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ulmer

  • Le démon de la chair

    (Edgar G. Ulmer / Etats-Unis / 1946)

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    ledemondelachair.jpgUne bourgade de la région de Boston, au début du XIXème. Jenny est une petite fille pauvre, se débrouillant comme elle peut avec son ivrogne de père. Elle ne rêve que d'une chose : épouser un homme riche.  Devenue une très belle femme, elle n'a pas beaucoup de mal à y parvenir. Elle se jettera successivement dans les bras du plus gros entrepreneur de la ville, de son fils et de son contremaître, les deux premiers y laissant la vie.

    Il est rare que l'on nous présente au cinéma une fillette aussi délibérement méchante. On voit lors du prologue du Démon de la chair (The strange woman) la petite Jenny jouer de façon douteuse avec la vie d'un camarade en le poussant dans la rivière alors qu'il ne sait pas nager puis mentir effrontément aux adultes affolés, jusqu'à se faire passer pour celle qui a sauvé le garçon de la noyade. Passé cet épisode, elle annonce solennellement à son père qu'elle finira bientôt par être très riche.

    L'arrivisme éhonté du personnage et sa jouissance à réussir tout en provoquant la perte de ses proches sont ainsi posés dès le début et il sera, jusqu'à la fin, bien difficile de trouver le moindre signe d'infléchissement moral. Cette capacité à s'élever en piétinant les autres sans aucun scrupule est pour le spectateur assez fascinante. S'il nous arrive parfois de croire à la sincérité de quelques sanglots, sans doute parce que nous sommes conditionnés par les codes du mélodrame, en un clin d'œil, le double jeu de l'héroïne nous est ré-affirmé pour clore la séquence. Autre source d'étonnement : la jeune femme, sachant pertinemment ce qu'il faut faire pour devenir populaire, accumule les bonnes actions (dons à l'église, reprise d'une entreprise à l'abandon) pour mieux mener à bien sa conquète maladive du pouvoir. Très intelligemment, Ulmer filme les scènes de visites aux pauvres et aux malades sans dénoncer la "bienfaitrice", ce qui permet de préserver dans le récit une certaine ambiguïté.

    Le scénario du Démon de la chairse rapproche par bien de aspects de celui du film de John Stahl, Pêché mortel(1945), ce qui est parfaitement logique lorsque l'on sait qu'un même romancier est à l'origine des deux récits : Ben Ames Williams. Hedy Lamarr est certes moins mystérieuse que Gene Tierney, ses variations de registre apparaissant plus tranchées. Mais ce très léger "sur-jeu" sied bien au film d'Ulmer. En effet, la qualité de l'œuvre est de ne rien cacher et de rester constamment honnête avec le spectateur. Il ne s'agit toutefois pas de rendre tout évident dès le premier plan : lorsqu'un personnage dissimule quelque temps un sentiment ou un projet, sa duperie ne doit pas paraître d'emblée au spectateur alors que ses interlocuteurs sont abusés. Des images (et des mots) du film naissent un fort effet de réalisme : actions suspendues, gestes et postures crédibles, mains qui se touchent (Jenny prend toujours l'initiative, à un moment ou à un autre, de poser la sienne sur celle de sa prochaine "proie", afin de mieux la troubler) et réactions sensées. Dans un genre très codé, ce soin apporté à la vraisemblance ménage une agréable surprise, quasiment pour chaque séquence, et de ce fait, la mise en scène d'Ulmer paraît aussi belle dans les moments de transition narrative que dans les temps forts et les passages obligés (fort bien réalisés, notamment en faisant passer la contraction du temps découlant d'une succession rapide d'événements par des articulations parfaites) . Le film, assez long, faiblit quelque peu sur le dernier tiers (Georges Sanders n'y est pas à son meilleur niveau) et Ulmer expédie son dénouement. Il n'en a pas moins réalisé là un excellent mélodrame.