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We need to talk about Kevin

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Eva, femme heureuse avec son mari, met au monde un enfant qui s'avère pour elle, dès la naissance, ingérable, au point qu'un sentiment de haine apparaisse et perdure entre les deux jusqu'à la fin de l'adolescence de ce dénommé Kevin, bientôt responsable d'un acte de violence effroyable.

We need to talk about Kevin est un film inconfortable et excessif centré sur le thème fort de l'enfantement d'un monstre. Son traitement passe par un biais particulier, celui du lien, et repose sur un parti pris, le refus de la psychologie et de la leçon de morale, ces deux options impliquant des choix de mise en scène précis.

Elle n'arrive pas à aimer son fils et il déteste sa mère. Eva, celle dont nous épousons le point de vue durant tout le film, regarde son Kevin grandir, horrifiée mais sans pouvoir jamais s'en détacher. Elle sent la force du lien indéfectible existant entre eux deux et voit trop bien la part d'elle-même qui se retrouve dans l'autre (au-delà de la crédibilité basique, trouver un jeune homme ressemblant véritablement à Tilda Swinton était donc primordial). Cette notion d'attachement, Lynne Ramsay la fait également sienne pour trouver le système narratif et l'esthétique de son film. La cinéaste lie en effet ses plans les uns aux autres par de multiples trouvailles de raccords. Toujours, des couleurs, des postures, des lumières ou des ambiances sonores sont là pour nous entraîner vers le plan suivant. Ces liaisons servent aussi à faire tenir debout un récit dont la chronologique est totalement chamboulée. C'est plastiquement que le film s'ordonne et tout maniériste qu'il soit, il trouve par là sa cohérence.

En décrivant l'évolution (la non-évolution) de ce rapport filial sans chercher à donner aucune explication psychologique à cette faillite, Lynne Ramsay se place au-delà du réalisme. Elle nous envoie ses images comme si elles sortaient directement du cerveau de son héroïne, en désordre mais tendant vers un dramatique point aveugle. Le récit est soumis à l'état mental d'Eva et il se fait parallèlement très symbolique. Ce choix est risqué : nous en sommes réduits à observer deux blocs de caractère qui se font face. Eva est prise dans un glacis et Kevin est le mal incarné. Leur caractère n'évolue pas. Ce n'est pas tant un problème de crédibilité qui se pose alors qu'un problème de rythme (les scènes se répètent) et de dramaturgie (les réactions sont largement prévisibles, seule leur ampleur change). Le grand mélange initial se transforme, progressivement, en un fil narratif plus net et sans surprise.

Lynne Ramsay propose une mise en scène hyper-expressive, effectue un extraordinaire travail sur le son. Musiques et bruits sont parfois mixés très haut, ce qui crée un décalage étonnant, pas seulement, fort heureusement, destiné à véhiculer de l'ironie. We need to talk about Kevin est un film clinique et assez barré. Tant de maniérisme pour raconter cette sombre histoire peut agacer ou ennuyer par endroits. Tout cela fait de ce troisième essai de la cinéaste, après Ratcatcher (1999) et Le voyage de Morvern Callar (2002), peut être le plus abouti plastiquement mais pas le plus passionnant. Il est regrettable, notamment, qu'il nous laisse sur un final raté, dont le but est de faire apparaître, enfin, l'Humain. L'esquisse du thème du pardon ressemble alors à un passage en force, à une concession rassurante, voire au surgissement d'un politiquement correct qui était pourtant vigoureusement ignoré jusque là.

 

weneedtotalkaboutkevin00.jpgWE NEED TO TALK ABOUT KEVIN

de Lynne Ramsay

(Royaume-Uni - Etats-Unis / 110 min / 2011)

Commentaires

  • Bravo pour cet article (encore une fois) bien réfléchi.
    Effectivement le film se répète, sa force se délite un peu (mais un tout petit peu) et il tire aussi avantage de ses excès. Ne pas oublier que c'est un pur film mental, plein de connexions cognitives (traduites à l'écran par ses fameuses "transitions" au burin), plein de ré-interprétations de souvenirs, à un tel point qu'on en vient à douter où est le vrai, où est le faux, quelle part d'invention (et de folie?) se trouvent dans ces "flux de conscience".

    Pour le final, je le trouve au contraire d'une belle pertinence. S'il y a pardon de la part de la mère, ce n'est pas dans une dimension politiquement correct à mon sens (à la manière d'un happy end hollywoodien par exemple) : il y a tout autant de malaise dans cette acceptation (impossible) et dans ce dialogue final (où percent, tout autant que l'Humain, l'absurdité inexplicable du geste de Kevin). Lorsque Tilda ouvre la porte du pénitencier et retrouve la "lumière", on ne sait pas s'il y a rédemption ou noyade. En tout cas, ce ne sont pas ces dernières secondes qui vont annihiler, pour moi, tout le malsain de ce qui précède.

  • D'accord avec toi sur le final, malheureusement raté et que l'on aurait aimé nous voir épargné. Mais globalement, We need to talk about Kevin est un bon film, que je n'ai pas trouvé maniériste mais bénéficiant d'une "belle" mise en scène, originale et aboutie, collant parfaitement à son sujet. L'usage du rouge, de la couleur du sang, et donc le recours systématique à une symbolique qu'il n'est pas besoin de souligner est un autre point faible du film. Outre cette mise en scène très appuyée, diachronique, que tu analyses fort bien, il faut souligner le jeu des acteurs, le gamin, l'adolescent et Tilda Swinton sont parfaits. L'aboutissement de cette relation, dans un acte criminel ahurissant parait bien disproportionné et nous pose de sérieuses questions tout au long du film. Comme toi, j'ai penché pour une incarnation du mal. Il existe bien des relations parents-enfants qui sont douloureuses et toutes ne débouchent pas sur de telles atrocités. Dans ces conditions, vouloir faire apparaître l'Humain, comme tu le dis, chez un personnage qui ressemble à Michael Myers en plus abouti, c'est du gâchis. Il n'en reste pas moins que, au cours de cette année 2011, je crois que ce film me restera et qu'il a ses chances pour entrer dans le top 10 (il est 8 ou 9ème pour l'instant, à voir ce que réserve de surprise la dernière ligne droite de l'année 2011).

  • De la rencontre de Van Sant avec Damien. Je n'ai pas aimé du tout, comme je l'ai développé dans mes chroniques cannoises. Sur Facebook, j'ai du utiliser le mot "grotesque", au sens premier. La mise en scène est très en avant et c'est bien dommage qu'elle soit mise au service d'une très classique histoire d'horreur habillée de réalisme à laquelle je n'ai pas marché plus d'une dizaine de minutes (le coup du cobaye, quand même). Plusieurs fois, j'ai pensé à un joli navet des années 80 : "Liaison fatale" avec Glenn Close dans le rôle du Mal. Je suis étonné de l'indulgence de Julien, parce que oui, l'ado de Ramsay ressemble à Myers, sauf que chez Carpenter, on joue le jeu.

  • fredastair : Sur l'idée de l'ambiguïté, du vrai et du faux, il me semble que ce n'est pas si réussi que cela. En tout cas, ce questionnement ne m'a pas vraiment effleuré, la mise en scène prenant sans doute un peu trop de place pour que ce trouble s'insinue.
    Quant au final, ce n'est pas seulement le pardon qui me gêne mais aussi les larmes du fils.

    Julien : Oui, le film est bien interprété (je ne suis pourtant pas spécialement un admirateur de Tilda Swinton, au contraire de beaucoup de gens). Quant à la question de la personnification du Mal, cela me semble en effet évidemment : même lorsque le garçon se calme, l'inévitable retour à une posture conflictuelle laisse penser que cet adoucissement temporaire n'était qu'un calcul diabolique.

    Vincent : C'est vrai que We need to talk appartient à cette catégorie des "films d'auteur jouant avec les codes d'un genre", et que cela ne marche pas toujours,qu'il y a un écart trop grand entre les deux visions du cinéma. Je n'ai jamais vu Liaison fatale, mais je pense que Ramsay est quand même une meilleure cinéaste qu'A. Lyne. Quant à Van Sant, je n'y ai pas pensé une seconde (la "déconstruction mentale" et l'absence d'explications peut-être). Le film me semble plutôt proche des fictions glacées-choc de type Haneke.

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