(Alexandro Jodorowsky / Mexique – Etats-Unis / 1973)
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Par rapport à El Topo, La montagne sacrée (La montana sagrada) bénéficie d'une mise en scène fondée sur des compositions plastiques encore plus soignées et l'oeuvre n'est reliée à aucun genre cinématographique précis, ce qui a l'avantage de la délester de tout aspect parodique. Malheureusement, ce deuxième trip en compagnie d'Alexandro Jodorowsky m'a totalement découragé.
Notre homme structure à nouveau son film en de larges panneaux découpant des parties très distinctes les unes des autres et use d'un mode de narration répétitif à l'intérieur de chacune. La première décrit l'arrivée dans une ville latino-américaine sous contrôle militaire d'un nouveau Christ. Celui-ci, toujours en tenue officielle (celle qu'il a sur la croix, à moitié nu donc), rencontre après quelques vicissitudes, un grand maître alchimiste qui le prend sous son aile et le présente à huit autres personnalités importantes (toutes sont les figures d'un certain pouvoir : entrepreneur, chef de la police, marchand d'armes...). Ce groupe ainsi formé, après avoir atteint un niveau spirituel précis, doit gagner le sommet de la Montagne sacrée pour étendre son influence sur le monde entier.
Entrer plus précisément dans les détails pourrait être drôle, mais le coeur n'y est plus... Les déboires du Christ au milieu d'un peuple asservi sont rendus avec la frénésie surréaliste habituelle de Jodorowsky et ils s'inscrivent dans le registre de la farce (pas de dialogues véritables dans ces premières minutes, juste des grognements, des cris...). La plupart de ces séquences sont déjà gavées d'un symbolisme qui les rendent proprement incompréhensibles et du coup, à mes yeux, totalement arbitraires (la plus symptomatique étant celle où des individus habillés en soldats romains entraînent le Christ dans un entrepôt et en font des "copies"). La rencontre avec l'alchimiste, au sommet d'une tour, univers parallèle où s'effritent tous les repères spatiaux et temporels, laisse espérer une entrée dans le fantastique. Cet espoir d'une nouvelle approche, qui permettrait enfin de nous faire accepter toutes les aberrations, est vite réduit à néant. Le Maître (Jodorowsky lui-même) assène à son visiteur, pendant vingt minutes, des sentences ésotériques et l'accompagne dans une série de rituels improbables. Survient alors un nouveau changement de direction avec une succession de sketchs satiriques prenant pour guides chacun des nouveaux compagnons du Christ et pour cibles les principaux travers de la société (militarisme, course au progrès, absurdités technologiques, déshumanisation...). Dans leur majorité, ces huit sketchs sont assez mauvais (celui qui se termine dans un musée d'art contemporain sexuel, devant une machine à orgasme, est d'une bêtise sans nom), à l'exception de celui centré sur la femme dirigeant une usine d'armement et présentant sa gamme de fusils pour les jeunes hippies (fusils décorés donc aux couleurs du flower power) et surtout celui qui montre une étrange fabrique de jouets dont tous les ouvriers sont des vieillards et dans laquelle une patronne belle et hautaine se déplace sur fond de musique classique. Ce sera le seul moment où le cinéaste arrêtera la déconne et le mysticisme pour donner un peu de beauté triste à son film. Enfin, la dernière partie, très longue, nous achève en donnant au spectateur l'impression de partager le quotidien d'une communauté de hippies abrutis par toutes les substances possibles. Tout cela est vraiment très intéressant... Il y a bien, au cours du long chemin parcouru par cette secte, pendant cinq minutes, quatre ou cinq flashs saisissants qui renouent avec la cruauté du surréalisme mais le tout se termine par une pirouette de Jodorowsky qui dévoile l'envers du décor de la fiction et qui ne nous fait ni chaud ni froid.
Il y aura donc eu de nombreux beaux corps dénudés, des visions extrêmes à base d'obscénités sexuelles ou de corps difformes nous sortant par instants de l'hébétude, des séquences très gonflées (un vieillard offre son oeil de verre à une fillette). Il y aura eu surtout un ennui insondable. Tiens, notons que La montagne sacrée se frotte un instant au tabou de la défécation, qui n'a vraiment été affronté, à ma connaissance, que dans ces années 70, dans des oeuvres aussi différentes que le Sweet moviede Dusan Makavejev ou Au fil du tempsde Wim Wenders. Je vous vois sourire (ou frémir) en attendant une chute scatologique pour terminer cette note, mais non, ne contez pas sur moi pour écrire des choses pareilles...
Ah ouais, quand même… J’ai déjà vu quelques films de tarés mais dans le genre "on fait n’importe quoi" El Topose pose là. Si la vision du délire culte de Jodorowsky me fût plutôt pénible, en résumer l’argument est cependant un plaisir. Un étrange cavalier, tout de noir vêtu et que l’on nommera au choix El Topo (la Taupe) ou Dieu, sillonne le désert accompagné d’un enfant de sept ans seulement habillé d’un chapeau. En chemin, ils tombent sur un terrible charnier, puis retrouvent les coupables dans un monastère avant de les occire. Au moment de repartir, El Topo abandonne le gamin et emporte sur son cheval une femme qu’il vient de sauver et qui maintenant n’a d’yeux que pour lui. Il la prend violemment dans les dunes. Elle lui répond qu’elle l’aimera plus encore lorsqu’il aura affronté les quatre meilleurs tireurs du désert. Ce qu’il ne tarde pas à faire : trépassent donc l’aveugle rapide, le Russe vivant avec sa mère et son lion, le musicien entouré de centaines de lapins et le vieil ermite dont le filet à papillons détourne les balles de revolver. Malgré tout, la femme le quitte pour une autre beauté rencontrée entre temps et qui porte admirablement la veste de cowboy en laissant entrevoir sa poitrine. Laissé à moitié mort, El Topo reprend ses esprits quelques années plus tard dans une grotte entouré de miséreux le vénérant tel un saint. Il décide d’aider cette communauté de pestiférés en creusant un tunnel qui leur permettrait d’aller vivre dans la ville voisine, tenue toutefois par une horde de vieilles femmes très dignes mais libidineuses et esclavagistes. Notre homme ne pourra éviter un nouveau massacre d’innocents et même si l’enfant qu’il a jadis abandonné ré-apparaît et si sa nouvelle femme naine vient d’accoucher, il s’immole.