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Nightswimming - Page 2

  • Le Charme discret de la bourgeoisie (Luis Buñuel, 1972)

    ****

    Je n'avais pas revu "Le Charme discret de la bourgeoisie" depuis longtemps. Le début, avec les toiles peintes derrière les fenêtres du salon raccordant mal avec les plans du jardin, l'exposition du trafic chez l'ambassadeur et le manège érotique un peu faux d'Audran et Cassel m'ont laissé penser que le film n'était peut-être pas si grand que ça. Mais bien sûr que si, il l'est. J'avais seulement oublié que son principe était la répétition de tous ses éléments (pas uniquement celle du repas impossible à prendre normalement). Répétition et variations, complètement inattendues. D'une part, donc, le début n'est qu'une préparation : le "faux" du décor prépare la séquence sur la scène de théâtre, les rêves d'abord classiquement racontés préparent leur assimilation totale au récit dans la deuxième moitié... D'autre part, la suite est de plus en plus vertigineuse : les points de départ des rêves des principaux protagonistes sont encore moins signalés que dans "Belle de jour" (ne m'en rappelant plus, je me suis "fait avoir" à chaque coup) et cela donne notamment naissance au plus génial des rêves enchâssés. De plus, on peut dire que la répétition joue encore au niveau supérieur : vers l'arrière, le film répète les films précédents de Buñuel (que de réminiscences !) et vers l'avant, il sera répété par Blier, Dupieux et d'autres.

  • Réjeanne Padovani (Denys Arcand, 1973)

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    Singulier film politique où le pouvoir s'exerce en vase clos, entre initiés politiques et industriels, où les actions s'enclenchent par téléphone ou intermédiaire sans trop perturber le manège (élégant au salon, lubrique à l'écart) de la bonne société. Incluant un petit jeu autour du film noir classique, le maintien à distance de la caméra, quelques étirements du temps, un soupçon d'absurdité et une certaine frontalité rendent la chose originale mais il manque un peu de nerf en son centre.

  • Le Garçon et le Héron (Hayao Miyazaki, 2023)

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    Dès les premières minutes, la beauté d'une animation sans égale par son inventivité et sa vibration interne, nous saisit à nouveau sur grand écran. 
    Miyazaki nous éblouit encore avec ce film-somme à la fois universel, intemporel et aux couches de plus en plus complexes et libres.
    L’œuvre, réflexion sur le deuil, est hantée par la guerre, la guerre des hommes qui semble se reporter à l'intérieur de la nature elle-même et entre les créatures visibles ou invisibles qui la peuplent.
    Avec son jeune héros au regard si sérieux et si intense, on traverse les espaces, on s'enfonce dans le temps, on va au plus profond... dans l'esprit lumineux du grand créateur Hayao.

  • Les Duellistes (Ridley Scott, 1977)

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    L'une des choses dont je me rappelais le plus précisément et que je préfère encore aujourd'hui dans les "Duellistes" de Ridley Scott, ce sont les inventions gestuelles de Harvey Keitel, qui impose, comme souvent, une présence stupéfiante. En face de lui, Keith Carradine est très bien, très raide, bien qu'il soit le héros-victime de l'histoire, raideur d'ailleurs accentuée dans le dernier tiers par une jambe bloquée. Le film souffre d'une utilisation agaçante de la musique, qui vient tout appuyer (tambour militaire dès que l'on voit des soldats, notes stressantes dès que Keitel se révèle dans les parages, partition légère dès que Carradine peut se poser), et n'échappe pas toujours à la trop belle image, mais souvent, l'inspiration visuelle est là, dans les détails (les gestes, donc, ou cet oiseau dans la pièce où patiente Carradine) et dans l'ampleur, malgré les moyens limités pour représenter cette épopée napoléonienne, qui emprunte à Kubrick, Tarkovski, peut-être même Jancso (le long plan de la course à cheval dans le bois). "Duellistes", "Alien" et "Blade Runner", sacrés débuts tout de même, à un niveau jamais égalé par Scott par la suite.

  • Le Masque du démon (Mario Bava, 1960)

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    Sans doute est-elle présente dans de nombreux films du genre tournés en noir et blanc mais la lutte entre les ténèbres et la lumière est vraiment rendue dans "Le Masque du démon" avec une rare intensité. A l'exception d'une petite poignée de plans de jour extérieurs, tout semble mangé ici par l'obscurité, le noir encerclant le blanc (voutes, fenêtres, cheminées, feuillages) ou créant des trous pour aspirer (tombes, passages secrets, couloirs, trappes). Même le corps-à-corps déterminant entre Gorobec et Iavoutitch est filmé à distance dans la pénombre. Dans tous les cas, noir ou blanc au centre, l’œil est attiré, comme la caméra gracieusement mobile de Bava. Et la recherche plastique culmine avec les plans consacrés à Barbara Steele, chemise blanche sous robe noire, peau blanche peinte entourée de noir, visage blanc troué par le masque, rehaussé par les cils et sourcils, délimité par la chevelure, tout noir.

  • On achève bien les chevaux (Sydney Pollack, 1969)

    *

    Je crois que jusqu'au bout je resterai peu touché par le cinéma de Sydney Pollack. Nouvelle tentative (la septième pour tout vous dire) avec "On achève bien les chevaux" que je n'aurais peut-être pas dû enchaîner aussitôt avec la découverte du livre de McCoy tant la noirceur et la sècheresse de ce dernier m'y semble beaucoup trop atténuées et les modifications apportées par les adaptateurs discutables (par exemple, à l'absolu dégoût de la vie proféré par Gloria est substitué une sorte de dépit amoureux : c'est l'un des éléments rendant le dénouement tragique beaucoup moins "compréhensible" par rapport au roman, implacable et dans lequel, il est vrai, cette fin est annoncée d'entrée - Pollack ne le fait pas et se trouve obligé de filmer des flash-forwards parcellaires et peu convaincants sur son héros en train d'être jugé). Il y a toujours un moment chez Pollack où mon intérêt faiblit, où il me semble que ça patine. Trop sentimental peut-être, et trop d'effets de mise en scène pour souligner les moments forts, comme ici les gros plans grimaçants, le montage excité et le ralenti lors de la scène de la course. Le film manque à mon sens de tension interne et de naturel, et les rapports entre le fond (la foule) et le premier-plan (les personnages principaux) restent conventionnels. On pense beaucoup à Altman, qui aurait fait éclater tout ça, sans doute inspiré par la terrible ironie et la notion de fabrique du spectacle. Il était d'ailleurs, cette année-là, en train de trouver son style sur le plateau de "M*A*S*H". Et il avait tourné en 1961 un épisode du show TV "Roaring 20's" titré "Dance Marathon" où une intrigue policière se déroule dans ce même contexte et où l'on retrouve quantité de notations communes au livre et au film de Pollack (le décor, les règles, les pauses, les sous-intrigues, la dégradation physique...). Ce dernier, malgré des moyens incomparables, une plus grande liberté et huit ans de recul, n'apporte finalement par grand chose de plus.

  • Divers

    Films vus ces jours-ci, du décevant à l'inattendu :
    - "Le Règne animal" (*) m'a semblé bien en-dessous des "Combattants", qui se développait de manière beaucoup plus harmonieuse. Le nouveau Cailley est plus un film de "visions", parfois convaincantes, d'idées de plans, parfois réussis, mais son déroulement est trop heurté et trop troué pour pouvoir emporter.
    - "Les Feuilles mortes" et "L'Eté dernier" (***) sont tels que la plupart les décrivent et les analysent, deux beaux films.
    Kaurismäki parvient à nouveau à faire passer l'étincelle dans les regards malgré l'immobilisme, et à réactiver des figures de style cinématographiques oubliées. Dans cet univers décalé, on en vient à sursauter quand déboulent deux jeunes filles dans un supermarché ou des plans de "The Dead Don't Die" là où l'on attendait Bresson ou Chaplin. Et c'est toujours assez passionnant de voir comment le contemporain s'infiltre dans ce monde a priori si hermétique.
    Breillat ne déroule pas le tapis rouge à l'entrée de son film, qui demande du temps pour l'appréhender et l'apprécier. La bascule se fait peut-être au moment, magnifique, où "Dirty Boots" de Sonic Youth se fait entendre (mais c'est dommage qu'elle le reprenne en sourdine dans le bar quelques minutes plus tard). A partir de là, le film devient plus souple, jusque, bien sûr, aux tensions du dernier tiers. C'est très fort sur les cadrages (le premier baiser !), les positions des corps, les regards (l'insistance sur le regard par en-dessous du garçon, qui n'a plus la même signification dans la dernière partie).
    - Du "Consentement" (***), de Vanessa Filho, j'avais un peu peur et mes craintes se sont aussitôt envolées (pas lu le livre). JP Rouve m'a tout à fait étonné en Matzneff-Nosferatu. En partie grâce à lui, la réalisatrice a pu trouver la bonne distance pour filmer cette histoire d'emprise, pour styliser juste ce qu'il faut et empêcher que la contrainte soit aussi celle sordidement imposée au spectateur. La mise sous pression par la réputation, les mots, la voix, puis par le corps, la manipulation et le terrible renversement (l'abuseur se disant abusé), tout est très bien montré. Il y a même le recours très risqué à deux éléments (le fameux extrait d'"Apostrophes" et une chanson de Barbara) qui donne en fait deux scènes très réussies (avec Laetitia Casta, très bien dans le rôle de la mère).

  • India Song (Marguerite Duras, 1975)

    ***

    Arrivés au terme de "India Song", on tombe sur une carte des Indes, balayée par la caméra pour dessiner un parcours. Ce tout dernier plan ne donne pas, en lui-même, beaucoup plus d'informations que le reste mais nous fait dire plutôt : voilà, nous y sommes parvenus, tout a fini par converger, par faire film, malgré l'immobilité, malgré les brouillages des repères (géographiques, temporels), malgré la disjonction (anti-)spectaculaire de tous les éléments habituellement entremêlés, voix, corps, image, son, bruit, musique, malgré la difficulté longtemps persistante à s'y retrouver dans cette histoire et parmi ces personnages. La carte n'est pas une récompense, puisque la fascination a commencé à s'exercer bien avant la fin, mais elle matérialise plutôt le rassemblement de toutes les forces cinématographiques (ou picturales ou littéraires ou musicales) qui étaient au départ dispersées.

  • Shut Up and Play the Hits (Dylan Southern et Will Lovelace, 2012)

    *

    Documentant le concert d'adieu de LCD Soundsystem au Madison Square Garden en avril 2011, "Shut Up and Play the Hits" n'a été montré en 2012 qu'aux Etats-Unis et en Angleterre, ce qui m'avait sur le moment énormément frustré. Puis je l'avais un peu oublié, comme beaucoup de monde apparemment. C'était un mauvais signe.
    A des années-lumière de la classe et du naturel caractérisant "The Last Waltz" de Scorsese, "Shut Up" réussit l'exploit de ne pas rendre service à son sujet et d'être contre-productif. Le film est déjà encombré d'échantillons d'un entretien dans lequel un journaliste pose des questions aussi longues que pompeuses auxquelles James Murphy paraît ne pas savoir quoi répondre. Sur son parcours, rien. Sur la singularité de sa musique, rien. Sur la notion de groupe, rien.
    LCD Soundsystem était, au départ, son projet à lui mais quiconque a assisté à l'un de leurs concerts sait à quel point il s'agit d'un vrai groupe (et quel groupe !). Ici, en dehors des séquences musicales, Nancy Whang, Pat Mahoney et Tyler Pope, bien que présents dès les prémices de l'aventure, sont invisibles. On n'entend et ne voit que Murphy. Pire, on le suit alors qu'il déambule seul dans son bel appartement, dans la rue ou au bureau de son label DFA, lors de séquences documentaires puant le fabriqué (le comble est atteint quand, après ce dernier show, l'équipe le filme dans la réserve devant tout le matos rangé, attendant que le sanglot monte).
    On en vient à se demander s'il s'est fait piégé par les auteurs ou s'il a lui-même mis en scène, par leur intermédiaire, cet ego-trip.
    Reste heureusement les longs extraits du concert, montés évidemment trop rapidement (caméras partout, durée du plan nulle part), inévitablement raccourcis ("Losing My Edge" est décrit par le journaliste comme le meilleur morceau écrit par Murphy, ce qu'il explique... sur la musique elle-même !), mais transmettant toujours cette énergie faisant de LCD le groupe le plus important des années 2000.
    Il se trouve de toute façon que "Shut Up" est rapidement devenu caduc. D'une part, LCD Soundsystem s'est reformé 5 ans après. D'autre part, le fameux concert a été édité, débarrassé de toutes ces tentatives documentaires inutiles et prétentieuses. Ces fabuleuses 3h30 de pur live sont disponibles notamment sur Youtube.
  • Stan the Flasher (Serge Gainsbourg, 1990)

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    De sale réputation (comme tous les films de Gainsbourg à part peut-être le premier), "Stan the Flasher" n'est pas si mauvais que ça. Les dialogues alternent de façon un peu lassante entre jeux de mots, éclats vulgaires et emprunts littéraires (parfois en auto-citations : Michel Robin déclamant les paroles de "Cargo culte" en prison, c'est pour le moins bizarre). La représentation redoutée de l'attirance pédophile (Gainsbourg disait "lolycéenne", ça passait mieux) restant soft, c'est plutôt le nombre de mots insultants à l'attention des femmes en général qui finit par faire mal aux oreilles. On peut toujours dire, cependant, que l'on reste dans la tête du personnage, avec le choix plutôt pertinent de Claude Berri, qui arrive notamment à tracer une ligne intéressante par sa voix. Même si l'on s'agace parfois de certains effets, on tient jusqu'au bout grâce à la distanciation théâtrale, le travail (en studio) sur les décors, les lumières (très bleues), les cadres, un certain irréalisme et surtout la brièveté du film (1h08 !).