(Sandrine Bonnaire / France / 2007)
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L'une des soeurs cadettes de Sandrine Bonnaire est atteinte d'une forme d'autisme. Autonome jusqu'alors, son état s'est considérablement dégradé à la suite d'un long séjour de 5 ans en hôpital psychiatrique. Enfin accueillie plus tard dans une structure adaptée, c'est ici que l'actrice la filme, pendant plusieurs jours de l'année 2006. A travers le portrait de sa soeur, Sandrine Bonnaire veut pointer du doigt le manque de moyens alloués par les pouvoirs publics en termes de traitement du handicap et dénoncer les dérives de l'hospitalisation et de la médication à outrance. Avec un tel projet, elle aurait pu se contenter d'une mise en image explicative, sous forme de tract émotionnel ratissant le plus largement possible pour servir sa cause. Resterait alors à prendre acte, saluer l'engagement et passer à un autre film. Sauf que ce documentaire est bien plus que cela. Sans atténuer la clarté et la détermination de son engagement, Sandrine Bonnaire prend en compte les leçons de Depardon ou Philibert pour ne pas tomber dans le "reportage Envoyé spécial" (l'expression est d'elle-même). Point de confusion des genres donc : les rares entretiens sont filmés comme tels, avec un cadre fixe, et la vérité des instants captés sur le vif, même si ils peuvent être provoqués, s'oppose toujours à ces séquences des reportages télévisés sentant le "rejoué" à plein nez. Ne reculant pas devant ces moments où la réalité de l'autisme s'impose à nous dans toute sa violence incompréhensible (gestes dangereux, insultes...), le film sait aussi prendre son temps en accompagnant les journées d'un petit groupe de patients. Une construction remarquable et l'utilisation particulièrement forte d'images familiales achèvent de lever les derniers doutes sur un geste très réfléchi de cinéaste.
Le commentaire explique calmement la trajectoire de Sabine et les aberrations d'un système de santé en manque de moyens. La dénonciation passe par là, très simplement, mais aussi et surtout par la confrontation régulière de deux sources d'images : celles tournées dans le foyer charentais et celles d'avant l'internement, lorsque tout allait bien. Ces petits films familiaux où la jeune femme apparaît avec son dynamisme, ses cheveux longs et trente kilos de moins, le montage les insère très adroitement, créant d'entrée un choc puis développant un fort sentiment de nostalgie d'un bonheur perdu. Si Sabine est évidemment au centre du documentaire, le fait que ce soit Sandrine Bonnaire qui en soit l'auteur et qu'elle soit si fortement là, derrière sa petite caméra, donne encore au film une autre dimension. Les apostrophes incessantes et parfois fatigantes (ce sont toujours les mêmes questions) de Sabine envers sa soeur qui filme ont l'effet d'impliquer un peu plus, si il est possible, cette dernière. Sa position ne donne jamais l'impression de voir la star en voyage au pays du réel. Il est vrai que l'actrice a toujours été l'une des rares à refuser les compromis vers lesquels peut l'entraîner son statut et à laisser deviner que chez elle, bien que farouchement séparées, l'image publique ne contredisait pas l'image privée.
Ceux qui souhaitent s'informer sur les dures réalités de la prise en charge des personnes handicapées peuvent aller voir ce film. Ceux qui craignent n'y trouver qu'un message humaniste délivré par une vedette peuvent y aller aussi; ils y découvriront une belle réflexion sur la manière de traiter de la façon la plus juste possible un sujet intime et à fort potentiel émotionnel.
Commentaires
Une belle réussite ce documentaire... En dehors des informations et de la communication faite sur son "sujet", il y a deux grands moments de cinéma: le premier lors de l'interview du jeune autiste-epilleptique où Sabine surgit soudainement à l'arrière plan et ou sa soeur choisit de n'absolument pas varier le cadre. Puis lorsque Sabine elle même visionne les homes movies présentés aux spectateurs en alternance précedemment... On se demande si ce ne sera pas limite et c'est bouleversant.
Oui, dans les deux cas, le fait que cela passe si bien en évitant le chantage aux sentiments, cela tient certainement à cette fermeté du cadrage et à la longueur des plans. On sent vraiment que S. Bonnaire s'est posée mille questions sur "Comment filmer juste, comment être à la bonne distance, comment faire passer l'émotion...". Méfiant au départ, j'ai été étonné par la maîtrise de l'ensemble.