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Edward aux mains d'argent

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Aux couleurs éclatantes des murs, des objets, des véhicules et des vêtements des habitants de cette zone pavillonnaire dans laquelle Tim Burton situe l'histoire d'Edward aux mains d'argent sont opposés la blancheur du teint et le noir de l'accoutrement de son héros qui le rend d'abord invisible au regard lorsqu'il se tient blotti sous le toit de son château avant de s'extraire de ce néant, de renaître. A ce château haut perché, les nuages chargés ont d'ailleurs l'habitude de s'accrocher pour le plonger régulièrement dans la pénombre. A l'intérieur, un gris poussiéreux recouvre les machines abandonnées.

Le noir et blanc, c'est le cinéma des origines. C'est de là que tout part et c'est là-bas qu'il faut revenir, au moins de temps en temps, pour s'extraire du monde de trop de couleurs. Et le lieu le plus accueillant est celui du genre qui marque le plus l'enfance, qui laisse les traces les moins effaçables : le fantastique, le conte, l'horreur.

Ce qui rend beau ce retour nostalgique, c'est qu'il est accompagné par l'idée de transmission, à travers la présence de Vincent Price jouant l'inventeur, le père, le professeur d'Edward (et ici, Burton est à chercher bien sûr dans les deux à la fois : la créature aux ciseaux et son créateur). Remarquons cependant que Price n'est pas déjà mort, qu'il n'est pas embaumé par la grisaille : ses yeux bleus percent, des touches de couleur parsèment son apparence. Avant qu'Edward soit propulsé dans les rues de la riante banlieue, c'est Peg, la mère de famille, qui effectue le premier pas, imposant sa présence incongrue dans la bâtisse suposée hantée sans se départir de son entrain et de sa sincérité désarmante. Grâce à cela, grâce à elle, le récit naît, l'improbable se réalise. Grâce, donc, à la mère de Kim qui elle-même racontera à sa petite fille l'histoire. La transmission remonte à loin.

Des habitants, Kim est celle qui, à la fin, sera vétue de blanc. Un blanc finalement taché de rouge, ce qui rendra la réclusion à nouveau nécessaire. Elle ne devrait pourtant pas être la règle : les couleurs ont leur place là-haut, comme l'échange est possible en bas. Plusieurs points de rencontre sont là pour le prouver. Le plus beau est peut-être cet instant partagé le soir de Noël. Edward, recherché par tout le monde, revient un moment dans la maison de sa famille adoptive. Il entre dans le salon, décoré pour l'occasion mais paraissant soudain épuré, doucement éclairé, irréel, comme si l'aura d'Edward l'avait précédée. Une main s'approche alors dans le but de toucher le dos du jeune homme dans un cadrage très courant dans le genre fantastique. Or le sursaut ne se fait pas. Les gestes sont calmes et tendres. La main se pose légèrement sur l'épaule. Les deux mondes se mêlent dans ce qui est un magnifique prélude à la poignante séquence de l'impossible étreinte.

Le film nous demande d'aller aux delà des apparences. Il nous aide à voir le jardin verdoyant, créatif et harmonieux au-delà des grilles inquiétantes du château. Ce jardin est le cœur d'Edward, c'est le gâteau de cette forme que dirige l'inventeur pris de vertige vers la poitrine de l'un de ses robots rudimentaires. L'autre recommandation est d'être soi-même, afin de ne pas devenir interchangeable comme ces ménagères peuplant la petite ville et posant dans le studio télé des questions bêtes, à leur niveau, bien qu'elles ouvrent malgré tout, involontairement, quelques gouffres ("Si vous deveniez comme tout le monde, vous ne seriez plus différent ?", "Avez-vous une petite amie ?"). Cette banlieue est aussi celle des frères Coen et de Lynch, il suffit d'accentuer légèrement, d'y mettre un peu d'ordre esthétique, d'en grossir des détails, pour qu'en sorte la part monstrueuse.

On l'avait un peu oublié depuis, l'éloignement et les récents échecs de Burton faisant écran, mais Edward aux mains d'argent est un film qui n'est pas surchargé, qui pose les choses simplement. Si les contre-plongées peuvent y être extrêmes, elles ne sont pas là pour épater mais pour exprimer le plus purement possible l'idée du déplacement du personnage sur un fond auquel il n'appartient pas. L'idée des ciseaux à la place des mains est également des plus simples. Le principal est qu'elle soit prolongée dans toutes ses dimensions : ludiques, dangereuses ou sexuelles. Et qu'elle ne débouche pas sur une confortable résolution. Le merveilleux conte de Burton n'élude ni la violence ni la mort, d'où, au-delà de l'émotion qu'il suscite encore, sa tenue, son exemplarité, sa beauté.

 

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burton,etats-unis,fantastique,90sEDWARD AUX MAINS D'ARGENT (Edward Scissorhands)

de Tim Burton

(Etats-Unis / 105 min / 1990)

Commentaires

  • assez déçu par la vision caricaturale et superficielle de la banlieue lors de ma dernière révision. La vision du conformisme petit-bourgeois apparaît du coup trop artificielle. Ce qui tourne autour des méchants est assez raté aussi. Dans l'ensemble c'est un film trop superficiel à mon goût.
    c'est toutefois un beau film auquel je reste attaché mais il ne fait plus partie de mon panthéon alors que je l'ai vraiment beaucoup aimé.

  • Le saviez-vous ? C'est à une faute de frappe que doit son nom le personnage principal de ce film. Edgard est en effet devenu Edward suite à une étourderie de Tom Burtin, coutumier du fait.

  • Toujours un peu agacé par la surcharge du film et la satire à la truelle de Tim Burton. La métadiscursivité vaut le coup mais visuellement c'est comme un gros malabar dans mon souvenir.

  • Je conçois que l'on puisse trouver, comme Christophe, le film trop superficiel, voire caricatural. Mais moi, cela ne me gêne absolument pas que Burton glisse ainsi sur la surface des choses dans cette banlieue et qu'il grossisse ses détails. C'est le jeu du conte et de la satire.

    En revanche, je ne suis pas du tout d'accord avec le reproche de surcharge, Rémi. L'organisation des plans dans "Edward" n'a pas grand chose à voir avec les boursouflures de "Alice" et le fatras de "Dark shadows" (que j'aime bien par ailleurs). Il entre finalement peu d'objets dans les cadres, les couleurs sont posées en grands aplats, le ciel, les pelouses prennent toute la place, les oppositions sont simples, "primaires" si on veut. Ou alors on parle de surcharge de sentiments, mais là, je ne lui reprocherai pas non plus.

    Bref, j'ai retrouvé intact le film, tel que je l'avais laissé à l'époque.

    (et puis cette séance était particulière, c'était aussi une histoire de transmission... :))

    PS : Triviax, heureusement que Clint Eastwood est moins étourdi. Titrer son dernier film "J. Edward", cela n'aurait pas été sérieux.

  • Pour moi, c'est bien évidemment le plus beau film de Tim Burton et je suis entièrement d'accord avec cette très belle critique.
    Au-delà de la satire du conformisme (qui est quand même drôle et enlevée), c'est cette idée de transmission qui me passionne. Mais également une certaine inscription dans le genre. Edward est peut-être la créature "hybride" la plus parfaite de Burton qui arrive après les grands genre (via la présence de Vincent Price) et qui en propose une relecture en travaillant à partir de "nouveaux corps" (voir les mélanges audacieux et très drôles dans "Mars Attack"). Si j'ai l'occasion de revoir le film, je tenterai de développer tout ça un peu mieux...

  • J'ai dit "surcharge" j'aurais dû dire "surcharge signifiante", ou "surlignage". Une idée par plan pour le dire autrement, et une idée qui occupe tout le plan.

  • Doc : Oui, c'est aussi, selon moi, son plus beau film, le plus pur, celui qui cristallise le mieux ses thèmes, son esthétique, ses références.

    Rémi : Pourtant, même au niveau des intentions, je ne trouve pas que le film soit trop chargé. Il y a bien l'évidence du message, la "mécanique" des retournements de situation, mais cela fonctionne parfaitement à mon avis, de manière toujours ludique et toujours en restant inscrit dans le genre choisi du conte fantastique. Quant à "une idée par plan", j'y vois plutôt l'envie d'exprimer un sentiment de façon directe et très visuelle.

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