Janvier étant derrière nous, il est temps de nous lancer dans notre chronique mensuelle. Que se passait-il donc dans les salles françaises au mois de Février 1984 ?
Rusty James bien sûr. Coppola nous donnait à voir le versant arty, sérieux, auteuriste d'Outsiders. Matt Dillon et Diane Lane prenaient définitivement leur place dans notre panthéon d'adolescent et l'apparition de Mickey Rourke sur sa moto nous signifiait qu'il fallait désormais compter avec lui (au moins jusqu'au début de la décennie suivante). Aurions-nous confondu virtuosité et esbroufe ? Le passage du temps aurait-il fait quelques ravages ? Une note que notre excellent collègue Mariaque nous avait fait remonter récemment souffle le chaud et le froid (le plus étonnant mérite de cet écrit étant d'évoquer au détour d'une phrase les vénérés Echo and the Bunnymen). Et bien nous trancherons d'ici quelques jours, le temps de re-visionner la chose en dvd.
Autre choc visuel de l'époque, dont on est sûr, cette fois-ci, de la permanence : Meurtre dans un jardin anglais, premier film "commercial" de Peter Greenaway. Si l'homme nous réserva au fil des ans de succulentes surprises (et quelques opus moins dispensables, notamment ces dernières années), jamais il ne parvint à dépasser ce coup d'essai/de maître si jubilatoire, cruel et singulier (Drowning by numbers peut-être, il faudrait revoir tout ça...).
Ces deux films sont les seuls sortis en février 84 que j'ai pu voir à peu près à ce moment-là. A côté de cela, il y avait deux cinéastes de la marge qui proposaient leur nouvel effort : Mocky et Ruiz. Je connais à peu près A mort l'arbitre !, mais je ne suis pas sûr de l'avoir vu autrement que par petits bouts au fil des diffusions TV. Je le concède, le cinéma de Mocky est l'une de mes lacunes. Ruiz m'est bien plus familier mais La ville des pirates n'est pas l'un de mes préférés du cinéaste chilien. La première moitié du film est assez hermétique et assommante. En revanche, la seconde est plus captivante, versant dans le conte et tirant vers la pureté du cinéma muet. Interprétation marquante du tout petit Melvil Poupaud, d'Anne Alvaro et d'Hugues Quester dans le rôle d'un schizophrène se prenant pour toute une famille.
Découverte tardive également pour un film qui me tient à coeur : S.O.B. (pour : Son Of a Bitch) de Blake Edwards. Voilà l'un des portraits les plus féroces et les plus hilarants existant sur le petit monde hollywoodien. Riant de la mort d'une façon stupéfiante, nous gratifiant une nouvelle fois d'étourdissantes séquences de party et poussant sa femme Julie Andrews, soit Mary Poppins, à montrer vigoureusement sa poitrine à la caméra, Blake Edwards me semble ici en meilleure forme que dans les pourtant mieux connus Victor Victoria et Elle.
Passons maintenant en revue les autres sorties du mois dont je ne peux juger la qualité, faute d'avoir un jour croiser leur route. Genres privilégiés à cette époque, l'horreur, la SF et la fantasy étaient à la fête. Se succédaient Brainstorm (Douglas Trumbull), La quatrième dimension (film à sketches, inspirés par la série télévisée du même nom et réalisés par la crème du genre : Joe Dante, John Landis, George Miller et Steven Spielberg), Krull (Peter Yates) et L'ascenseur (Dick Maas, où l'on apprenait que les Pays-Bas avaient un cinéma et qu'il faisait peur).
Völker Schlondörff adaptait Proust (Un amour de Swann) en convoquant Ornella Mutti, Jeremy Irons, Alain Delon, Fanny Ardant et Marie-Christine Barrault et tombait, aux dires de quelques uns, dans le pire académisme. Star 80, tiré d'un fameux fait divers (l'assassinat d'une jeune actrice par son mari) était l'ultime film de Bob Fosse (avec Mariel Hemingway). Gorky Park de Michael Apted, malgré son sujet (la découverte d'un complot au sein du KGB) et l'époque de sa réalisation évitait l'anti-communisme primaire (avec William Hurt et Lee Marvin). La femme flambée (Robert Van Ackeren) sentait le soufre plus que le brûlé. En proposant de leur côté un remake du To be or not to be de Lubitsch, Alan Johnson (réalisateur) et Mel Brooks (acteur-producteur) tendaient le bâton pour se faire battre, ce qui ne manquât pas d'arriver. Était-ce mérité ?
Hormis le Mocky, le Ruiz et Tricheurs de Barbet Schroeder (Bulle Ogier et Jacques Dutronc dans l'enfer du jeu), le cinéma français n'avait pas grand chose à proposer puisqu'il n'y avait à se mettre sous la dent que L'étincelle (de Michel Lang, avec Roger Hanin et l'étoile filante Clio Goldsmith), Les parents ne sont pas simples cette année (Marcel Jullian), Les cavaliers de l'orage (de Gérard Vergez, fresque historique sur 14-18 avec Gérard Klein et Marlène Jobert), Le garde du corps (de François Leterrier, la comédie "Splendid" du mois, avec Gérard Jugnot et Jane Birkin) et Charlots Connection (sans commentaire). Il restait tout de même Gwendoline, délire érotico-fantastique de Just Jaekin, qui sortait, avec pas mal de bruit, au moment où Francis Leroi se chargeait de donner des nouvelles d'Emmanuelle (IV), dont le précédent avait filmé les premièrs ébats dix ans auparavant.
Pour finir, une curiosité, vue de notre époque, celle du casseur de blocs (blockbuster en américain) de Jean-François Richet : la sortie de deux longs-métrages consacrés à Mesrine. Le premier, Jacques Mesrine : profession ennemi public, est un documentaire signé Hervé Palud (oui, le réalisateur des Frères Pétard, des Secrets professionnels du Dr. Apfelgluck et d'Un Indien dans la ville). Le second, Mesrine, est une fiction d'André Génovès apparemment oubliée de tous. Décidemment, avec le célèbre bandit, tout va par paire. Est-ce le symbole de la virilité du personnage ?
Dans les kiosques, Positif (276) s'ornait de l'une de ses plus belles couvertures (Meurtre dans un jardin anglais) et se penchait sur le cinéma britannique, si décrié dans la revue d'à côté. Puisque l'on parle d'eux, les Cahiers du Cinéma (356) revenaient sur Hitchcock, qui d'ailleurs est anglais, non ? (Fenêtre sur cour en une). Ailleurs, des actrices s'affichaient en première page : Béatrice Romand (Cinéma 84, 302) et Jane Birkin (Première, 83). Cinématographe (97) consacrait un dossier au procédé du flash-back (Boulevard du Crépuscule en couverture), tandis que La Revue du Cinéma (391) s'intéressait à Ettore Scola (Le bal) et Starfix (12) au festival d'Avoriaz et à La quatrième dimension.
Voilà pour février 1984. La suite le mois prochain...
Commentaires
Il n'est pas exagéré d'affirmer, puisqu'il est maintenant de la dernière mode de le décrier sous tous les tons, que Michel CIMENT (festival de VENISE 82, POSITIF) a révélé pour nous autres cinéphiles de cette époque antédiluvienne et cela presque 2 ans avant sa sortie française l'étrangeté radicale de MEURTRE DANS UN JARDIN ANGLAIS. A Relire sa chronique 25 ans plus tard ...on mesure la valeur (presque la prescience) d'un grand critique ! Que Greenaway ait pu par la suite nous déstabiliser (c'est bien le moindre pour un créateur de machines célibataires), cela ne saurait enlever une once de la beauté inquiétante de ZOO (1985) ou de DROWNING BY NUMBERS (1988) !
Merci, vous me rappelez des souvenirs! Meurtres dans un jardin anglais je l'ai vu plusieurs fois ...
j'ai bien aimé aussi " Prospero's Books" du même Greenaway, d'après la Tempête ( mais c'était en 1987). je ne connais pas ses autres films.
J'avais trouvé " un amour de Swann" intéressant, et To Be or Not To Bet excellent.
La Quatrième dimension me rappelle en effet un feuilleton télévisé que j'ai apprécié adolescente. Les autre films que vous citez, je ne les ai pas vus ou je ne m'en souviens pas.
Ces rétrospectives sont une excellente idée!
Lalka : Vous faîtes bien de rappeller cela. Ciment a quelques défauts agaçants (dont j'ai pu parler chez quelques uns de ses farouches détracteurs sans lui retirer mon estime) mais il a également de nombreux mérites et le mauvais moment qu'il passe depuis quelque temps sur internet m'étonne un peu. C'est drôle qu'en s'attaquant à ce qu'il appelle "la critique institutionnelle", il ait attisé un nouveau front contre lui venant des blogs. Comme quoi, on est toujours le repoussoir de quelqu'un... Je ferai peut-être, un de ces jours, un billet sur Ciment qui m'a, à moi aussi, servi d'aiguilleur à un moment donné (un peu plus tard qu'en 84, car je n'avais que 12 ans).
Pour Greenaway, ma préférence pour "Meurtre..." tiens certainement beaucoup à son statut de "première fois". Ensuite, je mets très haut "Drowning..." et "Le cuisinier...", j'avais énormément apprécié "Prospero's book" et "Pillow book". J'aime assez (ou moyennement) tous les autres, sauf "Baby of Macon" qui m'avait fortement déplu et mis très mal à l'aise.
Dominique : Merci à vous pour le point de vue sur "Swann" et le remake de Lubitsch.
Deux Greenaway a revisiter toutes affaires cessantes : THE FALLS (1980), invraisemblable catalogue expérimental de biographies imaginaires (Si l'OULIPO désignait son cinéaste, ce serait celui-là) et le merveilleux ZOO (A zed and two noughts) (1985), grand film de malade (mais non malade) du grand déchiffrement de l'univers. Les tout premiers films, montrés à QUIMPER en 1985, comme DEATH OF SENTIMENT (1962), un film de huit minutes autour de quatre cimetières londoniens ou WINDOWS (1975) dans lequel il est précisé que "qu'en 1973, 37 personnes dans le comté de W. se sont tuées en tombant d'une fenêtre" révèlent la face plus swiftienne et tongue-in-cheek que véritablement torturé des films récents (comme THE BABY OF MACON et THE COOK).
Vu Mesrine à l'époque. J'avais 7 ou 8 ans et, dans mon souvenir, il est infiniment supérieur au film sans relief, sans aspérité avec Cassel dans le rôle titre.
Sur Michel Ciment, j'ai eu l'occasion de bosser avec le personnage lors du festival du cinéma européen à Aubenas en 2003 ou 2004, il avait invité Boorman (avec qui j'avais parlé une heure de cinéma : grand moment de ma vie cinéphile). Michel Ciment est quelqu'un de très agréable, qui a une très bonne connaissance du cinéma (notamment européen) et qui permet à Aubenas de vivre chaque année un festival incroyable avec des réalisateurs de renom et des discussions publiques. Toute la ville vibre cinéma pendant deux semaines. Je me souviens, malgré tout, que nous nous étions un peu écharpés sur L'Hérétique de Boorman, je soutenais que quelques plans réussis ne parvenaient pas à sauver son film. En fidèle ami, Michel Ciment ne pouvait reconnaitre que Boorman avait réalisé quelques films très inférieurs à ce qu'il a pu produire (Point Blank, Excalibur, Hope and Glory). Bref, Ciment vieilli, comme tout le monde et il est facile, à mon avis, de l'attaquer aujourd'hui. Ca n'enlève en rien les mérites du bonhommes.
Sur Gwendo:
http://eightdayzaweek.blogspot.com/2008/11/quel-film-avons-nous-vu-ce-jour.html
(et merci pour le clin d'oeil !)
Réponses rapides et tardives :
Lalka : Moins d'enthousiasme pour ma part sur "ZOO" par rapport aux oeuvres de la même époque. Petite sensation de bric à brac et d'un humour un peu trop lourd par moments, même si c'est toujours tortueux à souhait.
Pas vu les films pré-"Meurtre" (on pouvait les trouver en dvd à une époque, je crois), mais dans les bizarreries, je recommande "Les morts de la Seine", moyen-métrage pour la TV de 1989 qui retrouve le goût des chiffres, des séries et de la répétition autour des corps repêchés dans la Seine aux alentours de 1800.
Julien : Et bien, vu que le film de Génovès n'a déjà pas bonne réputation, cela ne me donne guère envie de voir le Richet. Sur Ciment, ton point de vue rétablit un peu plus la balance. Il faudra sûrement y revenir un jour...
Mariaque : Merci pour ce regard sur Gwendoline.
En fait, au vu du plaisant de l'exercice nostalgique 80's, peut-être aimeriez-vous mon vieux projet SEURTINE (www.seurtine.blogspot.com - vous en ai-je déjà parlé ?
Si vous y faites un tour, je vous invite à le prendre dans l'ordre inverse des publication (puisque le feuilleton est plus ou moins chronologique)... et n'hésitez ni à réagir ni à inviter autour de vous !
Mariaque : Question de génération et de culture commune (quoique la mienne doive moins au cinéma de genre), une rapide lecture des 2/3 premières notes de cette première (?) tentative blogueuse m'a vu accroché par toute une série de noms et d'ambiances retrouvés. J'y reviendrai donc volontiers à l'occase, dès que ma vraie vie et notre lutte contre la Crise m'en laisseront le temps.