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Nightswimming - Page 2

  • Caligula (Tinto Brass, 1979)

    **

    Pour prolonger mes vacances à Rome... quoique, dans ce film, on n'apprend pas grand chose sur la vie quotidienne au premier siècle de notre ère. Pas vraiment le but non plus. Les connaissances restent de toute façon tellement lacunaires, au-delà des aspects matériels, que pour représenter l'époque à l'écran, l'une des meilleures voies reste celle de l'imaginaire et du fantasme, ce qu'avait déjà compris Fellini pour Satyricon. Caligula (version "intégrale", "pornographique", la première distribuée et reniée par presque tous les participants, si j'ai bien compris l'histoire compliquée d'après tournage) est moins poétique et mystérieux (une succession de tableaux grandioses, fermés sur eux-mêmes et montrés frontalement, là où la caméra de Fellini glissait vers des ouvertures insoupçonnées pour donner à voir l'univers entier) mais son étrangeté accroche suffisamment. Les inserts hard ont finalement leur logique puisque l'excès est ici la règle et qu'ils rajoutent encore de l'impureté. Par ailleurs, de manière assez "honnête", ils produisent un jeu de champ-contrechamp : soit les actes sont regardés par les personnages principaux, soit ils redoublent les leurs (le montage alterné entre les caresses soft de McDowell, Mirren et Savoy et, de l'autre côté du mur, les léchouilles non simulées de deux actrices Penthouse). La violence va, elle aussi, au plus loin, lors de séquences me semblant beaucoup plus apparentées aux "passions" contées par le Marquis de Sade qu'à des sources antiques (mais là aussi, je peux me tromper). L'une des limites du film (dans cette version ?), est de laisser le personnage de Caligula assez impénétrable, même si ses rapports esquissés avec son premier allié, Macron (mdr), puis la femme qu'il se choisit (Helen Mirren très bien), sont intéressants. Quant à l'aspect politique, le fait que le pouvoir absolu mène à la folie est une évidence. Forcément inégale, à jamais inaboutie, follement ambitieuse, tiraillée de toutes parts, originale mais renvoyant constamment à d'autres images (Fellini, Pasolini, Borowczyk, Oshima, Jancso, le gore et le X des années 70...) la chose est à voir (j'aurais mis le temps !) si l'on a l'estomac solide.

  • Tu ne tueras point (Claude Autant-Lara, 1961)

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    L'intérêt du film tient avant tout à son sujet, l'objection de conscience, qu'Autant-Lara portait depuis dix ans, et au fait qu'il ne parle que de ça, sans aucun écart. Pour ce qui est du style, tantôt on apprécie une certaine rigueur, une austérité qui pourrait paraître documentaire, tantôt on ressent tout le poids de la caméra. Les dialogues (Aurenche et Bost) sont loin de s'enchaîner parfaitement, notamment parce que les prestations secondaires sont parfois catastrophiques, au point de foutre en l'air certaines scènes potentiellement fortes. C'est qu'autour de Laurent Terzieff, Horst Frank et Suzanne Flon, tous les autres sont des acteurs yougoslaves qu'il a fallu ensuite doubler en français. Le film est en effet de cette nationalité-là, Autant-Lara n'ayant jamais trouvé le moyen de le tourner en France, où il finit par sortir brièvement plusieurs mois après sa présentation à Venise. Sujet intéressant donc, mais traité bizarrement, semblant recouvert de morale chrétienne avant un revirement tardif d'autant plus invraisemblable (à son procès, Terzieff déclare soudainement ne plus se sentir chrétien), peut-être une pirouette du cinéaste pour se garder alors des défenseurs à gauche. Difficile, finalement, de comprendre ce personnage d'objecteur, trop contradictoire ou naïf, et le film dans son ensemble. La mise en parallèle avec une histoire de prêtre-soldat allemand ayant abattu un résistant français sur ordre de son supérieur apporte plus de gêne qu'autre chose (la séquence en flashback, prière partagée entre victime et bourreau, puis crise violente de ce dernier au moment de l'exécution, est d'un ridicule achevé). Cette construction en miroir aboutit à un double procès militaire détaillé en une dernière demi-heure assommante. Ultime handicap : le placement pénible, à trois reprises, de "L'Amour et la Guerre" par Aznavour.

  • L'Accident de piano (Quentin Dupieux, 2025)

    **

    Pas très fan du segment central avec la longue interview : même si on sent Dupieux projeté dans le personnage de "l'artiste" sommée de s'expliquer, ce n'est pas plus intéressant que ça, et par ailleurs, les flashbacks insérés répètent cette comédie de l'insensibilité déjà vue chez lui. Mais j'ai apprécié la mise en place et surtout la noirceur désespérée de la dernière partie, jusque dans ses contradictions (le rapport à l'argent, qui revient dans l'ultime réplique).

  • Quatre Garçons dans le vent (Richard Lester, 1964)

    ***

    Si l'argument (une journée dans la vie des Beatles) et certains effets de style (caméra portée, scènes de rue, cadrages à la volée) appartiennent au documentaire, on en est loin. Mélangeant musique, comédie et mouvement perpétuel, cette fiction débridée capte cependant, comme rarement, un moment culturel, donne par sa spontanéité l'impression d'être en prise directe avec une réalité, celle de la beatlemania de 64. Elle vaut presque comme une définition de toute nouvelle vague artistique par ce qu'elle montre d'impertinence, de liberté, de conquête de terrain, d'affrontement générationnel. Dans ce domaine musical, le prétexte est classique, celui de la bonne tenue d'un show. Sauf que les auteurs (Lester, le scénariste Alun Owen, et les 4B) ont fait de l'avant-spectacle une suite de digressions, de fuites libératrices, de détours absurdes. Les quatre garçons souriants sont présentés en gamins qui introduisent du désordre, de l'ironie, du nonsense, des blagues parfois assez rudes, y compris à partir de leur propre image (le manager régulièrement agressif envers Lennon, le côté souffre-douleur de Ringo au sein du groupe). A merveille, Richard Lester suit, ou entraîne, on ne sait plus trop, dans ce rafraîchissant tourbillon, en utilisant de manière toujours différente les impeccables chansons.

  • 8 1/2 (Federico Fellini, 1963)

    ****

    Faire de la crise d'inspiration d'un cinéaste une œuvre foisonnante, décrire une stagnation le long d'un récit mouvant, concentrer dans un cerveau une foule de personnages (c'est étrange la caméra subjective : cela nous place "dans" un personnage et en même temps, cela nous mène de la façon la plus directe à la rencontre des autres), transformer l'arrêt dépressif en acte de création, faire naître l'imaginaire du blanc éclatant plutôt que de la pénombre, rendre attachant un homme passif (Guido, vu ainsi de l'intérieur, est bien plus émouvant que le Marcello de La Dolce Vita)... Si ces paris sont "fous", le film ne l'est pas (comme peuvent l'être plusieurs autres Fellini). Laissant régner le désordre en apparence seulement, il est tout à fait cohérent (ne serait-ce que par ses échos, ses renvois et sa boucle finale), lucide (il s'auto-analyse sans cesse, jusqu'à fournir lui-même les armes à ses détracteurs, souvent à travers les discours du scénariste), fluide (les rêves et la réalité sont identifiés mais ils ont la même épaisseur).
    Fellini brille dans l'instant comme dans le temps long, dans le détail comme dans le grand ensemble :
    - Au milieu du grand escalier canalisant la foule des curistes vers les bains, un vieil homme remonte à contre-courant et lance un "Bonjour Commandeur !". La caméra panote vers le haut et cadre quelqu'un à l'arrêt au premier plan. A peine le temps de se demander qui est ce type que le Commandeur apparaît derrière lui, descendant les marches et disant à Guido, à côté de lui : "J'ai compris ce que tu veux raconter : la confusion qui règne dans la tête d'un homme. Mais sois plus clair, plus explicite. Sinon, à quoi ça sert ?" Guido ne l'écoute pas, ne répond rien, ralentit et regarde à sa gauche une mystérieuse femme avançant en parallèle. Tout est condensé en 3 plans et moins de 20 secondes.
    - La meilleure séquence de harem de l'histoire du cinéma est peut-être bien celle de 8 1/2. Le fait qu'elle relève du fantasme lui apporte à la fois sa logique imparable, sa justification narrative et sa résistance à toute condamnation morale. Elle reprend un lieu et des sensations d'enfance que la mémoire de Guido a déjà fait remonter à l'écran précédemment, entremêlement propre à nos rêves. Là, toutes les femmes que Guido a connues et/ou désirées se retrouvent, mais venant donc de temps différents (dans sa belle critique pour les Cahiers, Pierre Kast rappelait fort justement que peu de gens, homme ou femme, étaient réellement, le long de leur vie, monogames). Le regard ô combien masculin est à son comble mais l'ironie aussi, via la complaisance appuyée de ces femmes, avant même leur révolte. L'approche protège les personnages féminins tout comme elle rend parfaitement la nature instable du rêve, que l'on subit ou que l'on oriente.

  • Monsieur Verdoux (Charles Chaplin, 1947)

    ****

    Parmi les choses que l'on redécouvre, il y a le génie rythmique, corps et voix, rendu plus évident encore par la frontalité théâtrale de la mise en scène. Et puis il y a tous les regards, dont le nombre très élevé étonne, lancés par Chaplin à la caméra et donc au spectateur. Convention comique, qui met dans la poche, sauf qu'elle entraîne ici à se délecter de mensonges, et souvent dans le dos des autres personnages. Ce lien exclusif et constant, c'est aussi l'affirmation qu'il s'agit du film de Verdoux-Chaplin et de personne d'autre. Enfin, ce sont peut-être des regards qui réclament un soutien, qui demandent au spectateur de suivre aussi loin que possible, dans cette œuvre de rupture totale où nous éliminons des dames "avec" Verdoux (malgré les hors-champs), où même les scènes sentimentales sont détournées (la jeune femme "cobaye") ou non prolongées (l'épouse et l'enfant que l'on ne reverra jamais), et où se trouve acté l'échec du film précédent à avoir sauvé le monde de la catastrophe.

  • Life of Chuck (Mike Flanagan, 2024)

    **
     
    Plutôt que ce Part 3-Part 2-Part 1, j'aurais préféré que le film avance chronologiquement mais on me dit que le livre de Stephen King est déjà construit comme ça, à rebours. N'empêche que mon intérêt a baissé d'un segment à l'autre, après le premier (c'est à dire le 3), assez épatant. L'audace narrative tend ensuite à s'aplanir, le mystère se rapetisser, l'émotion se banaliser, ce qui laisse trop de place au prêchi-prêcha.

  • La Dolce Vita (Federico Fellini, 1960)

    Si l'on a, comme moi, laissé recouvrir pendant très longtemps le film par sa légende cinématographique (le scandale de la décadence bourgeoise d'une part, le glamour de la baignade, des lunettes noires et du titre lui-même d'autre part), on a oublié à quel point il est, au contraire, insaisissable. Pour la première fois à ce point chez Fellini, la narration ne tient qu'à la succession de blocs quasiment jamais fondus l'un dans l'autre, presque interchangeables, et dont le dernier pourrait très bien intervenir au bout d'une ou deux heures de plus. Certes, Mastroianni est déjà l'alter ego, en tout cas le témoin et le guide (il est même, souvent, celui qui aide les autres à entrer dans ces cercles fermés) et, la re-création à Cinecitta aidant, le film peut passer pour film-mental. Mais il y a une dimension supplémentaire, qui tient légèrement à distance : chaque séquence finit par dévoiler un dispositif de mise en scène, mise en abîme ou mise en spectacle, avec les paparazzi, les caméras de TV, les déclarations à Anita Ekberg qu'elle ne semble pas entendre, la bande enregistrée chez Steiner, le dialogue avec Anouk Aimée à travers le conduit, la scène de ménage sur la route déserte mais sous un immense projecteur, etc. Plutôt que le sommet fellinien, je le vois maintenant comme le premier essai, bien sûr impressionnant/monstrueux, de creusement d'un espace entre rêve et réalité qui mènera à des œuvres plus abouties encore.

  • Wild Boys of the Road (William Wellman, 1933)

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    Une odyssée de la Grande Dépression bouclée en 68 minutes (présentation du milieu d'origine des deux héros comprise), une peinture sans omission (les Noirs, les femmes, chaque niveau social touché), sans concession mais bienveillante, des séquences marquantes attachées tantôt au général (les trains, les révoltes), tantôt au particulier (les preuves d'amitié), et au final une pointe très avancée du cinéma social états-unien.
    (Si le film est "pré-code", il l'est surtout politiquement, voir la séquence avec la jeune fille esseulée dans le wagon : si elle apparaît en soutien-gorge, c'est pour faire sécher et chauffer son pull, puis la touche réaliste devient scène dramatique lorsque le conducteur du train se jette sur elle pour - dans une ellipse - la violer)

  • La Chronique des pauvres amants (Carlo Lizzani, 1954)

    **
     
    Film ambitieux qui, situé en 1925, est autant le portrait des habitants d'une ruelle populaire de Florence que la description de la mise au pas fasciste initiée à ce moment-là. C'est une œuvre chorale qui brasse un nombre très élevé de personnages, réalisée dans une recherche d'expressivité qui perturbe parfois (dans les éclairages des visages surtout) le pur réalisme. Les notations sont multiples et la continuité de certaines au fil des événements, d'une vie relativement paisible à la peur de la violence politique, comme le fait de se parler de fenêtre à fenêtre, assurent une belle cohérence. Le parti-pris est de caractériser chaque personnage à la fois par son engagement (ou son accommodement) et par ses relations amoureuses. Il y a donc énormément de révélations sentimentales et autres scènes de couples. Si elles sont généralement traitées avec délicatesse, elles ont tendance à diluer la force politique du film.