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Dans Pater, Alain Cavalier propose à Vincent Lindon de réaliser un film dans lequel ils joueraient respectivement le Président de la République et le nouveau Premier Ministre. La fiction se met en marche, avec comme fil directeur l'établissement d'une loi imposant à toutes les entreprises françaises de ne pas dépasser un certain écart entre les plus faibles et les plus hauts salaires.
Cette fable est racontée dans le style maintenant habituel d'Alain Cavalier qui utilise ses petites caméras, travaille sans équipe technique et tourne dans les propres maisons et appartements de ses "acteurs". Naturellement, à l'intérieur de ce récit s'insèrent des intermèdes plus purement documentaires, sans qu'aucun bouleversement esthétique ne les signalent à l'attention.
Ce film est donc politique, mais là n'est pas, selon moi, l'essentiel. Ce n'est pas en tout cas la raison principale de mon attachement. Certes, la blague est plus fine qu'il n'y paraît car les scénarios imaginés ont leur pertinence (le refus par le peuple d'une loi objectivement "bonne") et le stratagème final, au moment de l'élection présidentielle, nourrit habilement le thème de la filiation et de la trahison possible du père, mais il manque peut-être des noms de partis et d'hommes politiques pour échapper à la théorie et produire un discours plus offensif.
Toutefois, la question de la différence entre les revenus résonne très fortement et, ce qui rend le film plus passionnant encore, le rapport de chacun à l'argent est plus ou moins directement mais régulièrement éclairé. Ainsi, à côté de propos intéressants mais parfois vagues et généralistes, l'attention se porte sur l'économie même du film en train de se faire et sur les positions personnelles du cinéaste et de l'acteur. Il y a là la recherche d'une transparence, recherche qui s'accorde avec la simplicité du cinéma de Cavalier.
Ce qui épate, c'est donc, notamment, l'honnêteté de Lindon, à tous points de vue (sur la morale, l'engagement, la notoriété, l'argent...). Paradoxalement, ce film qui semble constamment "tricher" s'ouvre à nous avec une franchise incomparable. On pourrait croire qu'il propose au spectateur un jeu autour du vrai et du faux. Et effectivement, on peut essayer de déterminer le niveau de réalité de chaque séquence puisque le personnage et la personne réelle sont parfois clairement distinguées, puisque tel moment est fort parce qu'il est vrai et tel autre est remarquable parce que bien réfléchi. Mais cet exercice me semble totalement vain. Qui nous dit que cette discussion sur le vif n'est pas jouée ? Que cette scène bien calée n'est pas entièrement improvisée ? En fait, réalité et fiction coexistent à chaque instant. Devant la caméra de Cavalier, cela devient une même chose et cela fait, à mon sens, le grand intérêt de Pater. D'autres lui sont attachés. Le rapport qui s'établit entre le Président et son protégé redouble clairement celui existant entre le metteur en scène et son interprète, en particulier dans les indications, la direction données, et Pater est également un beau portrait d'acteur.
Beaucoup ont loué ce film pour sa nature "d'ovni" et je ne nierai absolument pas sa singularité. Mon tempérament étant ce qu'il est, j'ai tout de même cherché à le rapprocher de quelque chose et plutôt qu'à certains vrais-faux documentaires plus ou moins récents, j'ai étrangement pensé aux films iraniens de Kiarostami et Makhmalbaf, Close up (1990) et Salaam Cinema (1994).
PATER
d'Alain Cavalier
(France / 105 mn / 2011)
Commentaires
Il y a cette scène dans laquelle Lindon raconte son altercation avec le propriétaire de l'immeuble dans lequel il habite et dont on serait bien en peine de savoir s'il s'agit d'un jeu, d'un moment pris sur le vif ou un peu des deux. C'est un vrai déclic dans le film puisque à ce moment, soit le dispositif making of dans le film nous plait, soit on reste constamment à l'extérieur.
Nous sommes d'accord : pour moi, l'aspect "politique" ne me semble pas le plus intéressant. Mais c'est la forme "hybride", "work in progress" du film qui me passionne et ce jeu permanent avec le faux.
La scène que cite Nolan est très forte mais là où la frontière m'a paru encore plus floue, c'est lorsque le jeune sportif parle du problème du dopage. On a le sentiment d'être dans du documentaire alors qu'on retrouvera le jeune homme ensuite dans la fiction.
J'aime aussi le côté "filiation" du film (entre Cavalier et Lindon et, en filigrane, entre Cavalier et son père). Juste une petite réserve : 1h40 me paraît un poil trop long pour un dispositif somme toute assez "léger"...
Cette scène justement, je la trouve extraordinaire, quelle que soit sa "véracité". Et effectivement, c'est peut-être un déclic, comme tu dis Nolan : à partir de ce moment-là, je ne me pose plus de question sur le caractère fictionnel/documentaire des séquences (mais, tu as raison, de ton côté Doc, d'évoquer aussi ce retour du jeune basketteur un peu plus loin : c'est assez fort).
J'aurai pu moi aussi glisser ce bémol sur la durée. A un moment, ça patine un peu (autour de la "démission"), c'est vrai. Heureusement, il y a encore de très belles choses sur la fin.