(Xavier Beauvois / France / 2005)
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Avec Le petit lieutenant, Xavier Beauvois tente de faire une photographie de la police au travail, comme Tavernier le fit en 1992 avec L.627. En suivant un jeune diplômé qui débarque dans une brigade criminelle à Paris et en filmant son quotidien, le cinéaste s'est voulu au plus près de la réalité. Or, première incongruité dans cette optique, il ne distribue dans les rôles de policiers que des visages connus. Cette équipe est donc composée de Nathalie Baye, Jalil Lespert, Roschdy Zem, Antoine Chapey et Beauvois lui-même. On peut ajouter Jaques Perrin en juge. Inutile de dire que, malgré le savoir-faire de chacun, l'effet de réel recherché en prend déjà un coup.
Pour mieux faire passer la pilule du didactisme, le cinéaste nous fait partager le regard du nouvel arrivant sur ce petit monde. Le problème, c'est qu'il veut absolument tout traiter, tout dire. Nous avons donc un catalogue de personnages (Beauvois, fidèle à son image de rebelle du cinéma français s'est réservé le rôle le plus réac et le plus violent) et de situations reflétant toutes les contradictions qui tiraillent la profession. Donc : Les flics boivent, mais pas toujours; il y a des cons, mais d'autres respectent les lois de la République; c'est pas facile d'entrer dans la police quand on est d'origine maghrébine, quoique ça dépend dans quelle brigade tu te retrouves. Bref, comme le dit l'autre dans sa chanson : "Y'en a des bien". C'est sans doute cette volonté d'exhaustivité qui fit écrire à certains que Beauvois avait réalisé là un grand film humaniste.
L'autre terme retrouvé dans bien des critiques était "regard documentaire". Il est vrai que l'accent est mis sur la routine et que le fil conducteur est une enquète plutôt banale (le point de départ en est le meurtre d'un SDF). L'intention est louable mais la mise en scène a vraiment du mal à suivre. Neutralité de l'image, cadrages passe-partout, dialogues parsemés de répliques qui font mouche ("On nous a filé le fils de Colombo !") bien surlignées par le découpage hyper-classique : la différence avec un téléfilm ne saute pas vraiment aux yeux. On est loin d'une interrogation du réel. Autre aspect désagréable : les blagues de bureau. Chacun, quelque soit son activité, doit connaître ça, pas toujours fier de ses rires. Alors les voir sur un écran... La scène du pétard fumé dans la rue par Baye et Lespert, qui se termine de façon très prévisible par la sympathique mise en garde du jeune homme ayant tiré une taffe avec eux, m'évoque exactement ça : ces moments professionnels et comiques que l'on se remémore entre collègues jusqu'à l'overdose. De plus, quand Beauvois sort du documentaire, c'est pour faire de la bonne vieille psychologie. Car la patronne, alcoolique repentie, retrouve dans le petit lieutenant son fils disparu très tôt.
La barque est donc sacrément chargée. Qu'est-ce qui l'empêche, selon moi, de couler complètement ? Tout d'abord mon attachement à Jalil Lespert, acteur que j'ai toujours trouvé très intéressant, arrivant dans chacun de ses rôles (chez Cantet, Guédiguian, Resnais) à dépasser son apparente lourdeur. Ensuite, ce changement de point de vue inattendu, au milieu du récit. Procédé toujours intriguant, même si il n'est pas ici totalement assumé. Et enfin trois instants de violence éclatants sans prévenir : deux actes sanglants brutaux et anti-spectaculaires, à l'arme blanche, puis par balles, et un coup de fil annonciateur du pire (un plan qui dure un peu plus que les autres, le temps de nous laisser nous demander pourquoi, avant de laisser tomber le couperet).
PS : Le Dr Orlof a été plus rapide que moi à dégainer. Allez donc lire son avis (pas plus enthousiaste).
Commentaires
Bonjour Ed, comme je l'ai dit chez Dr Orlof, ta critique et la sienne sont un peu dures pour ce film qui prend son temps, où il n'y a pas vraiment d'action mais c'est plutôt les états d'âmes de flics de base qui ont "ras le képi" pour certains ou alors ont encore des illusions (pour un en particulier (Lespert)), il débute. Il le paie de sa vie. Je ne vois pas vraiment cela comme un documentaire mais un instantané de plusieurs vies. Mais il est vrai que je n'ai pas revu le film depuis sa sortie en 2005. Mes goûts ont peut-être angé.
Rien à ajouter (bien vue la référence à Didier Super!) Catalogue sociologique, intentions surlignées au stabilo et mise en scène platounette : je n'arrive toujours pas à comprendre l'enthousiasme qu'a pu susciter ce film...
Dasola, je pense que derrière le fait de prendre son temps et de filmer toute la banalité du travail, il y a vraiment une envie documentaire, mais la forme est tellement plate... Et cette platitude en fait d'autant plus resortir, je pense, la lourdeur des éléments psychologiques.
DrOrlof, je n'ai pas non plus d'explication.
Vu hier soir, je n'adhère pas du tout à ta critique. J'y ai vu un parallèle avec les films de Boisset, mélange de fiction et de réel, film contemporain. Mais fiction avant tout. Les personnages sont attachants, le meurtre d'Antoine est d'une grande brutalité, ça m'a secoué. 3* sur 4 en ce qui me concerne. ;-)
Julien, ton commentaire m'a poussé à relire ma note car j'ai (volontairement) plus ou moins oublié ce film.
Cela dit, comme je l'ai écrit à propos des Dieux et des hommes (que je trouve bien meilleur), Beauvois est un étrange cinéaste, inégal, difficile à cerner...
(sinon, je ne connais pratiquement rien de Boisset. Il faudrait que je me penche dessus un de ces jours. Malgré une réputation peu flatteuse, il me semble que quelques uns de ses films valent le coup...)
J'en ai déjà discuté avec Dr Orlof, effectivement, il n'aime pas les films de Boisset. Je te conseille, néanmoins : Le Juge Fayard, Taxi Mauve et Le Prix du Danger. Attention : fictions "sociales", au gros trait. Contemporain d'une époque, donc films vieillis (c'est aussi le risque de ces productions).
Je viens de lire et commenter chez le Doc, je vois que ni lui ni toi ne parlez de la scène du meurtre, qui est pourtant la focale du film, bizarre... J'ai vécu le film en immersion de la 1ère à la dernière minute et, même si je reconnais ses défauts (un trop grand œcuménisme, une volonté de réel trop appuyée, un langage cinématographique pauvre) le film a produit, à mon avis, exactement l'effet recherché par son auteur. Une meilleure compréhension de ce métier de fou (quoique, à cet égard, Faist Divers de Depardon est tout-à-fait édifiant) et un voyage au cœur d'une fiction, avec un grand attrait pour ses deux personnages principaux.
Je le redis ici (par rapport à chez le Doc), mais le choix de Jalil Lespert (pour une fois : je n'aime pas du tout cet acteur transparent et lisse) est vraiment judicieux. Il est tellement rempli de candeur, qu'on arrive à ressentir le choc de sa mort, pour sa chef (il n'y avait pas besoin d'insister sur le transfert psychologique - et je ne dis pas que le film est exempt de défauts) et son équipe. C'était un bleu, un provincial mal dégrossi, qui n'était pourvu que de sa volonté et de son angélisme.
Je persiste donc : un film intéressant, qui en dit plus sur son époque que sur le cinéma (malheureusement), et que je peux recommander.
Le prix du danger, c'était un peu la sensation à l'époque où nous étions ados. Je ne l'ai pas revu depuis, de peur de trouver ça mauvais... En relisant la filmo de Boisset, je serais plus curieux de ses films plus anciens comme RAS ou Un condé.
Pour ce qui est du Beauvois, j'ai quand même évoqué dans le dernier paragraphe de ma note quelques points positifs : l'interprétation de Lespert (que j'apprécie généralement, le trouvant beaucoup moins transparent que tu ne le dis) et les éclairs de violence (la scène de meurtre, donc, et le brusque changement de point de vue qu'elle provoque).
Au temps pour moi, j'ai fait une confusion avec une autre critique. Désolé.
Pas de soucis, Julien...