeunes révolutionnaires bien nés, se réunissant dans le loft luxueux de parents, nous sont tout de suite antipathiques. Le regard de Lapid est trop distant et comme sa méthode reste la même, les états d'âme et les préparatifs du commando deviennent assez mornes. La réflexion n'est plus prolongée par la mise en scène, l'image ne disant rien de plus que ce qu'elle montre.

    Le film a alors du mal à repartir avec sa troisième et dernière partie, longue et froide. Froide alors qu'elle aurait dû être réchauffée par quelque émotion ou bien, à l'opposé, complètement glaçante (la "politique-fiction" est peut-être trop évidente pour que l'on soit véritablement bouleversé ou sidéré). Voulant établir, sous un angle assez original, un constat inquiétant sur les maux endémiques de son pays, Nadav Lapid, qui ne semble pas manquer de talent, s'est fait en partie piégé par son appareil théorique.

     

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    policier00.jpgLE POLICIER (Ha-shoter)

    de Nadav Lapid

    (Israël / 105 min / 2011)

  • Lebanon

    (Samuel Maoz / Israël - Allemagne - France - Liban / 2009)

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    lebanon.jpgBien qu'il me fut chaudement recommandé, je dois dire que Lebanon m'a laissé pour le moins circonspect. Le dernier Lion d'or de Venise est un film "à dispositif", la place de la caméra y étant strictement circonscrite à l'intérieur d'un tank. Les seules images de l'extérieur nous viennent du viseur de l'un des quatre membres de cet équipage partant en opération au premier jour de la guerre du Liban (en 1982).

    Cette idée de la "caméra-viseur" est a priori la plus intéressante puisqu'elle devrait charrier toutes les problématiques autour du cadre et du hors-champ, du proche et du lointain, du dedans et du dehors. Or l'utilisation qui en est faite ne m'a guère satisfait. Le recours à ces images ne semble guidé que par le scénario, l'événement, et, par extension, par la démonstration de l'effet psychologique que provoque sur le tireur (inexpérimenté) la découverte de cadavres ou de civils en détresse. Dans un élan très appuyé et plutôt déplacé, le metteur en scène ponctue de surcroît ces séquences de regards-caméra (donc de regards-viseurs) lancés par certaines victimes.

    Lorsque la caméra se limite à cadrer les occupants et l'architecture interne du char, le film peine pareillement à s'élever au-dessus des conventions. Du point de vue de la forme, les gros plans sur les visages lassent assez rapidement par la lourdeur de leur signification. Sur le fond, les rapports entre les personnages n'apportent rien de neuf sur le confinement militaire. Nous avons droit aux inévitables doutes sur les capacités du nouveau, à la crise du tireur, à la remise en cause des ordres jugés inadéquats, bref, au petit théâtre classique de l'affrontement verbal entre soldats.

    Mais Lebanon me semble poser problème sur un autre point. Absolument tous les militaires israéliens apparaissant à l'écran sont présentés de manière positive, y compris le lieutenant au ton froid et cassant, qui ne veut finalement que le bien de ses hommes et le bonheur de leurs familles. Les propos atroces sont proférés par un phalangiste libanais, les victimes collatérales sont touchées par des tirs aux origines non désignées et si un tireur israélien est identifié, son geste n'est effectué que sous une pression insupportable. Plus largement, bien que l'action soit située clairement, l'armée de Tsahal n'est jamais questionnée sur un point précis. La réalisation de Lebanon a manifestement servi de thérapie à Samuel Maoz, qui a lui-même vécu l'expérience de la guerre. Il a voulu nous en faire partager la tension, la peur et la folie, de manière viscérale (ce qu'il réussit très bien : une certaine nausée et... l'envie de pisser peuvent survenir pendant la projection), mais la culpabilité qui s'y fait jour touche à un objet bien vague : il est terrible d'avoir à tirer pour la première fois sur un homme... certes, certes... Ne serait-ce que sur ce plan-là, Valse avec Bachir allait tout de même beaucoup plus loin.

    (Présenté en avant-première au Festival du Film d'Histoire de Pessac, sortie française le 13 janvier 2010)

  • Free Zone

    (Amos Gitai / Israel - Belgique - France - Espagne / 2005)

    freezone.jpgEn un long plan-séquence serré, Amos Gitai filme Natalie Portman en pleurs, assise à l'arrière d'une voiture, au son d'une chanson israélienne jouant sur la répétition des phrases. Les premières minutes de Free Zone sont aussi radicales que l'étaient les dernières du Vive l'amour de Tsai Ming-liang (1994) où l'on voyait de même une femme se mettre à pleurer sans pouvoir s'arrêter. Ici, les gestes de l'actrice américaine qui, en essuyant ses joues perd son maquillage, prennent la forme d'un dépouillement des artifices, nécessaire à l'immersion d'une figure occidentale dans la réalité brute du Proche-Orient. En imposant ce dispositif d'emblée, le cinéaste accroche le spectateur mais, en ne s'y tenant pas exclusivement par la suite, prend le risque de relâcher la pression.

    Dans cette voiture que nous quitterons rarement, entre la jeune américaine Rebecca, souffrant d'une rupture amoureuse, et Hanna, sa conductrice israélienne en route pour la Jordanie, les enjeux sont mystérieux et ne s'éclairent que très lentement. L'emploi inhabituel et assez beau de la surimpression (une conversation douloureuse sur les images du voyage) permet l'affleurement du traumatisme de Rebecca. Derrière les vitres du véhicule, le réel pèse de tout son poids (paysages, populations, passage tendu de la frontière). Free Zone captive pendant vingt minutes.

    L'attention se porte ensuite plus précisément sur Hanna. Son histoire, bien que plus dramatique, passionne déjà beaucoup moins, explicitée qu'elle est par un flash-back des plus classiques. Mais lorsque le trio féminin se trouve formé (les deux femmes rencontrent Leila, palestinienne dont le mari doit de l'argent à celui d'Hanna) le film s'affaisse considérablement. Le fond documentaire s'efface et laisse la place à de vaines agitations chorales (une séquence d'incendie de village ou un ultime et confus passage de la frontière). Les comédiennes se livrent à des performances théâtrales (non pas Natalie Portman, qui reste d'une grande sobriété, mais ses deux acolytes), au rythme de dialogues maladroits et empesés (ce road movie paraît bavard). Que Gitai laisse un moment dans l'ombre certains éléments, voilà qui est stimulant. Que ses personnages prennent à leur tour le relai en parlant eux-mêmes par énigme sans raison particulière (voir les atermoiements de Leila dans son bureau puis au village), cela devient fatigant.

    Il est difficile, voire impossible, partant de ces personnages-là, d'échapper à la symbolique politique mais Gitai aurait pu fluidifier un peu plus son récit, ce qui nous aurait éviter de passer, sans transition et sans nécessité autre que celle du message, du moment de partage dans la voiture autour d'un morceau de musique à l'engueulade finale entre l'Israélienne et la Palestinienne. Le début de Free Zone annonçait un jeu kiarostamien avec le réel, du fond duquel la politique ferait quelques signes. Malheureusement, le cinéaste a choisi une autre voie, celle des histoires intimes qui traduisent littéralement une situation géographique, et les insuffisances du scénario, l'inégalité de l'interprétation et, malgré de beaux plans, les valses-hésitations de la mise en scène (dans la voiture ou à l'extérieur, reportage ou allégorie...) ne parviennent pas à capter notre attention jusqu'au bout.

  • Valse avec Bachir (2ème)

    Bachir 08.jpgSi la frontière entre documentaire et fiction a été, dès le départ, arpentée par bien des cinéastes, on assiste depuis plusieurs années à une flambée de projets mêlant indissociablement les deux registres, le spectre allant des pires docu-fictions télévisées aux oeuvres les plus originales de grands documentaristes. Dans son programme, le festival de Cannes 2008 nous promettait vaguement un "documentaire d'animation" en sélection officielle. Au final, Valse avec Bachir surprenait tout le monde (sauf le jury cannois) et s'imposait comme l'un des grands films de l'année écoulée, dépassant totalement son statut initial de curiosité cinématographique...

    (la suite de cette chronique dvd, s'ajoutant à ma première note sur le film, est à lire sur Kinok)

  • Valse avec Bachir

    (Ari Folman / Israël - Allemagne - France / 2008)

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    valsebachir.jpgValse avec Bachir (Waltz with Bashir) est, au départ, un documentaire, auquel s’ajoutent des séquences de rêves et de souvenirs, de fiction donc, le tout étant soumis, chacun le sait maintenant, au traitement du cinéma d'animation. Documentaire et fiction : le voisinage de ces deux termes au sein d’une oeuvre cinématographique est toujours extrêmement délicat à manier. Il se trouve qu'ils sont ici dépassés, neutralisés et unifiés par le troisième, l'animation. Quelque chose d'unique se produit sous nos yeux (comme tout le monde, sans en être totalement sûr, je suppose qu’Ari Folman agit en précurseur et crée un nouveau genre) : la question de la frontière entre réalité et fiction ne se pose absolument pas, l'entremêlement des divers registres n’est jamais un problème. Avant la projection, je croyais que le mode d’expression choisi permettait à l’auteur de toucher le non-représentable. Or, il ne s’agit pas vraiment de trouver une autre voie pour approcher l'insoutenable (la guerre et les massacres). Les images dessinées de Valse avec Bachir ne brisent pas de tabou et la violence qu'elles montrent ne va pas au-delà des limites de la représentation habituelle. Non, l'intérêt est ailleurs : dans la création d'un objet esthétique singulier et cohérent, qui agrège des éléments aussi disparates que des entretiens enregistrés, des récits de guerre et des cauchemars. Valse avec Bachir, c'est une certaine ambiance, une certaine lumière.

    Car avant d'être un film sur la guerre, c'est un film sur la mémoire. Ari Folman a fait la guerre du Liban en 1982 mais semble n'en avoir gardé aucun souvenir. Il a donc décidé d'interroger des psychanalystes et des compagnons d'armes, de façon à rassembler le plus d'éléments possibles et peut-être de déclencher un retour de mémoire. L'enquête est donc menée plus sur lui-même et sur son rapport à un passé traumatisant que sur un événement dont le contexte, les raisons et les acteurs sont déjà connus (les massacres des réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, perpétrés par les Phalangistes, milice chrétienne libanaise, et facilités par la passivité des militaires israéliens occupant cette partie de Beyrouth). Tirés des enregistrements réalisés, les propos psychanalytiques sont passionnants et dits avec naturel. De même, les paroles des anciens soldats sont porteuses de détails et lâchées dans des phrasés qui ne peuvent se révéler que par le documentaire (autant que les saisissants récits de combat, les moments consacrés à l'arrière, à la vie qui y continue, sont très touchants). Vérité et esthétique : Ari Folman joue et gagne sur les deux tableaux.

    Comme toujours en animation, il faut un certain temps avant de s'habituer au style (Folman a d'abord filmé classiquement ses entretiens et a ensuite tout numérisé et animé). Les mouvements sont à la fois saccadés et ralentis, les dessins à gros traits laissent saillir des détails importants (les regards surtout) : cela s'accorde finalement très bien avec la thématique, celle d'une recherche introspective, d'un flottement à l'intérieur de soi. Certaines séquences sont plastiquement superbes, en particulier toutes celles qui montrent la mer.

    Au terme d'une progression parfaite où tous les niveaux (chronologie des événements passés, remontées des souvenirs...) convergent vers le même point, Ari Folman a recours in extremis à des images d'archives bien réelles de femmes palestiniennes en pleurs et de cadavres. La séquence peut heurter dans le sens où elle semble soudain en contradiction avec la recherche d'une autre voie qui a précédé. Mais on peut aussi bien trouver, comme je suis enclin à le faire, des justifications fortes. D'une part, telles qu'elles sont montées, ces images arrivent comme contrechamp du regard du soldat Folman. Il est parvenu au bout de sa recherche et revoit enfin clairement la réalité. D'autre part, l'effacement de toute frontière entre documentaire et fiction ayant eu cours magistralement pendant 90 minutes, sans doute n'est-il pas inutile de marteler cette évidence : cela a été.

  • La visite de la fanfare

    (Eran Kolirin / Israël / 2007)

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    380f54e5b72e2f9e4f9c36cfbf983e53.jpgSéance de rattrapage du film-surprise de la fin de l'année dernière. Un peu partout ont été salués, à juste titre, la finesse du traitement, la qualité de l'interprétation, l'humour pointilliste et la belle manière de dire beaucoup à partir de trois fois rien. L'éclatante réussite du premier film d'Eran Kolirin tient d'abord à la volonté de confronter non pas deux cultures, mais des solitudes. Aucune allusion politique directe n'est faîte. Ce ne sont que des histoires personnelles qui s'échangent.

    La fanfare de la police du Caire débarque par erreur dans un bled paumé d'Israël. Partant d'un tel postulat, évacuer tout discours sur le conflit israëlo-arabe est un exploit. Kolirin dit ne pas avoir voulu faire un film sur la paix car plus on en parle, plus il y a la guerre. Il faut donc repartir d'en bas : travailler l'humain, gagner une conscience après l'autre. On s'autorise donc la nostalgie d'une culture partagée des grands mélos du cinéma arabe, on façonne des personnages au gré de séquences savoureuses dont l'assemblage distille petit à petit une belle émotion. Exemplaire, la scène dans le parc entre Dina et le chef de la fanfare passe de l'impossibilité d'expliquer ce que l'on ressent à conduire l'orchestre à un flot descriptif sur le plaisir de la pêche puis à une confession émouvante, lâchée comme par mégarde. Séquence d'un charme fou, parmi d'autres, à l'image d'un film qui diffuse ainsi, à force de petites touches, sa belle musique jusqu'à un concert final qui n'a pas besoin de signer une apothéose émotionnelle mais qui se pose plutôt là comme une jolie virgule.