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Nightswimming

  • Law and Order (Frederick Wiseman, 1969)

    ***

    Immersion parmi les agents de la police municipale de Kansas City, au commissariat et en interventions extérieures. C'est l'un des rares Wiseman que je n'avais encore jamais vu et c'est peut-être le plus brutal, formant de ce point de vue une sorte de diptyque avec Hospital, tourné l'année suivante. Encore que, dans ce dernier, le cadre hospitalier "contenait" la détresse humaine, il était fait pour la canaliser sinon l'apaiser totalement. Ici, la violence, souvent aggravée par le racisme, est présente partout. L'approche frontale la rend saisissante, parfois difficile à supporter. Puisque la caméra suit les hommes en uniformes, arrivant donc après les faits, c'est essentiellement la violence policière qui est montrée lors des arrestations (portes défoncées, coups, étranglements...). Et celle-ci est assumée par les responsables. Wiseman a obtenu les autorisations nécessaires de la part des autorités locales, qui l'ont laissé filmer ce qu'il voulait. Ce mélange américain d'oubli de la caméra et de confiance absolue dans la transparence démocratique (apparemment, le film a été diffusé sans problème particulier) reste unique et fascinant. Bien sûr, le travail du lien social ressort également : les agents dialoguent avec la population, apaisent des tensions, font ce qu'ils peuvent avec les ivrognes, recueillent les enfants perdus... Si le film paraît si brutal, cela tient aussi au style (et à la technique), moins posé qu'il ne le sera par la suite. Quelques "trucs" persistent (par exemple la caméra semblant trouver le sac à main perdu dans l'herbe avant le flic qui le cherche) et, entre les moments attrapés dans l'urgence, les séquences de transition manquent encore de fluidité, mais on trouve déjà ces pauses permettant le pas de recul comme l'échange entre deux policiers autour des salaires ou l'extrait de meeting où Nixon vient instrumentaliser le sentiment d'insécurité. Enfin, la rudesse tient à la condensation (à peine 1h20) qui produit un effet d'accumulation. De fait, c'est lorsqu'il doublera la durée de ses métrages que Wiseman signera ses premiers véritables chefs-d’œuvre, dans la décennie suivante, Juvenile Court et Welfare.

  • Ce que cette nature te dit (Hong Sangsoo, 2025)

    ***

    Bizarre bizarre ce on-ne-sait-plus-combien-tième film de HSS. Il est à la fois transparent, direct, évident, dans la qualité de son interprétation, dans sa narration et dans ses thèmes, critique de la bourgeoisie éclairée, interrogations sur la pratique poétique, sur l'indépendance de l'artiste, sur le confort matériel. Mais dans l'extrême longueur des séquences se produisent des renversements, des changements de point de vue sur les personnages, phénomènes culminant évidemment dans la bascule alcoolisée au moment du dîner. Par ailleurs, il y a ces hésitations étonnantes au début, ces personnages dont on parle longtemps avant leur apparition, ces instants d'attente fébrile pour l'invité, cet étrange circuit nocturne avec chute, ces mêmes cadrages qui reviennent... Sans que rien ne soit changé des procédés habituels (si je comprends bien, le cinéaste est maintenant quasiment tout seul avec ses comédien(ne)s), j'ai vu, en creux, plutôt qu'une comédie familiale, un terrible film d'horreur, un sanglant survival, le grand slasher de HSS.

  • Nouvelle Vague (Richard Linklater, 2025)

    **

    C'est globalement amusant et plaisant parce qu'assez vif (alors même qu'il n'y a pas d'enjeu dramatique, juste le déroulement des jours de tournage). Le soin apporté à la reconstitution (+ le format et le noir et blanc) fait qu'il n'y a pas de gêne à ce niveau-là. On sent le besoin de Godard de tourner à tout prix et, ce qui m'a paru au début l'angle le plus original du film, malheureusement pas trop développé ensuite, le mélange d'amitiés et de jalousies parcourant (et poussant) le groupe des Cahiers. C'est un bon making-of mais son principe de reproduction l'empêche d'être un grand film car on n'y voit pas (moi en tout cas) ce qui appartient à son auteur. L'inventivité d'un geste, d'une situation ou d'un dialogue semble toujours due à Godard, à ses collaborateurs ou à son époque, mais pas aux responsables de "Nouvelle Vague", qui est une sorte d'agréable capsule.

  • A bout de souffle (Jean-Luc Godard, 1960) & A bout de souffle, made in USA (Jim McBride, 1983)

    **** & °
     
    A bout de souffle c'est vraiment l'un des très rares films qui donnent effectivement l'impression de tout renverser, et cet effet persiste à chaque revoyure, notamment grâce à la dynamique incroyablement syncopée de la première demi-heure, puis par l'autre genre de provocation qui consiste à s'enfermer très longuement dans une chambre, avant de retrouver la liberté du mouvement et de la rue dans le dernier tiers.
    Le remake de Jim McBride, cinéaste par ailleurs intéressant, est, lui, d'une nullité absolue. La déconstruction et la distance imposées par Godard faisaient accepter tous les coups de tête, tous les propos excessifs, toutes les oscillations paradoxales des personnages. Observés dans la continuité d'une narration hollywoodienne, ceux-ci deviennent des idiots irresponsables. Valérie Kaprisky est mauvaise parce qu'elle ne fait rien, Richard Gere est mauvais parce qu'il en fait trop. Pourtant la transposition n'est pas du tout gênante en elle-même et aurait pu fonctionner (puisque Godard était parti pour réaliser un "film noir" et utilisait plusieurs éléments américains). Mais rien ne va dans la mise en scène, au point qu'il est décourageant de tout lister. Je relève donc la seule chose réellement étonnante du film : les moments de nudité en full-frontal de Richard Gere.

  • Sans un bruit (John Krasinski, 2018)

    °

    Ici, les monstres sont dépourvus de sens visuel et attaquent uniquement au bruit, ce qui oblige les humains à rester parfaitement silencieux. Pour réussir son coup à partir d'un concept aussi contraignant, il faut soit bénéficier d'un scénario hyper-astucieux soit déployer une mise en scène expérimentale ou au moins basée sur de solides partis pris. Il n'y a rien de cela dans le film. Passée une introduction laissant espérer un minimum de risques narratifs et esthétiques, fond et forme ne s'écartent jamais de la tradition jusqu'au dénouement. Sont alors accumulés les palliatifs : apartés dans des recoins sécurisés, musique envahissante, gestes signifiants (combien de fois l'index dressé devant la bouche ?), entorses à la vraisemblance (quel parent a eu un bébé aussi calme ?), bidouillages incessants et pas toujours rigoureux des niveaux sonores... Par ailleurs, la communauté en péril est réduite à la cellule familiale, de surcroît endeuillée dès les premières minutes, ce qui va encombrer la totalité du récit principal d'une culpabilité pleurnicharde. De l'instant communion mains jointes autour de la table en travelling circulaire jusqu'au sacrifice paternel laissant juste le temps d'exprimer en langue des signes le "je t'aime" trop longtemps retenu, rien ne nous est épargné pour promouvoir les valeurs de la bonne famille américaine. A côté, Spielberg c'est Pasolini.

  • Le Grand Noceur (Luis Buñuel, 1949)

    *

    Comédie morale docilement réalisée, pour un résultat "sans intérêt" tranchera plus tard Buñuel. Il est vrai qu'il s'agit de l'un de ses films les plus faibles, même si, comme d'habitude avec son cinéma, on peut aussi le lire "en creux" et extrapoler autour de ce qu'il ne dit pas, ici d'autant plus que l'intrigue repose sur un renversement temporaire des valeurs. Un milliardaire, déboussolé par le veuvage, dirige ses affaires de façon légère, préférant s'enivrer et festoyer. L'ensemble de sa famille vit à ses crochets. Après le scandale éthylique de trop, ses proches s'organisent pour lui jouer une comédie destinée à produire un choc : profitant de son état comateux, ils s'installent dans un quartier pauvre et lui font croire que ses frasques ont provoqué la faillite. Mais il découvre la supercherie et décide à son tour de leur donner une bonne leçon. Le film est prisonnier de son origine théâtrale et finit par s'épuiser dans les retournements de situation mécaniques. Forçant les grands bourgeois à travailler de leurs mains, la satire est plaisante mais superficielle. La véritable confrontation des classes est atténuée, à un ou deux reproches près lancés par le personnage du jeune prolétaire, le plus intéressant du lot. Lors de trois séquences seulement, Buñuel retrouve la liberté, celle des rues de Mexico, celle des gestes, celle de l'expérimentation. D'abord avec une tentative de suicide depuis le toit d'un immeuble, où, comme toujours chez lui, y compris dans un cadre commercial comme celui-ci, la mise en scène parvient à nous faire réellement craindre le pire. Ensuite avec une jolie scène de romance dans une voiture équipée d'un micro et d'un haut-parleur pour les annonces, tendre échange prolongé et partagé par inadvertance avec tout le quartier. Le même appareil servira également au final à parasiter, depuis la rue, le discours du prêtre et à empêcher le mariage redouté.

  • Thirst (Park Chan-wook, 2009)

    ***
     
    J'y étais allé un peu fort en 2009 en parlant de quasi-chef d’œuvre. Quelques longueurs, et, au centre, des passages qui apparaissent légèrement décousus. Mais j'aime toujours le film pour son originalité, pour son renouvellement de l'approche du vampirisme (promis par chaque nouveau film du genre et qui est ici réel), pour sa vitalité et sa passion, et puis pour ses formidables interprètes Song Kang-ho et Kim Ok-vin (et les autres). Surtout, j'y vois un exemple rarissime de prolongement pertinent du surréalisme et du cinéma de Buñuel. Non seulement à cause de l'amour fou, mais aussi dans le rapport détonant à la religion, dans les collages oniriques-hallucinatoires, dans les apparitions très concrètes du fantôme et dans l'érotisme qui mobilise énormément de fragments fétichisés, pieds, jambes, mains.

  • Le Lauréat (Mike Nichols, 1967)

    *

    Certes, cette très célèbre comédie de mœurs (que je n'avais jamais vue jusque là) se partage, avec une poignée d'autres films, le mérite d'avoir enclenché le renouvellement du cinéma américain à l'approche des années 70. De même, on peut relier plusieurs de ses composants à une multitude d'œuvres postérieures, jusqu'à aujourd'hui celles d'un Paul Thomas Anderson. En revanche, il me semble évident que tout ce qui est semé ici a donné ailleurs de bien plus beaux fruits. Nichols a tenté d'importer des procédés de mise en scène alors très rattachés à la modernité européenne. Cela peut s'avérer délicat, surtout dans le cadre d'une comédie, et il en résulte malheureusement une série d'effets visuels qui nous détachent encore plus d'une histoire reposant déjà très peu sur une quelconque vérité. Mrs Robinson et Benjamin ne sont que des personnages de papier, aux réactions souvent incompréhensibles sinon par le besoin de faire avancer le scénario, et munis d'un capital sympathie à peu près nul. Il n'y a ici que de la technique et de la mécanique. Quant à la satire de la bourgeoisie, elle ne porte pas bien loin : comme la réalisation de Nichols et le comportement initial du personnage masculin, on oscille constamment entre audace et précaution. Ainsi, la dernière partie du film est un peu plus intéressante car plus enlevée mais, finalement, c'est aussi la plus conventionnelle sur le plan moral (sans parler du fait que le personnage d'Elaine continue à être caractérisé exclusivement à travers les désirs de Ben).

  • Jetons les livres et sortons dans la rue (Shuji Terayama, 1971)

    *

    J'ai eu beaucoup de mal à en terminer avec ce long (2h17) brûlot du jeune cinéma japonais, signé par le très révolté Terayama. Tout en provocation (essentiellement sexuelle), cette chronique d'une famille dysfonctionnelle aligne apostrophes au spectateur, scènes de rue en mode cinéma direct, plans claustrophobiques en intérieurs réduits, inserts oniriques, expérimentations chromatiques, etc. Refusant tout découpage traditionnel, la mise en scène impose de longues courses en caméra portée ou encore de brusques va-et-vient entre deux personnages qui dialoguent à distance. Visuellement, c'est assez épuisant. Et la bande son n'est pas plus confortable : plusieurs séquences semblent étirées à l'excès uniquement pour illustrer jusqu'au bout les nombreux morceaux de rock psychédélique japonais qui se succèdent (parfois, le film ressemble à un proto-vidéo clip). Hormis le monologue final et deux ou trois détails, rien ne m'a vraiment accroché dans ce happening cinématographique.

  • La Vallée fantôme (Alain Tanner, 1987)

    ***

    Un cinéaste en mal d'inspiration se lie avec un jeune homme et en fait son assistant. Il l'envoie en Italie à la recherche d'une actrice s'étant retirée du métier. L'assistant la trouve, en tombe amoureux et, devant son refus de jouer à nouveau la comédie, lui propose un marché : organiser des retrouvailles avec son père parti à New-York en échange de sa participation au projet du réalisateur. En cette fin des années 80, ceux qui ont fait les nouvelles vagues des deux décennies précédentes s'interrogent sur la mort du cinéma (ou au moins son devenir incertain), sur la prolifération des images (essor de la vidéo, domination de la télévision), sur la facilité à voyager et sur l'éternelle fascination pour l'Amérique. Le film de Tanner a donc une parenté évidente avec d'autres, signés Wenders ou Godard. L'une de ses grandes qualités est de contrebalancer sa potentielle gravité par une élégante légèreté et de ne jamais discourir sur le cinéma sans auto-ironie ou sans contradiction. Le pacte entre le réalisateur et l'assistant justifie totalement que certains dialogues soient assez soutenus, qualité littéraire qui d'ailleurs s'oublie au fur et à mesure, notamment par la façon qu'a Tanner de les ancrer dans la réalité d'un bar ou d'un coin de rue. Démarrant sur la question de la création en panne, le film parvient à surprendre en progressant par déplacements narratifs, une histoire ouvrant sur une autre au fil des rencontres. Jean-Louis Trintignant est admirable en cinéaste désabusé mais continuant à avancer, Laura Morante assume avec grâce le mystère de son personnage et Jacob Berger fait d'abord craindre le cliché du minet eighties avant de nous convaincre de la nécessité d'une autre énergie et d'un autre regard sur le monde. Sorti il y a presque quarante ans sans honneurs excessifs me semble-t-il, La Vallée fantôme rend, par comparaison, le surestimé Valeur sentimentale académique et étriqué.

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    (ajout 02/10)

    Dans La Vallée fantôme, il y a cette séquence géniale.
    Convoqué par sa production dans un studio parisien, le réalisateur incarné par Jean-Louis Trintignant apprend qu’il est là pour mener un casting de comédiennes enregistré en vidéo. Il dit tout d’abord préférer ne pas le faire sous forme d’entretiens : "faut pas leur poser des questions parce que la vidéo, ça ressemble déjà tellement à la police". N’ayant pas son scénario avec lui (ou feignant de ne pas l’avoir), il propose plutôt que l’on fasse lire aux candidates des extraits de livres. "Mais vous ne voulez pas les voir ?" demande la directrice du casting. "Si. Je vais leur dire bonjour et je les regarderai de la régie".
    Le casting démarre. On voit Trintignant assis à côté du technicien à la table de commandes. Au bout de quelques secondes il lâche : "Je suis trop près là, je vais m’asseoir derrière". Une fois sur le canapé : "- Dans le fond pourquoi il y a tous ces écrans ? Vous ne voulez pas me laisser une seule image monsieur ? - Ok, si vous voulez . - Qu’est-ce que c’est le petit écran là sur la gauche ? - C’est la surveillance".
    Deux plans plus loin, il est déjà dans la rue, avant la fin du casting.
    A partir d’une situation concrète, Tanner nous fait ressentir un nouveau rapport aux images, de façon simple, au fil d’une séquence calme et fluide alors même qu’elle déploie une série d’oppositions (cinéma/vidéo, mouvement/statisme, parole/musique, regardeur/regardée). Superbe.