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Le port de la drogue

(Samuel Fuller / Etats-Unis / 1953)

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640093039.jpgLe pickpocket Skip McCoy, officiant dans le métro, plonge sa main dans le sac d'une brunette et la soulage de son portefeuille. Au milieu des billets, il trouve un microfilm. Le voilà entre deux feux : une groupe d'espions à la solde des communistes et la police, sans compter le double-jeu mené par la jeune femme qu'il a dupé. L'histoire des mésaventures françaises de Pick up on South Street est assez connue, mais il est toujours plaisant de la rappeler (un bonus concis mais édifiant s'en charge sur le dvd édité par Carlotta). Devant la virulente propagande anti-rouge véhiculée par le film, les distributeurs d'ici décidèrent, par le détournement des dialogues de la version française, de transformer les informations liées à la défense nationale contenues dans le microfilm en données sur la fabrication d'une nouvelle drogue et les agents communistes en dealers de came. Voici pourquoi Pick up on South Street est devenu en France Le port de la drogue, alors que la version originale n'évoque jamais la moindre substance illégale.

Les rares films de Samuel Fuller que je connaisse (Violences à Park Row, Quarante tueurs, Au-delà de la gloire) m'ont tous intéressé mais sans beaucoup de passion. Le port de la droguen'échappe pas à ce que j'espère ne pas être finalement une règle. Fuller, à chaque instant cherche l'efficacité. Chez lui, un plan doit faire passer une idée claire. L'expressivité doit être totale, quitte à ce que cela heurte la fluidité du récit. Il me semble qu'une des conséquences est un manque de liberté laissée au spectateur. Une autre est l'absence de réalisme. Le cinéaste se plaisait à propos de ce film à mettre en avant sa connaissance de ces personnages des bas-fonds. Quelques séquences, telles la formidable introduction dans le métro, l'atteste. Mais pour ce qui est du réalisme qui naît de la narration et des comportements, il ne faut pas le chercher dans Le port de la drogue. Les rôles féminins, si importants dans un film noir, posent problème. Jean Peters, ailleurs très à l'aise (Capitaine de Castille, Viva Zapata, Bronco Apache), surjoue la femme fatale à coup de répliques mensongères grosses comme une maison. Quant au personnage de Moe (Thelma Ritter), il est censé attirer notre sympathie. Seulement, cette informatrice de police qui garde son bon coeur, qui donne des noms sans trahir vraiment, s'avère plus pathétique qu'autre chose. La scène où elle voit sa fin arriver est certes brillante mais trop détachée du reste : elle est fatiguée, mais on nous le dit trop tard (trente secondes avant, quand Skip remarque qu'elle n'en peut plus) et de façon trop voyante. Ces derniers moments de Moe montrent aussi que l'argument anti-rouge plombe trop lourdement le film. La paranoïa et la révulsion de certains envers les communistes est peut-être bien observée, mais elle tombe souvent dans la ridicule. Il en est ainsi de l'échange entre Moe, la patriote, et l'espion hystérique (ce qui aida bien les distributeurs français à faire passer ce dernier pour un dealer).

Je dois paraître sévère, mais je tente de comprendre ce qui m'empêche d'apprécier totalement, encore une fois, le génie de Fuller. Je reconnais tout à fait qu'en termes de mise en scène, certains moments sont mémorables (les éclats de violence envers Candy, l'introduction dans le métro déjà évoquée et son pendant, la bagarre sur le quai, au dénouement). La plupart des mouvements de caméra et les transitions à base de fondus enchaînés sont d'une réelle beauté. Richard Widmark, enfin, dans son emploi habituel, fait son travail.

Commentaires

  • J'anticipe un peu sur le futur "Etes vous fullérien", je le suis, très fort. Peut être que ce qui te gène chez lui, c'est son côté authentiquement série B. Comme Boetticher, comme Carpenter, leurs films sont très carrés et peuvent parfois paraitre un peu secs. Ceci dit, "The big red one" est celui de ses films qui s'éloigne le plus de cette affirmation (il y prend plus son temps), quoique les contraintes budgétaires l'ont amené à faire des choses étranges au premier abord. Celui-ci n'est pas forcément son meilleur, je te recommande "Les bas fonds de NY", "The naked kiss", "Shock corridor" et "Le jugement des flèches". les derniers sont un peu plus faibles. "Quarante tueurs", c'est quand même assez renversant.

  • Pour le côté série B, je ne sais pas trop si c'est vraiment ça. Si je compare avec Carpenter peut-être (ses "classiques" ne me bouleversent pas spécialement). Mais j'aime bien Joseph Lewis et beaucoup Tourneur. Il y aurait aussi un parallèle à faire avec le style d'Aldrich, lui aussi très "expressif", parfois jusqu'au grotesque.
    J'ai peu de souvenirs précis de "Park Row" et "40 tueurs". En revanche, j'ai vu il n'y a pas si longtemps "The big red one/Au-delà de la gloire". Il m'a semblé très cahotique dans sa narration, passant de moments fulgurants à des pauses parfois délibérément vulgaires, hésitant constamment entre un réalisme novateur et l'imagerie hollywoodienne. Pour celui-ci aussi, mon sentiment est mitigé.
    Les 4 titres que tu cites reviennent souvent chez les admirateurs de Fuller, j'aimerais bien les voir effectivement, avec "La maison de bambou" ou "Les maraudeurs attaquent" (je ne sais pas trop pourquoi, peut-être juste leurs titres).

  • bonjour,

    j'adore ce film, mon préféré de Fuller. Il me semble qu'il ne faut pas y chercher du "realisme" autre que de surface (le vernis documentaire de la description des bas-fonds). Fuller peint des personnages mus par leurs pulsions, quitte a parfois faire dans l'outrance. D'où peut être votre gêne vis a vis du jeu de Jean Peters. De même les séquences de bagarre sont particulièrement violentes. Mais cette violence n'est jamais complaisante. Un plan sur un mec qui dévale des marches sur le menton suffit a Fuller pour rendre l'horreur de la violence. Chez lui, l'expressivité ne se fait pas au détriment de la concision et d'une certaine économie des moyens. Il n'a pas besoin de de ralentis sanguinolents pour montrer l'horreur de la violence (suivez mon regard...). Et cette mise en scène lyrique n'empêche pas une grande dignité dans la représentation des personnages, ainsi de l'émouvante séquence de l'assassinat de Moe, personnage évidemment pathétique et c'est ce qui le rend si intéressant.
    Quant a la supposée lourdeur politique, je ne suis pas d'accord une seule seconde, ce qui est intéressant dans ce film, ce sont les personnages, leur relations, leur évolution. Les méchants sont la en tant que faire-valoir. c'est ce qui a rendu aussi facile la traduction du film. Voyez le film dans sa VF, c'est le même a ceci près que le contenu du microfilm devient la formule d'une nouvelle drogue.

    quant aux films de Fuller, outre ceux recommandes par Vincent, permettez moi de vous recommander J'ai tue Jesse James, coup d'essai, coup de maitre. En revanche, La maison de bambou m'avait déçu, j'avais trouve ca assez impersonnel.

  • Vous pointez assez bien ce qui m'a gêné dans ce film. En effet, le réalisme n'est que de surface. D'autre part, il est difficile de jouer sur les ruptures, sur l'outrance des caractères et de provoquer tout de même l'attachement aux personnages et l'émotion. C'est notamment pour cela, que je ne trouve pas la séquence de la mort de Moe, si brillante soit-elle, aussi émouvante que vous.
    Démonstratif est le mot qui me vient à l'esprit : pour certains effets et pour le message politique (pas pour la violence, je vous l'accorde, même si pour ma part, je peux aimer qu'elle soit rendue dans toute sa sècheresse comme dans une débauche de ralentis). Le bonus dont je parle dans ma note, à propos des différences VF/VO, montrait quelques extraits en parallèle des deux versions. La transformation des communistes en dealers était effectivement très facile. Je persiste à trouver l'aspect idéologique lourd, par exemple en entendant toutes les dix minutes ces diatribes anti-rouges, venant de tous ces petites gens vivant dans la marge.
    Merci pour votre commentaire. Et je note sur mes tablettes ce Jesse James.

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