(Jean-Luc Godard / France / 2004)
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Rivette et Chabrol, ça m'a fait pensé que j'avais en stock un récent Godard à regarder (j'ai un retard incompressible sur mes enregistrements télé : je visionne en ce moment ce qui est passé début 2005). A chaque fois, on a beau se préparer à l'avance, se dire "Ne te fais pas d'illusion, il n'est pas revenu à un cinéma narratif; les années 60, c'est fini", secrètement, on espère. Et on a tort d'espérer.
Notre musique débute par un flot d'images de natures diverses (reportages, films de fictions, photos, peintures) mais ayant toutes trait à la guerre et à ses conséquences. Des quelques plans de films d'Eisenstein aux images de JT sur Sarajevo, tout est retravaillé à l'ordinateur et assemblé par un montage dévastateur. Le seul accompagnement est un piano et quelques rares mots lus calmement par une voix féminine. Ce défilé d'horreurs, souvent déjà vues, prend une dimension autre par le choc des collages et n'a pas besoin d'un discours en plus sur le sens de tout cela (ça ne va pas durer). Ce prologue, intitulé "L'enfer", est terrible et très beau.
Vient "Le purgatoire". Une histoire se met en place : dans un aéroport, plusieurs personnes sont réunies, venues participer aux Rencontres Internationales du Livre de Sarajevo. L'une d'entre elles est une jeune femme juive, journaliste souhaitant rencontrer un ambassadeur, puis se rendre à Mostar voir le pont reconstruit. Et c'est tout. Le reste n'est qu'enregistrement de propos sur le conflit israélo-palestinien, sur la responsabilité de l'écrivain, sur le statut de victime. Ces paroles sont dites par de véritables intellectuels, mais ça pour le savoir, il faut lire un article ou une critique sur le film, car rien ne l'indique. Intéressantes, ces déclarations sont parasitées par le montage visuel et sonore de Godard et par le flou qui entoure la personnalité qui les énonce. Comme d'habitude, la bande son est saturée de citations qui perdent le spectateur. Un trio d'Indiens vient demander des comptes aux hommes blancs dans la bibliothèque de Sarajevo. Le cinéaste a des idées sur l'état du monde, sur l'histoire, mais il ne les incarne pas dans un récit, il les expose, les accompagne avec quelques images, quelques amis. De tous ses derniers travaux, seuls ses Histoires du cinéma m'intéressent, car là, on est dans le documentaire, dans l'essai direct, pas dans la fausse fiction au service unique d'un discours.
Dans Notre musique, Godard, dans son propre rôle, tient une conférence sur le cinéma devant des étudiants. Un triple travelling capte leurs visages béats, saisis qu'ils sont devant ce Dieu, buvant ses paroles les yeux fermés. Les sentences proférées sont lumineuses. Deux photos de La dame du vendredi circulent dans l'assistance, l'une de Cary Grant, l'autre de Rosalind Russell. Paroles du Maître : "Dans le film de Hawks, vous croyez voir un champ/contre-champ, mais en fait, c'est la même photo, simplement parce que le cinéaste ne sait pas faire la différence entre une femme et un homme." Ah bon, euhh, si vous le dîtes... Bon d'accord, sur cette histoire de champ/contre-champ, il y a aussi une réflexion plus intéressante sur Israël et la Palestine, mais cette séquence d'auto-adoration est à la limite du supportable (c'est vrai que Godard a toujours eu un humour particulier, alors peut-être est-ce voulu).
"Le purgatoire" se termine avec l'annonce faîte à Godard, en train de jardiner, de la mort de la jeune journaliste, fausse terroriste suicidée à Jerusalem avec un sac à dos rempli de livres en lieu et place d'explosifs. Et on se dit : "Cette mort, il aurait pu la filmer. Le cinéma serait de retour." Il revient, le cinéma, in extremis, avec l'épilogue, "Le paradis". Sans paroles, avec une musique magnifique, Godard filme son héroïne dans une nature frémissante, ce paradis gardé par des Marines (comme le dit une chanson, et ça, tout à coup, c'est vraiment humoristique). 5 minutes de prologue, 5 minutes d'épilogue : Notre musique est un court-métrage admirable.
Commentaires
Pas beaucoup de souvenirs de ce film que j'avais vu à sa sortie, mais contrairement à toi, je me souviens d'avoir eu l'impression de redécouvrir Godard avec cet opus. Littérallement scotché par la première partie "L'enfer". Dans la deuxième partie, j'avais l'impression qu'il continuait avec la parole ce qu'il avait fait avec les images dans la deuxième partie. A partir d'une multitude de paroles et de discours qui au début paraissent faire "interférence", il trouve comment les accorder entre eux, comme des instruments de musique et construire un "entre-deux", un purgatoire peut-être mais un lieu où la paix et le dialogue peuvent s'installer après la guerre. Pour moi, il y a plus d'ironie que d'auto-adoration dans la séquence de la conférence de presse, que je trouve quand même assez drôle. Maintenant, c'est sûr qu'un film pareil fait tellement appel à sa propre subjectivité.
En tout cas, continue ton blog et puis 1971 est une belle année dont il faut effectivement retenir Skolimowski et Gainsbourg (et aussi Siegel mais ça me touche un peu moins que les deux autres opus que tu cites).
Merci Joachim. Je suis un peu de mauvaise foi sur cette séquence, où je pense aussi qu'il y a une part d'ironie. Les films de Godard des vingt dernières années sont si déconcertants que leur réception dépend pas mal de l'état d'esprit du spectateur je crois. J'avais par exemple adoré "Allemagne année 90 neuf zéro".
J'ai vu sur ton beau blog ton intérêt pour Skolimowski, cinéaste bien oublié. Les 3 ou 4 films que je connais de lui m'ont toujours donné envie de voir le reste de sa filmo.
Chers amis en Godardie,
Cadeau de Noël 2007? J'ai moi-même tenté d'écrire quelque chose sur Notre musique
http://docs.google.com/Doc?id=dhn87f8k_296cb3s93
qui rejoint un peu le fil de votre discussion. Godardien en diable, mais un peu troublé par ses poses de penseur, j'ai aussi écrit des choses sur Filmer après Auschwitz
http://docs.google.com/Doc?id=dhn87f8k_308gmj3fm
Je propose aussi une pêche de ses vidéos sur différents lieux du web.
http://docs.google.com/Doc?id=dhn87f8k_294d5htqf
dont le magnifique Ubuweb.
http://www.ubu.com/
Je vous donne donc tous ces liens. Il y a beaucoup d'autres choses sur Godard dans mon site par ailleurs.
http://maurice-darmon.blogspot.com/
Merci et courage: il en faut toujours pour JLG. Mais je trouve toujours beaucoup de choses, et ça se voit mieux quand c'est un peu raté. MD