Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Nightswimming

  • La Lanterne du Seigneur à Budapest (Miklos Jancso, 1998)

    °
     
    Jancso a enchaîné avec "Dieu marche à reculons" en 1990 et "La Valse du Danube bleu" en 1991. Impossible de les juger en l’absence de sous-titres. Faisant défiler le premier, on y observe le même dispositif que dans les précédents, celui augmenté par le pullulement d’écrans vidéo. Il contient la nudité la plus gênante du corpus, celle, constante, d’une jeune femme attirante, souriante, accommodante, ne cessant d’être regardée, caressée, embrassée par des hommes tournant autour d’elle, tous habillés, dans un palais. Le film se termine en mode méta, avec Jancso et son scénariste Hernadi, fêtés puis abattus dans la rue.
    Après ces deux opus et une série de documentaires, arrive en 1998 "La Lanterne du Seigneur à Budapest". Jancso et Hernadi sont à nouveau réunis à l’écran, observateurs, dans un cimetière lumineux, de leur propre fiction. Celle-ci est confiée à un duo de théâtre comique, Zoltan Mucsi et Peter Scherer, et se présente sous la forme de cinq longs sketches censés faire rire de la nouvelle société hongroise. Les interprètes habituels sont absents et le génial Janos Kende ne tient plus la caméra. Le résultat est une catastrophe. L’humour absurde des situations ne fonctionne pas, les dialogues accumulent les vulgarités, au sein du duo, l’un gueule, l’autre encaisse, les plans séquences millimétrés ont laissé place à des prises hasardeuses, les cadrages des visages sont effectués au plus près dans une laideur absolue, les femmes, bien que vêtues, sont traitées en sal...es nymphomanes, les dernières séquences bouclent la chose en clip vidéo avec des plans des deux auteurs plus narcissiques que ludiques. Cet essai cinématographique de rupture est une redoutable purge. La collaboration avec Mucsi et Scherer va durer douze ans, pour chacun des sept derniers longs métrages de Jancso. Je ne suis pas sûr d’avoir la force d’en regarder d’autres.

  • Le Répondeur (Fabienne Godet, 2025)

    **
     
    Bien aimé cette comédie sans prétention qui, à partir d'une situation invraisemblable, se développe assez finement, en évitant pas mal de pièges (évidemment quelques quiproquos mais sans avalanche). Le rythme peut paraître inégal mais c'est aussi parce que le temps est laissé à chaque scène (on aime ou pas les moments d'imitations en stand-up mais, au moins, la durée leur confère une certaine vérité). J'aime bien aussi l'approche des personnages : la satire du milieu parisien de la culture ne frappe pas aveuglément car chacun a sa chance, ne serait-ce qu'un court instant, et les seuls personnages entièrement désagréables sont laissés hors-champ, au bout du téléphone, ce qui m'a paru être un principe intéressant.

  • Ce nouvel an qui n'est jamais arrivé (Bogdan Muresanu, 2024) & Libertate (Tudor Giurgiu, 2023)

    * / ***
    Deux films roumains qui traitent de la révolution de 1989 et de la date pivot du 21 décembre, l'un racontant les prémices, l'autre les conséquences. Pas de révélation du niveau Porumboiu-Mungiu-Puiu de la grande époque mais ma préférence va nettement au second, qui pourtant, je crois, a été moins mis en avant.
    "Ce nouvel an..." est un film choral qui, au-delà de ce principe de départ, ne m'a guère semblé aventureux, ni dans sa forme, ni dans son contenu. Le placement de tous ses personnages dans un état de fébrilité permanent est assez artificiel et chaque trajectoire plutôt convenue, avec beaucoup de choses prévisibles, à l'image de la demande de la vieille dame, rechignant à abandonner son appartement, qu'on l'aide à colmater ses fenêtres de chambre. Le choix du "Boléro" de Ravel pour mener le dernier mouvement me semble symptomatique : créer de l'émotion et de l'unanimisme à peu de frais.
    L'agitation et la tension sont bien plus justifiées par la situation dans "Libertate" qui, d'ailleurs, choisit avec beaucoup moins de facilités et plus d'audace le decrescendo pour aller à son terme. Son côté thriller, ou film de guerre, ne l'empêche pas de prendre des petits détours, de s'octroyer des pauses, au fil d'une mise en scène habile et prenant consciemment le risque de laisser pendant longtemps très peu de repères au spectateur. La choralité du récit prend cette fois l'allure du hasard et ne dégage que tardivement une hiérarchie parmi les personnages, sans que l'on puisse la prévoir au début. En recréant dans une piscine vide un microcosme où se retrouvent, sous la menace de l'armée, policiers, membres de la Securitate, révolutionnaires de la première heure et simples passants, sa principale qualité est de toujours laisser la place au doute sur chacun et de démontrer courageusement combien il est difficile, impossible même, de juger les gens à chaud, sur l'instant.

  • La Voie lactée (Luis Buñuel, 1969)

    **

    La petite insatisfaction que génère "La Voie lactée" (aiguisée par sa position même, entre "Belle de jour" et "Tristana") ne vient pas du découpage du récit qui tendrait à la suite de sketches, comme je croyais me souvenir. Cette avancée, qui vient du roman picaresque, est au contraire l'un des plaisirs du film car l'extraordinaire variété des enchaînements le rend imprévisible. Cela peut-être, toujours différent, une rencontre, un rêve, un souvenir, un glissement historique, un fantasme, une apparition ou encore un simple récit oral (on pense forcément que l'histoire entamée par Julien Guiomar au coin du feu va être représentée mais pas du tout, d'où la force de la séquence). Non, la limite du film est son contenu exclusif, une succession de conversations, débats ou dilemmes théologiques fidèlement repris de textes anciens mais dont le déplacement à l'époque contemporaine (même parasitée par d'innombrables irruptions des temps passés) frappe d'ironie ou d'absurdité. Si le décalage induit fonctionne à plein dans le quotidien moderne (la discussion sur la nature du Christ entre le maître d'hôtel et ses employés), d'autres séquences, plus "historiques", s'étirent inutilement (les Noces de Cana ou le duel entre le janséniste et le jésuite). Par ailleurs, comme le pointait aussi Louis Seguin, déconcerté dans un Positif d'époque, les deux vagabonds (Frankeur et Terzieff) en fil conducteur se révèlent trop passifs pour que le spectateur s'accroche réellement à leurs basques.

  • Gran Casino (Luis Buñuel, 1947)

    *

    Buñuel arrive au Mexique et débute par cette commande avec deux vedettes du music-hall, une histoire de vengeance et d'amour dénonçant au final l'avidité d'un trust pétrolier (géré par un Allemand dont il n'est question que dans les dix dernières minutes). Le film est clairement commercial, mélangeant les genres populaires au fil d'un scénario pas toujours très solide et oubliant vite sa base sociale. Son rythme est considérablement ralenti par des chansons déroulées en intégralité. Reine du tango argentin, Libertad Lamarque s'investit franchement tandis que Jorge Negrete semble au contraire faire peu d'efforts pour chanter ses airs mexicains. Deux d'entre eux, cependant, sont bien amenés : le premier recouvre le bruit de la lime nécessaire à une évasion de prison et, plus tard, un autre est consécutif à un encerclement du héros qui, ainsi menacé, se réfugie sur scène. Coincée en studio même pour représenter un chantier, la mise en scène est tout à fait correcte mais ne s'autorise aucun écart hormis deux brefs plans sur une flaque de goudron en pleine discussion amoureuse. C'est le seul instant que l'on puisse qualifier d'insolite. Il y a bien un plan de jambe dénudée mais, placé en ouverture d'un numéro, il relève clairement de la convention du spectacle musical, comme l'échange d'identité entre l'héroïne et son amie n'est qu'une astuce scénaristique. Ailleurs repoussée (deux meurtres importants se succèdent sans être représentés), la violence ne surgit elle aussi qu'un instant lorsque Negrete se saisit d'une lourde statuette et assomme avec une grande brutalité l'un des sbires cachés derrière un rideau. Ici, le fait de ne pas voir la victime décuple la force des coups. Le film n'est absolument pas indigne mais la moisson reste très modeste.

  • Noblesse oblige (Robert Hamer, 1949)

    ****
     
    Bien aimé il y a longtemps, c'est en fait, sans doute, le chef d'œuvre du genre. Le coup de génie de Hamer a été d'utiliser la même tactique que son héros : n'être en surface que tact et délicatesse pour mieux faire exploser par en-dessous une incroyable charge. L'ironie du film est constante et dévastatrice. Tous les us et coutumes de la noblesse y passent (cérémonies, loisirs, repas, affaires), tous les lieux où son pouvoir est assuré sont comme profanés mais presque sans y toucher. Jusqu'au procès final à la Chambre des Lords. Cette séquence ne ralentit pas le film, comme on pourrait le craindre, pour cette raison (l'ajout d'un territoire signifiant) et parce qu'elle enrichit encore le récit, sous-tendue qu'elle est par un nouveau stratagème insoupçonné. C'est d'ailleurs le rythme de la totalité qui est infaillible. Non pas qu'il soit invariable. La succession des meurtres n'a par exemple rien de mécanique, tous ne mobilisant pas les mêmes efforts, et les intrigues amoureuses leur étant remarquablement rattachés. Par ailleurs, si le film est resté célèbre pour la performance multiple d'Alec Guinness, celle-ci n'en est qu'une des richesses, jamais envahissante, extrêmement bien diluée dans la coulée. Joan Greenwood, Valerie Hobson et Dennis Price méritent autant d'éloges, le dernier participant à rendre le personnage principal fascinant. Sa confession en voix off recouvre l'ensemble du film. On la prend d'abord pour une facilité avant de comprendre qu'elle est indispensable à l'entière réussite. C'est elle qui rend particulièrement sensible l'ironie, en donnant à la fois le point de vue (donc l'adhésion) et la distance. Tous ces éléments sont merveilleusement imbriqués et puisque, dans les interstices, un souffle d'humanité persiste (le désir partagé - "immoral" lui aussi mais "vrai" - entre l'homme et chacune des deux femmes), le déploiement de tant de méchancetés est accepté avec grand plaisir.

  • L'Horoscope de Jésus Christ (Miklos Jancso, 1989)

    *

    Tourné juste avant la levée du rideau de fer hongrois, le film représente de façon expérimentale, sombre et onirique une société contemporaine hantée par les fantômes staliniens et se cherchant un avenir. Le récit est extrêmement difficile à suivre et il faut se raccrocher au personnage principal, à nouveau interprété par Gyorgy Cserhalmi, poète que l'on prend d'abord pour une figure christique avant qu'il soit nommé Joszef K ("pour Kaffka, avec deux f" est-il dit). Jancso filme cette fois dans des appartements, en cadre serré laissant peu d'espace aux acteurs mais toujours dans l'étirement du temps, ce qui a pour conséquence de rendre leurs allées et venues souvent arbitraires et leurs sautes d'humeur parfois pénibles. Les changements de lieux mettent à mal la continuité et l'avancée se fait plutôt par tableaux, pour autant de rencontres du personnage avec des femmes aimées qui se terminent dans la violence et toujours sous le regard d'individus mystérieux. Car dans la confusion des discours historiques, des inquiétudes du moment, des chants populaires, des effets de miroirs, des dédoublements et des escamotages, le message le plus évident porte sur l'oppression due à une surveillance constante qui rend les identités douteuses et qui entraîne vers la folie. Testée dans "La Saison des monstres", l'installation d'écrans dans le cadre, diffusant des images de la même scène ou de scènes passées, est ici systématisée. L'intérêt du balayage de ces multiples moniteurs par la caméra, qui allonge encore les plans, est très relatif et n'aide pas à éclaircir la chose.

  • Contagion (Steven Soderbergh, 2011)

    **
     
    C'est évidemment LE film prémonitoire de la pandémie de COVID-19, impossible à découvrir aujourd'hui de la même façon qu'en 2011. De manière étonnamment complète, Soderbergh et son co-scénariste Scott Burns, en repensant au SRAS de 2002, y décrivent des réactions en chaîne, abordent des thématiques et élisent des types de protagonistes que la réalité s'est chargée de valider dix ans plus tard (jusqu'au bilan humain, pas si éloigné). C'est ce qui rend le film assez passionnant à regarder. On voit également d'autant mieux comment il "fictionnalise". Le déclenchement est rapide et les premiers décès, brutaux, saisissent vraiment. L'immersion des stars dans le flux général, mondial, est très réussi dans la première partie qui laisse espérer une fiction égalitaire et sans crête dramatique trop évidente. Ce pari n'est malheureusement pas tenu sur la durée, les risques restant très mesurés : la vedette foudroyée en dix minutes (Gwyneth Paltrow) revient en vrais-faux flashbacks ; l'éparpillement initial subit un recentrage progressif ne donnant à voir que le traitement états-unien de la crise (entraînant vers des représentations plus familières, celles du film catastrophe, de fin du monde ou de zombies) ; enfin, les auteurs, pour dénouer tout ça, n'ont pas pu ou voulu ignorer totalement la notion d'héroïsme.

  • La Saison des monstres (Miklos Jancso, 1987)

    *
     
    D'abord le choc de voir Jancso filmer au présent et comme dans un polar, avec cadavre de professeur gisant dans une chambre d'hôtel à Budapest. Étonnante aussi l'utilisation des postes de télévision qui dédoublent la vision d'un même objet sous un autre angle. Malheureusement, le film noir deviendra vite complètement opaque. Car Jancso quitte aussitôt le centre-ville pour retourner dans son décor de prédilection, ce corps de ferme et cette retenue d'eau, déjà vus à maintes reprises. Dès lors, son film se limite à une transposition formelle contemporaine, sans le poids de l'Histoire. Les voitures ont remplacé les chevaux pour assurer les courses folles. Les bourrasques sont produites par les hélicoptères, omniprésents. Tous les acteurs fétiches sont là (pour la troisième fois, au moins, depuis "Agnus Dei", Jozsef Madaras et Gyorgy Cserhalmi s'offrent une baston dans la poussière) mais habillés en jeans et blousons. Seuls ou par grappes, ils se mettent encore à courir, à s'arrêter, à tomber, à se relever. On sait de moins en moins pourquoi. On nous parle de science et de religion, de la langue hongroise et des exilés, tandis que les explosions se multiplient, que le feu et l'eau fusionnent. Chacun tire les ficelles tour à tour, en duperies enchâssées. Ces professeurs réunis en célébration festive sont rejoints par quelques jeunes femmes, des comédiennes de cirque nous dit-on. Elles sont le plus souvent nues, embrassées par les uns et les autres, en rondes infinies, entraînées dans les bras mais dans une ivresse partagée, gardant leur liberté (s'il faut, elles giflent ou frappent entre les jambes). Si le déséquilibre induit par ces nudités quasi-systématiques est plus flagrant que jamais, ces filles sublimes sont moins femmes-objets (les hommes n'ont guère plus d'épaisseur au sens traditionnel du terme appliqué à des personnages classiques) que femmes-idées (certes pas faciles à cerner).

  • Los Olvidados (Luis Buñuel, 1950)

    ***
    Le plus dur et le plus direct des Buñuel. L'absence de concession dans la représentation réaliste d'un quotidien violent rend le film toujours aussi impressionnant, ne permettant pas d'attendrissement réconfortant. Sa seule "faiblesse" est la hauteur morale octroyée au directeur de la ferme-école, même si son stratagème bienveillant (laisser sortir Pedro avec de l'argent) a une conséquence fatale à la Oliver Twist. Dans la description de cet établissement de rééducation, la vision provisoirement plus optimiste des choses relaie sans doute l'appel lancé en ouverture du film aux forces progressistes. Quoi qu'il en soit, l'après est plus terrible encore que l'avant, avec le cercle de morts du dénouement (et par la suite l'histoire de l'humanité n'a pas vraiment pris la bonne voie). Les chances laissées à ces gamins par la société sont infimes, poussés au crime et mis en danger dès qu'ils tombent sur plus fort qu'eux : la petite Meche qui finit toujours par être agressée, Pedro accosté par un vieux saligaud de bourgeois dans la rue. Cette dernière scène est vue de l'intérieur d'une vitrine de magasin, le son des dialogues inaudible. Même en voulant établir un constat clair, Buñuel expérimente, ce qui décuple la puissance de son film. Dans ce contexte, la séquence du rêve, par exemple, pourrait paraître déplacée mais il n' en est rien. D'une part parce qu'elle enrichit la connaissance du personnage, d'autre part parce que son étrangeté est préparée par petites touches en amont (particulièrement à travers le bestiaire mobilisé : la poule qui apparaît brusquement face à l'aveugle mis à terre). Et même dans cet univers-là circule ce désir chauffé à blanc, lors de la plus que troublante ronde de séduction entre El Jaibo (Roberto Cobo qui sera, je l'avais oublié, dans "Ce lieu sans limite" de Ripstein) et la mère de Pedro (Estela Inda, encore un de ces éclats féminins chez Buñuel).