Le cinéma près de chez moi propose de passer un été avec Joseph Leo Mankiewicz, en programmant six de ses films. Prétexte idéal pour continuer notre série des "Êtes-vous...".
J.L. Mankiewicz au plus haut c'est la perfection classique de All about Eve, c'est l'incroyable noirceur de Soudain l'été dernier, c'est la jubilation du huis-clos théâtral inégalable du Limier. Mais si je ne devais en garder qu'un, ce serait cette Aventure de Mme Muir, revu deux fois, trois fois, quatre fois avec la même émotion. Chef d'oeuvre romanesque qui passe les âges comme le fantôme si vivant de Rex Harrison, fantôme qui n'a qu'à dire quelques phrases pour que le vent de toutes les aventures maritimes soulève un rideau de chambre. Et puis Mme Muir, c'est l'admirable Gene Tierney, dont on garde en mémoire les frémissements, les petits gestes traduisant sa volonté de garder la tête froide dans sa cuisine quand les premiers signes de surnaturel se manifestent et son sublime abandon, plus tard.
D'autres films provoquent un vif plaisir comme l'étonnant On murmure dans la ville, le savoureux récit d'espionnage de L'Affaire Cicéronavec le grand James Mason ou bien sûr Ava Garner, la Comtesse... A l'autre bout du spectre, l'adaptation de Jules Césarm'avait paru bien ennuyeuse malgré Brando et les autres, le cinéaste tombant pour le coup dans le simple théâtre filmé que lui ont souvent reproché ses détracteurs. L'autre échec de Mankiewicz est selon moi Cléopâtre, longue fresque antique qui ne m'a guère captivé.
Mes préférences :
**** : L'aventure de Madame Muir (1947), Eve (1950), Soudain l'été dernier (1959), Le limier (1972)
*** : Quelque part dans la nuit (1946), Chaînes conjugales (1949), On murmure dans la ville (1951), L'Affaire Cicéron (1952), La Comtesse aux pieds nus (1954), Guêpier pour trois abeilles (1967)
** : La maison des étrangers (1948), Le Reptile (1970)
* : Jules César (1953), Cléopâtre (1963)
o : -
Pas vu : Le château du dragon (1946), Un mariage à Boston (1947), Escape (1948), La porte s'ouvre (1950), Blanches colombes et vilains messieurs (1955), Un Américain bien tranquille (1956)
Comme d'habitude, n'hésitez pas à laisser les vôtres...
Commentaires
Un de mes réalisateurs fétiches. J'aime presque tout ce qu'il fait (même si je n'en ai finalement pas vu tant que ça). Avec une préférence pour (j'ai rajouté une étoile tellement je les aime "_" ) :
***** : La Comtesse aux pieds nus (1954), Eve (1950)
**** : L'aventure de Madame Muir (1947), Chaînes conjugales (1949), Soudain l'été dernier (1959), Guêpier pour trois abeilles (1967), Le limier (1972)
** : Un Américain bien tranquille (1956)
Pas vu : Le château du dragon (1946), Quelque part dans la nuit (1946), Un mariage à Boston (1947), La maison des étrangers (1948), Escape (1948), La porte s'ouvre (1950), Jules César (1953), Blanches colombes et vilains messieurs (1955), On murmure dans la ville (1951), L'Affaire Cicéron (1952), Cléopâtre (1963), Le Reptile (1970)
un cinéaste a l'écriture brillante, auteur d'un ou deux chefs d'oeuvre (Eve est mon préféré) mais trop ouvertement intellectuel pour que je le considère l'égal des plus grands américains (Ford, Walsh, McCarey...). D'ailleurs, je trouve ses deux derniers films irregardables tellement ils sont fermes sur leur propre concept. une mécanique autiste et qui commençait a rouiller sérieusement.
dans les moins connus, j'ai une certaine tendresse pour On murmure dans la ville.
un grand producteur aussi dans les années 30 a la MGM (quelques films majeurs de Borzage, entre autres).
Sa façon revendiquée d'être un intellectuel ne le dessert pas à mes yeux. Après tout Lubitsch et quelques autres faisaient de même. Et puis sa façon un peu aristocratique n'est pas pour me déplaire. Je le mets donc très haut avec deux films dans mon panthéon personnel, "The ghost and mrs Muir", un véritable miracle, et "The Barefoot contessa", le mythe Ava Gardner au pinacle. En fait, replongeant dans sa filmographie, je trouve qu'il a fait relativement peu de films, mais je n'en ai pas vu qui m'ait franchement déplu. Je n'ai pas trop aimé "Suddenly last summer", que j'avais trouvé un peu daté, mais je peux revoir sans me lasser la plupart de ceux qui sont cités. J'ai notamment redécouvert avec bonheur son "Cléopâtre", que j'ai trouvé brillamment Shakespearien, finalement supérieur à "Jules César". Je n'ai aucune difficulté à voir et revoir les derniers, j'ai même réussi à me faire avoir trois fois de suite avec "Sleuth" à plusieurs années de distance. Il est vrai que je suis bon public.
je ne vois pas vraiment en quoi le cinéma de Lubitsch était ouvertement intellectuel. je vois surtout chez Lubitsch une saine dérision -profondément humaniste et jamais cynique- plus que des films dont le principal intérêt réside dans des constructions dramatiques ultra-sophisitiquées et des textes brillants servis de grands acteurs.
Exemple: Lubitsch est a mis en scène Maurice Chevalier dans des opérettes, Mankiewicz a mis en scène la fine fleur du théâtre britannique dans Shakespeare (avec un certain bonheur d'ailleurs, j'ai beaucoup aimé Jules César).
**** : "L'aventure de Madame Muir"; "Soudain l'été dernier".
*** : "La comtesse aux pieds nus", "Eve", "Chaînes conjugales", "On murmure dans la ville", "Le limier", "Cléopâtre", "Jules César", "Le château du dragon".
** : "Un américain bien tranquille".
Pas vu énormément de films de Mankiewicz mais suffisamment pour en faire, avec Sirk, Minnelli et Lubitsch, un de mes cinéastes hollywoodiens "classiques" préférés.
Comme Ed, j'aime énormément "soudain l'été dernier" qui est un film assez mal vu chez les critiques.
En revanche, comme Vincent, je trouve que "Cléopâtre" tient très bien le coup et, comme Christophe, j'aime aussi beaucoup "Jules César".
Finalement, aucun film du maître m'a vraiment déçu!
J'oubliais de préciser : "l'aventure de Madame Muir" est sans doute l'un des plus beaux films du monde! Là où il y a Gene, il n'y a que plaisir...
Réponses et remarques éparses :
Moi j'aime ces jeux intellectuels, même les plus tardifs. Il ne s'agit pas seulement de mécanique et de brillants dialogues, sinon on ne marcherait pas à chaque fois au "Limier". La vision de Mankiewicz peut apparaître parfois cynique et manipulatrice mais elle me stimule quasiment à chaque fois.
Il est possible que les procédés à l'oeuvre dans "Soudain..." vieillissent. Je ne l'ai pas revu depuis longtemps mais il m'avait beaucoup marqué quand je l'ai découvert (et quel trio d'acteurs...).
Pour "Jules César", là, l'intelligence de Mankiewicz n'est-elle pas tournée uniquement vers le texte ? C'est plutôt ce film que je trouve refermé sur lui-même. Peut-être qu'ici, oui, Mankiewicz intellectualise trop, quand Welles se fie à son instinct quand il s'attaque à Shakespeare. Mais (voir Cléopâtre), j'ai presque toujours du mal avec l'antiquité au cinéma (les peplums, Anthony Mann etc...).
Enfin, Lubitsch me semble à moi aussi faire un cinéma intellectuel d'une certaine façon. On ne peut guère qualifier ses films d'hilarants, par rapport à ceux de Chaplin ou McCarey. "To be or not to be" (et d'autres), c'est génial, brillant, à double tiroirs... Tout à notre admiration, nous n'y avons pas le rire franc, direct (bien évidemment, cela n'induit pas pour moi une différence de valeur).
Croisement de commentaire avec le Doc. Je contresigne la phrase rajoutée sur "Mme Muir" et Gene Tierney.
Pour ma part, tout en haut à côté de "Mme Muir", "Chaînes conjugales", brillantissime variation sur le point de vue et les faux-semblants des sentiments. Sans doute l'une des plus belle voix-off jamais écrites (et dites) au cinéma.
Sinon, rien à voir, mais tu habites Pessac ? Dans le quartier Frugès de Le Corbusier ? Ou alors pas loin de la Rosière (je ne les ai jamais vu d'ailleurs, ces deux Eustache-là, mais ils font partie des 458 "à voir" sur ma liste).
Sur Mrs Muir, je constate avec plaisir qu'il y a consensus.
Christophe, que Lubitsch manie la dérision et l'humanisme en maître n'empêche pas que son cinéma est un cinéma de l'esprit qui n'hésite pas comme chez Mankiewicz (les deux hommes ont en outre travaillé ensemble) à faire appel au théâtre, à Shakespeare et à toute une culture européenne qu'ils revendiquent hautement. Quand Lubitsch utilise Chevalier, cela reste dans des opérettes raffinées loin de l'image que nous pouvons avoir de "Ma pomme".
Je suis d'accord avec vous quand vous les différenciez de réalisateurs qui ont image plus d'hommes d'actions, mais ce serait encore à relativiser pour Ford ou Hawks, intellectuels masqués qui ont travaillé avec la fine fleur de la littérature et/ou du théâtre de leur époque. Quand Ford travaille avec Nichols, même s'il l'a entraîné parfois dans des impasses artistiques comme vous l'avez noté, il s'est quand même "libéré" en assumant une démarche plus artistique, intellectuelle. Il me semble que chez Mankiewicz, la posture intellectuelle est une manière de défense face au système, comme le côté rustre en est une chez Ford. Toujours est-il que, comme je l'i écris pour Depleschin, ce genre de posture ne me déplaît pas.
vous avez évidemment raison quand vous notez que les grands réalisateurs américains sont des hommes de grande culture derrière leur posture d'artisan consciencieux. Loin de moi l'idée de reprocher sa culture européenne à Mankiewicz. Moi qui mets au plus haut Lubitsch mais aussi Preminger (qui me semble plus proche de Mankiewicz que Lubitsch).
Quand je parlais de cinéma intellectuel, je ne songeais pas à des références culturelles mais à un type de structure dramatique plus sophistiquée que la moyenne hollywoodienne. Structure dont les traits distinctifs pourraient être: intérêt pour les "grands" sujets sérieux, narration alambiquée, dialogues nombreux et riches de sens, distance ironique...Quand je regarde le film, cette structure me semble préexister aux personnages. C'est peut-être cette impression le plus important en fait dans ma réserve par rapport à Mankiewicz. J'ai souvent l'impression d'assister à un brillant exercice de style narratif quand je regarde un de ses films. C'est un cinéma où tout semble avoir été préparé sur le papier, ultra-calculé dès avant le tournage, un cinéma dont les instants de grâce sont absents, un cinéma de film qui suscite chez le spectateur l'admiration pour l'auteur avant l'empathie pour des personnages, bien souvent sujets à l'ironie voire au cynisme de l'auteur.
Cette opinion est à nuancer évidemment, cette règle si tant est que c'en soit une comporte ses propres exceptions, L'aventure de Mme Muir et On murmure dans la ville en premier lieu. Et même je considère Mankiewicz comme un dramaturge virtuose plutôt que comme un cinéaste génial, ça me suffit à l'admirer et à considérer tous les films d'avant 1960 que j'ai vus de lui comme bons. Au minimum.
mais je n'y trouve pas la poésie, le lyrisme ou la beauté qui m'attache à ceux que je considère comme les plus grands.
A Joachim : J'ai pendant un temps habité à proximité de Pessac. Je m'en suis depuis éloigné tout en restant dans la ceinture bordelaise et en gardant mes habitudes au Cinéma Jean Eustache. Précisions sur la Rosière : le nom n'est pas attaché, à ce que j'en sais, à un quartier mais seulement à la fête qui a lieu tous les ans et qui couronne une fille de la ville. Eustache a en effet filmé deux fois l'événement en 68 et 78. Personnellement, je n'ai vu que le second, documentaire "direct" dont l'intérêt est surtout ethnologique et mémoriel.
A Christophe et Vincent : Pour qui connaît en gros le cinéma classique hollywoodien sans y avoir le "nez dessus" constamment, comme moi, les choses paraissent moins tranchées. Il me semble que la grâce peut naître des constructions narratives les plus complexes (notamment par l'intermédiaire des acteurs, que Mankiewicz a toujours accompagné à leur meilleur niveau) autant que d'esthétiques plus libres (mais la beauté de la marche de Henry Fonda dans la rue jusqu'au bal dans "My darling clementine" a été pensée par Ford, je ne pense pas qu'elle lui échappe, on peut aussi dire qu'elle est calculée, par le choix du rythme etc...).
C'est vrai qu'après 60, c'est un peu différent car les bouleversements artistiques de l'époque ont pour effet d'accuser les différences de style jusque dans les oeuvres tardives des cinéastes "classiques". Et Mankiewicz se révèle encore plus horloger et cynique, ce qui, je l'ai déjà dit, ne me déplait pas.
Et Vincent, ta remarque sur les "modes de défense" respectifs de Ford et Mankiewicz est fort pertinente.
Alors là je suis presque mankiewiczolâtre.
Très très très très haut La Comtesse(voir nom de mon blog)
Très très très haut Le limier,Jules César,Eve,L'aventure...
Très très haut On murmure,Le reptile,Le château..
Très haut Un Américain...,L'affaire...
Haut Guêpier...
Méconnu mais pas mal du tout Quelque part...
Assez peu gôuté Soudain... et encore moins Blanches...
Pas vu les autres et je le regrette surtout Chaînes...
Rarement un cinéaste ne m'aura enthousiasmé aussi régulièrement.
Bonjour Ed: pour moi les incontournables comme on dit sont Le limier, L'aventure de Mme Muir, Eve, Jules Cesar (pour Brando), L'affaire Cicéron (découvert récemment). Comme eeguab, Soudain l'Eté dernier (moyen moyen) et Blanches colombes et vilains messieurs a excessivement mal vieilli (c'est presque "inregardable"). Bonne journée.
eeguab : Le sommet de ta hiérarchie n'est effectivement une surprise pour personne. En fait, "La comtesse..." est, dans mes préférés, celui dont je me rappelle le moins, j'aimerai le revoir.
et avec Dasola : vous confirmez à la fois mes craintes et la réputation très moyenne de "Blanches colombes...".
Bonne fin de week end à vous.