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Memory Lane et le cinéma de Mikhaël Hers

hers,france,2000s,2010s

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(Cette chronique dvd est mon avant-dernière contribution pour Kinok, l'activité du site étant stoppée par son rédacteur en chef après huit ans d'efforts. C'est avec grand plaisir et avec fierté que, pendant trois ans, j'ai fait partie de l'équipe de rédaction, dans ce bel espace de cinéphilie.)

 

Merci à Laurent Devanne

et spéciale dédicace à Vincent Jourdan

 

"Tu n'aimais rien autant que la légèreté de la pop"

Ad Vitam publie ce double dvd. Memory Lane remplit la première galette alors que la seconde regroupe, en les nommant "bonus", les moyens métrages Charell, Primrose Hill et Montparnasse. L'éditeur ne nous entraîne donc pas à la découverte d'un film sorti en salles fin 2010 mais, en toute modestie, à la découverte d'un cinéaste.

Dans tous ses films, Charell se tenant toutefois un peu à part, Mikhaël Hers s'intéresse à des groupes de jeunes gens vivant dans la banlieue Ouest de Paris, faisant leurs premiers pas hésitants dans la vie active, jouant, écoutant et parlant de musique et enfin, s'aimant. C'est si peu et beaucoup à la fois.

Les récits ne prennent forment qu'à la suite de petites touches successives et ce qui frappe d'abord est la douceur des rapports décrits. Dans le moindre échange se remarque une attention rare à l'autre. Celle-ci ne ressemble cependant pas à une molle gentillesse. Non, cette attention soutenue fait au contraire que l'on imagine tout de suite la naissance, la continuation ou le souvenir d'un élan amoureux, quels que soient l'âge et le sexe des protagonistes en présence. Hers privilégiant toujours l'instant, le moment, les morceaux de vie, nous prenons les choses en cours de route. Par conséquent, l'impression première est, le plus souvent, fausse. Mais pas toujours. Primrose Hill nous mène ainsi vers une scène d'amour à laquelle nous assistons dans sa durée réelle. La frontalité et la franchise dont elle fait preuve ne sont pas inédites, loin de là, dans le cinéma contemporain, mais elle semble, de manière très originale, dénuée de toute espèce de provocation. C'est parce qu'elle est portée par le même rythme, le même flux que ce qui la précède. L'étirement du temps et la douceur ambiante s'y prolongent.

Du premier au dernier métrage en date, nous profitons de la belle musicalité de la mise en scène. La bande son n'en est pas la seule responsable. La lumière naturelle, toujours un peu automnale, même en été, les travellings élégants s'accordant aux pas des marcheurs et le montage fluide y concourent amplement. Les œuvres donnent à voir, chacune, le naturel. Mais l'idée de justesse ne vient pas seulement d'une sûreté d'approche sociologique. Elle se faufile dans les espaces laissés dans les plans à une butée sur un mot ou à la remise en place d'une mèche de cheveux que le vent rend gênante. Elle s'installe dans le temps, aussi. Le temps des plans, généralement assez longs, scandant des récits pourtant fugitifs (Primrose Hill se passe en une journée, Montparnasse raconte trois histoires qui pourraient se dérouler la même nuit).

Les gens que nous présente Mikhaël Hers sont généralement jeunes. Ils ont la vingtaine, approchent bientôt des 30 ans. Et ils ont un passé. La plupart du temps nous est contée une histoire de retrouvailles, une histoire dont le début a déjà été écrit, sans nous. Cela leur assure une consistance et suscite inévitablement notre curiosité, l'éclairage se faisant très progressivement et très imparfaitement. Ce passé est présent sous des formes variées, parfois banales comme les souvenirs scolaires ou les rencontres avec d'anciens camarades mais le plus souvent douloureuses avec ces parcours de vie déjà tortueux, ces difficultés professionnelles et plus encore, ces disparitions et ces fantômes. Pourtant, les films de Hers sont parmi les plus actuels qui soient. Les indications géographiques et culturelles y sont nombreuses. Nommer des lieux, des quartiers, des bars, des restaurants, des salles de concert ou des groupes de rock, c'est garder les pieds solidement plantés dans le présent et balayer le passéisme que peuvent faire craindre, pour certains, la délicatesse de la forme et le soin apporté à la circulation de la parole. Dans le présent, ces jeunes hommes et femmes y vivent et s'y débrouillent. Sentir le poids du passé ne provoque pas l'arrêt. D'ailleurs, ces gens marchent tout le temps et ils avancent, les récits s'ouvrant toujours en leur fin vers de nouvelles directions. L'émotion ressentie face au cinéma de Mikhaël Hers provient de cette tension qui habite les personnages, entre passé et présent.

Premier essai, Charell est un beau film d'ambiance. Tiré d'une source littéraire, De si braves garçons de Patrick Modiano, il ne s'en cache pas. Les figures de style et les thèmes se mettent en place : délicatesse, nostalgie, discussions, amitiés, marches, musiques... Les coutures sont plus visibles qu'elles ne le seront par la suite. Comme les moyens visant à faire atteindre certains instants à l'étrangeté sont plus directs, de l'accompagnement musical aux postures des acteurs en passant par les éclairages. Les marges du fantastique sont parfois proches. Primrose Hill marque l'épanouissement du style, la forme se faisant moins rigide. L'étrangeté vient cette fois du point de vue adopté : cette histoire de quatre jeunes personnes est racontée par une cinquième qui leur est (ou a été) proche. Notre regard s'en trouve dédoublé et l'impression est forte de regarder l'écran presque à côté de cette narratrice à laquelle aucun des protagonistes ne fait allusion. Puis Montparnasse dénude encore. Et étrange, toujours, cette nuit captée par la caméra et où se déploient trois récits séparés, successifs. Le cinéma de Mikhaël Hers n'est pas réductible au seul réalisme.

Tout cela mène donc à Memory Lane (y aboutit, peut-être, avant de passer à autre chose). Le film partage son titre avec un autre roman de Modiano et une chanson d'Elliott Smith. Il propose une série de variations sur quelques motifs que l'on peut déjà qualifier de "hersiens" et s'autorise même des rappels et des prolongements discrets d'histoires ébauchées dans Primrose Hill. Ici aussi les regards se tournent parfois vers un passé récent, lui même chargé "d'avant". Des personnages, peut-être, sont en train de disparaître eux aussi. Les lieux arpentés deviennent familiers. La musique est ciblée indépendante (parce que les personnages savent précisément ce qu'ils aiment, ce qui n'arrive finalement pas souvent au cinéma). Le naturel est là, parfois bouleversant comme lorsqu'il faut accompagner un père vers la sortie. Le récit repose toujours sur des bribes de pas grand chose et éparpille encore, traitant les différents membres du groupe de manière inégale. Il est filandreux et imprévisible. Il a également une portée plus large. Par quelques détails, il explique en partie pourquoi la douceur imprègne tant ce cinéma-là : il s'agit d'une phobie, rare au cinéma et d'autant plus précieuse, de la violence, jusque dans les mots.

Les films de Mikhaël Hers nous attachent délicatement, recherchent la douce connivence (par le biais de sa troupe d'acteurs notamment), feignent d'énoncer des banalités pour mieux rendre ces moments uniques. Comme le fait la pop. Reste alors une question : ce cinéma peut-il toucher les spectateurs au-delà du cercle de ceux qui n'aiment effectivement "rien autant que la légèreté (et la profondeur) de la pop" ? Personnellement, nous l'espérons vivement.

 

Tout Mikhaël Hers sur Inisfree.

 

hers,france,2000s,2010sCHARELL

PRIMROSE HILL

MONTPARNASSE

MEMORY LANE

de Mikhaël Hers

(France / 45 min, 55 min, 58 min & 98 min / 2006, 2007, 2009 & 2010)

Commentaires

  • Et bien quelle productivité tu as en ce moment !
    Merci pour la dédicace et le lien, je suis évidemment très heureux que tu ais été sensible aussi à ce cinéma dont tu parles très bien de la délicatesse. J'aime beaucoup cette idée de la "marge du fantastique" sur Primrose Hill, je la retrouve aussi dans la description de certains lieux qui semblent habités par d'autres fantômes dont on ne parle pas (l'absence est un motif récurrent chez Hers).
    Je partage bien sûr ton vœux final et j'espère mener à bien mon article synthèse (passé les Rencontres, je pense).

  • Oui, dès Charell, il y a ces plans sur la ville ou les environs, nocturnes souvent (mais pas toujours), qui semblent signifier une absence ou un retrait. C'est l'une des beautés de ce cinéma-là, je trouve, ce qui lui permet de dépasser l'étude sociologique si on veut.

  • Bonsoir,
    Je viens de découvrir le long, avec beaucoup de joie. Je ne connais pas ce réalisateur par ailleurs et me voilà curieux des courts dont vous parlez. J'aime beaucoup ce que vous relevez de la douceur, de la phobie de la violence et de l'attention. Je reconnais le film que j'ai vu.

  • Heureux de voir qu'en écrivant, je n'ai pas dénaturé ni écrasé le film. Je vous conseille évidemment de découvrir maintenant les courts/moyens métrages, tout aussi sensibles que le long.

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