Nightswimming - Page 2
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Black Dog (Guan Hu, 2024)
***Belle fable canine, ce "Chien noir" chinois où l'idée d'une ville perdue et promise au nettoyage est remarquablement prolongée par la mise en scène horizontale, où, malgré la date précise (2008, les JO de Pékin), on pourrait être dans une ère post-apocalyptique, où le temps s'étire plus pour surprendre que pour engourdir, où la question de la violence est surtout abordée à travers les possibilités de désamorçage. -
Les Dégénérés (Gian Luigi Polidoro, 1969)
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Pour la sortie de son film, Fellini a décidé d'utiliser son propre nom pour compléter son titre après avoir été furieux d'apprendre qu'il ne pouvez pas utiliser le seul "Satyricon", en raison d'un projet d'adaptation lancé peu de temps avant le sien. Rebaptisé "Les Dégénérés" pour une très discrète sortie en France (en 72), cet autre "Satyricon", signé Gian Luigi Polidoro, n'a pas beaucoup d'intérêt. Seule la qualité très médiocre de la copie visible sur youtube empêche d'être trop catégoriquement négatif envers un film qui est en quelque sorte tout ce que le Fellini se refuse d'être. La recherche d'une continuité classique malgré un matériau parcellaire a poussé les auteurs à épouser le genre du récit picaresque, alors en vogue. Il s'agit donc d'une comédie (sauf les cinq dernières minutes, à la noirceur en porte-à-faux) où même l'érotisme se trouve invariablement rabaissé à la rigolade (là aussi, sous réserve que la copie vue ne soit pas trop tronquée, deux coupes un peu bizarres dans les deux moments les plus sexuels m'ont fait douter). Même s'il faut reconnaître que les déshabillages concernent, comme chez Fellini, les hommes autant que les femmes, l'homosexualité n'a rien de naturelle, plutôt sujette à plaisanteries et toujours liée au travestissement. Le film s'en tient clairement au regard commercial de son époque. Éventuelles petites curiosités : l'apparition de Tina Aumont, Franco Fabrizi en Ascylte et Ugo Tognazzi en Trimalcion (sa "participation exceptionnelle" faisant durer plus que de raison la séquence du banquet).
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Fellini-Satyricon (Federico Fellini, 1969)
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Sans doute le plus fou des Fellini (ce n'est pas peu dire), et pari réussi qui ouvre ses très libres années 70 plutôt qu'il récapitule les précédentes. Son adaptation de Pétrone pose la question de la représentation d'une Antiquité qui nous resterait inconnue : elle s'ouvre de manière théâtrale en monologue du héros, se clôt sur des fresques altérées par le temps, multiplie les lieux et les architectures où des spectacles, publics ou intimes, se déroulent, utilise un procédé mystérieux et déstabilisant de regards caméra fixes de la part de certains figurants sur les bords. Le monde dépeint est pré-chrétien et "innocemment" amoral, le désir (et la violence) y circulant entre tous les sexes, tous les âges, toutes les races, tous les statuts sociaux, sans distinction (une des belles conséquences est l'équilibre érotique hommes/femmes, jusque dans des dévoilements égalitaires). Comme il le fera dorénavant, Fellini recrée tout un univers, avec une inventivité sidérante, du détaillé au monumental, et cela à chaque instant (le moindre plan du film peut donner lieu à une magnifique capture), quitte à ce qu'une superbe composition n'apparaisse que deux secondes. La mosaïque (les langues utilisées sont innombrables et souvent inconnues) mêle constamment le beau et le laid, sans jugement : le visage le plus avenant peut être tout à coup rayé d'une grimace, ou décapité. Mais ce qui en fait l'un des grands films sur l'Antiquité, c'est l'audace de sa narration, succession de heurts, de trous, de détours, d'enchâssements, Fellini s'affranchissant de toutes les règles conventionnelles, inopérantes selon lui pour rendre compte de l'époque lointaine, et offrant, via son imaginaire, une représentation possible.
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Roma rivuole Cesare (Miklos Jancso, 1974)
**Le second téléfilm de Jancso tourné pour la Rai, "Rome veut un nouveau César", est moins connu en France que le premier, La Technique et le Rite, présenté à Cannes en 1972. Il me paraît pourtant bien meilleur, plus clair, moins prisonnier du texte et du lieu. Dans le royaume de Numibie sous influence romaine, quelques patriciens, dont le jeune et fougueux Claudius (Daniel Olbrychski), poussent les populations à se rebeller contre les armées de César. Mais à la mort de ce dernier, le pouvoir revient par surprise à l'un d'entre eux, Octave. En Tunisie, le désert, le bord de mer et les habitations de terre offrent à Jancso un terrain idéal pour l'adaptation de son esthétique que l'on s'étonne de voir parsemée de réminiscences de westerns (chevauchées et intrigues sous le soleil) au-delà du mélange de rites numides et de complots impérialistes. La narration est relativement alerte et, dans ses meilleurs moments, le film atteint son but : mettre en images, en action, à travers un nombre restreint de personnages et de situations, de purs concepts (la République, la démocratie contradictoire, la morale politique, la désignation de chef). -
Le Panache (Jennifer Devoldere, 2024)
**Avec ses références faciles à Cyrano de Bergerac, son affiche "feel good" et sa bande-annonce accumulant les clichés sur l'acceptation des différences grâce à l'éducation, j'étais sûr de la nullité du truc et de ne tenir que quelques minutes devant, juste pour en dire deux mots à des élèves venant le voir en projection scolaire. Tout faux. C'est tout à fait honnête. Les marqueurs sociétaux sont assez nombreux mais bien disséminés, de façon simple et naturelle. La mise en scène est sobre, sans esbroufe, mais pas sans fluidité ni dynamisme, même si les imperfections du réel sont un peu trop gommées (dans les ping-pong verbaux par exemple, montés trop courts). Sans dramatisation à outrance, l'émotion est présente là où il faut, même pas gâchée par la scène d'adieu au professeur, tout à fait attendue. C'est bien interprété, de José Garcia aux intervenants secondaires plus typés, en passant par le jeune Joachim Arseguel dans le rôle principal-relai du spectateur. Un bon moment finalement. -
The Intruder (Roger Corman, 1962)
**Malgré la facilité de Corman à s'exprimer par l'image, la force du message a tendance à rigidifier un peu le film. Il est en tout cas délivré de façon très directe, sans détour, mais pas sans intelligence. Tout d'abord parce que le point de vue dominant est, audacieusement, celui du (des) salaud(s), ensuite parce que ce qui peut apparaître légèrement forcé dans le scénario (la coucherie avec la voisine par exemple) sert plus tard à enrichir la trame et les personnages, enfin parce que s'opèrent d'étonnants retournements (le premier citoyen à s'opposer est assez vite stoppé, la relève, décisive au final, est assurée par quelqu'un qu'on n'attend pas). La longue séquence du discours de William Shatner face à la foule (prôner la "vérité" contre les "mensonges" pour attiser la haine) fait, par-delà les décennies, toujours froid dans le dos. -
La Clepsydre (Wojciech Has, 1973)
**Rares sont les films à larguer autant les amarres, dès les premiers instants. Aucun point d'ancrage sinon quelques éléments dépendant de l'interprétation globale que l'on peut donner au fur et à mesure à cette histoire. La plus "simple" est celle d'un voyage du héros, que l'on ne quitte pas d'une semelle, au pays des morts, voyage devenant surtout un voyage dans le temps (le temps semblant "jouer" avec l'espace). C'est morbide et très obscur (envolées poétiques, références aux Empires et à la culture juive), virtuose dans les longs mouvements de caméra et surtout très impressionnant dans la création de décors baroques jamais vus. De W. Has, il faudrait que je revoie Le Manuscrit trouvé à Saragosse, beau mais trop vague souvenir, pour comparer. -
Invasion Los Angeles (John Carpenter, 1988)
***Revoyure, et à la hausse (comme Halloween il y a quelques temps). Au-delà de la force politique, plaisir de la forme, simple, directe, classique (formidable, notamment, l'appréhension de l'espace à travers le point de vue du héros dans la première demi-heure). -
Les Feux sauvages (Jia Zhangke, 2024)
*Resté à la porte de cet essai, malgré ma connaissance de la plupart des antécédents (admirateur des trois premiers longs mais spectateur moins passionné des - six sur dix - suivants). -
Dracula (Francis Ford Coppola, 1992)
**Des moments plutôt qu'une continuité. Au moins Coppola, par rapport à Eggers qui a aussi voulu sa réactualisation spectaculaire, a-t-il pris des paris à chaque plan, qu'ils s'avèrent payants ou pas (avec le temps, plutôt moins, à mon avis, malgré le recours à nombre de trucages "intemporels").