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Première séquence. Dans un pays non défini du Proche-Orient, un groupe de gamin se fait tondre les cheveux par des hommes en armes. Ralenti et musique de Radiohead (You and those army) à l'appui. Un film qui débute comme un clip pour Amnesty International peut-il s'en relever ? S'il fait preuve par la suite de plus d'adresse narrative et de pertinence stylistique, sans doute que oui... Mais ce n'est vraiment pas le cas d'Incendies.
En remettant dans son cabinet québécois à deux jumeaux (fille et garçon), conformément au testament de leur mère, deux lettres cachetées destinées l'une à un père qu'ils croyaient mort, l'autre à un frère dont ils ignoraient l'existence, personnes qu'ils doivent retrouver par leurs propres moyens et sans aucun indice de l'autre côté de l'Atlantique, le brave notaire leur avoue que la démarche est un peu spéciale et très inhabituelle. Et encore ! cette entrée en matière n'est rien au regard de ce que l'enquête des deux jeunes gens et l'illustration parallèle de l'histoire de leur mère vont révéler. En effet, le récit qui suit ne va jouer que sur l'exceptionnel puis l'impensable, progressant par paliers et enfonçant une à une les portes de la vraisemblance. Dès que la quête est entamée, chaque rencontre entraîne un rebondissement et le moindre personnage croisé prend une importance démesurée par la place qu’il tient dans la mécanique du scénario.
La position que Denis Villeneuve assigne au spectateur est problématique. Par rapport aux personnages principaux, elle varie constamment : tantôt nous sommes en avance sur eux, en train de guetter leurs réactions, tantôt nous sommes en retard, comme lorsque la fille se rappelle de sa mère, tantôt nous sommes au même point, pour entendre par exemple la révélation finale. La construction, alternant deux temporalités différentes, se veut ambitieuse mais n’est en fait qu’une lourde machinerie mal conduite par un cinéaste nous infligeant des renvois et des raccords d’une terrible lourdeur (notamment pour passer de l’histoire de la fille à celle de la mère et inversement).
L’usage du numérique et la prédilection pour le gros plan semblent un choix de mise en scène intéressant mais nous nous apercevons vite que cela sert avant tout à pointer dans la séquence le détail signifiant qui facilitera le travail du spectateur : une croix en pendentif mise en valeur lorsqu’il faut traiter des tensions religieuses, une marque sur le talon pour reconnaître un enfant qui a grandi… L’incroyable bouleversement final est illustré à l’écran pas moins de quatre fois à la suite, dans quatre séquences successives, en quatre lieux différents : une réponse très troublante faite au frère qui commence à nous faire réfléchir, un dialogue entre les deux jumeaux autour d’une formule très parlante, un flashback explicatif sur la mère, et enfin, au cas où, sur un plan de paysage, un retour en voix off de l’homme qui avait formulé la réponse initiale et qui re-assène la vérité. Ajoutons qu’à peine plus loin, pour faire bonne mesure et être vraiment sûr que tout le monde ait suivi, la remise de deux lettres permet encore la redite. Ainsi, tout, dans Incendies, est surligné, les deux récits ne paraissant parfois exister que pour se valider l’un et l’autre (la preuve par l’image). Aucun effort ne nous est demandé, nous devons juste être réceptifs à l’émotion.
Il y a pourtant, à mi-chemin, dix minutes assez belles, quand Villeneuve se calme un peu au niveau du sens à donner à chaque geste, chaque parole, quand les deux errances, celles de la mère et de la fille se répondent, quand seuls sont filmés leurs déplacements. Il y a pourtant un excellent gag, en un plan de quatre ou cinq secondes, construit à partir du portique de sécurité d’un hôtel, gag qui, pour une fois, dit tout avec rien. Il y a pourtant cette mort qui rôde et qui touche en premier lieu les enfants. Il y a pourtant ces deux beaux visages d’actrices.
Mais le mélodrame viscéral est trop plombé et trop ahurissant, l’appel à la tragédie antique trop contrarié par l’approche réaliste de la mise en scène. Au-delà de l’acteur Rémi Girard, le québécois Denis Villeneuve n’a emprunté à son compatriote Denys Arcand que ses défauts et bizarrement c’est plutôt à un Alan Parker des années 2010 qu’il fait alors penser.
INCENDIES
de Denis Villeneuve
(Canada - France / 123 mn / 2010)
Commentaires
Je trouve ça dur, et en même temps je ne sais comment te répondre. J'imagine que moi aussi, j'aurais pu glisser hors du film dès le prologue et cette scène sur du Radiohead. Mais non. Je me suis retrouvé happé là-dedans, totalement aveuglé, incapable de voir les éventuels défauts.
Je trouve le parallèle entre les deux histoires bien plus fin que ce que tu dis, puisque pour une fois dans ce genre de structure, chaque scène n'est pas là pour répondre à la précédente.
Moi qui ai sauté de désillusion (Black swan) en légère déception (True grit) en ce début d'année, je revis grâce à ce film.
Je trouve quand même que le récit centré sur la mère "illustre" beaucoup ce qui est révélé au présent à la fille. Et puis c'est cette mise en scène pataude qui m'a gêné : la reprise, par exemple (au moins deux fois) du plan de la mère agenouillée avec le bus en flammes à l'arrière plan, qui explique (même position et regard dans le vide) son "absence" à la piscine, des années plus tard... Maintenant, je peux comprendre aussi que le torrent émotionnel puisse emporter.
Mais bon, je ne veux pas chercher à tomber d'accord avec toi, car si la logique actuelle est respectée, je ne serai pas du tout déçu par True grit ! :)
Je viens de voir le film. Séance très pénible. Je suis en tout point d'accord avec vous. Si ce n'est que je ne sauverais même pas les dix minutes et les visages que vous sauvez.
Je vous avoue que j'ai hésité jusqu'au bout à placer ce paragraphe "positif" et à accorder une étoile noire à ce film.
Pas du tout accroché à ce film, personnellement c'est la première fois que je m'endors au cinéma.
Pourtant, le film fait pas mal de bruit...
True Grit ; une déception sans nom où vainement j'ai recherché la patte des "Cohen", un Black Swan formidable accompagné d'un King's speech tout aussi mémorable, Quant à Incendies, un grand moment d'émotion, de voyage au Moyen Orient à travers cette histoire de femme happée par les évènements . Un drame qui ne sombre pas dans le mélo et qui réveille votre sensibilité avec une photo et un son TOP !
Merci malika pour ce rapide panorama de l'actualité, même s'il se termine sur un désaccord à peu près total autour d'Incendies. Ma déception devant True grit me semble bien moins vive que la vôtre et je ne reviens pas sur le plaisir éprouvé devant ce Black swan qui divise beaucoup. Pas vu Le discours d'un roi en revanche.
Trop de rebondissements à la fin dans cette intrigue si bien qu'elle en devient trop peu crédible. Dommage car l'ensemble est plutôt bon.
De mon côté, le film m'a embarrassé bien avant la fin. Dès le début, en fait.