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Nightswimming - Page 6

  • Bouge pas, meurs, ressuscite, Une vie indépendante & Nous, les enfants du XXe Siècle (Vitali Kanevski, 1990, 1992, 1994)

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    Revus, les trois principaux films de Vitali Kanevski restent tels que mon souvenir les avait fixés. "Bouge pas, meurs, ressuscite" est fou, hallucinant et terrassant, partant dans tous les sens et conservant pourtant sa cohérence, mélangeant dans son incroyable noir et blanc des plans pris à la volée et des mouvements plus composés, ne s’appesantissant jamais, chantant, criant, cognant puis passant aussitôt à autre chose dans un sourire désarmant, une boule d'énergie qui explose tous les autres films d'initiation adolescente. "Une vie indépendante" zigzague autrement, aussi désespéré mais plus "calme" pourrait-t-on dire, se déplaçant plus loin, la chronique ressemblant plus à une errance et glissant plus franchement vers l'onirisme. "Nous les enfants du XXe siècle" est extrêmement gênant, tout ce qui était canalisé par la fiction devenant difficilement supportable dans le documentaire où Kanevski s'avère hyper-directif, provocateur et complaisant, et où, en toute logique finalement, face au cinéaste, seuls Pavel et Dinara semblent capables d'être eux-mêmes, de ne pas se laisser balader, de rester à égalité avec celui qu'ils connaissent alors par cœur et qui les a fait naître si intensément à l'écran.

  • La Maudite Galette (Denys Arcand, 1972)

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    Sorti en 1972, "La Maudite Galette" de Denys Arcand est vraiment dans son époque dans le sens où sous chacun de ses plans, on sent la présence du politique. Surprenant du début à la fin, le film fait d'abord penser au nouveau cinéma allemand contemporain, avec préoccupations sociales, décors réalistes mais rigoureusement cadrés, distanciation parfois théâtrale, le tout arrondi par l'accent et les expressions québécoises. Puis il devient progressivement film noir à l'américaine, disposant de plusieurs éléments du genre. Ce qui est fort et réjouissant, c'est que le glissement s'opère sans jamais changer de principe de mise en scène, avec plans souvent longs et fixes, sons mixés de manière très sélective (une radio, puis des aboiements, puis des ressorts de matelas) presque tatiesque, et humour à froid qui ne disqualifie pas non plus les personnages. Jolie découverte.

  • Armageddon Time (James Gray, 2022)

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    J'ai aimé la retenue dont fait preuve James Gray (celle-là même qui m'avait empêché d'adhérer complètement à ses deux précédents - mais je crois que nous sommes nombreux à avoir en tête des films de lui "qu'on aurait voulu aimer plus", bien que ce ne soient pas les mêmes pour chacun) et j'ai aimé surtout sa façon de placer ces souvenirs à la limite du cauchemar, par le travail sur la lumière, l'ombre enveloppante, les cadrages qui isolent les personnages, les insertions oniriques, les apparitions, le dépeuplement de certains extérieurs.

  • Les Harkis (Philippe Faucon, 2022)

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    "Les Harkis" semble être construit à l'inverse de ce qu'il se fait d'habitude : en retranchant, en ôtant, en coupant, jusqu'au point limite où le récit peut encore tenir debout. Ainsi, Faucon traite d'un sujet lourd, balaye plus de 3 années de guerre et fait vivre de multiples personnages en 1h20 (et donne une leçon à tous les faiseurs de fresques historiques et autres biopics boursouflés). Le risque etait alors qu'il ne reste plus que des dates et des dialogues de contextualisation. Mais c'est aussi la beauté du film, ces sauts d'une date à l'autre, qui créent de nouvelles béances. Ce que l'on voit est fort, ce que l'on ne voit pas (ce que la mise en scène nous épargne ou nous laisse deviner, entre les séquences ou dans celles-ci) l'est autant.

  • Sous les toits de Paris (René Clair, 1930)

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    Dans "Sous les toits de Paris", René Clair préserve les acquis esthétiques du muet tout en se lançant dans le parlant de manière très ludique. Un goût du jeu très plaisant, bien que cela aille, entre deux copains, jusqu'à jouer la fille aux dés (heureusement Pola Illéry n'est pas réduite à un jouet, avec son accent roumain qui participe, lui aussi, au jeu sonore).

  • Bandits à Orgosolo (Vittorio de Seta, 1961)

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    Pour son premier film de fiction, "Bandits à Orgosolo", est-ce parce qu'il tourne dans un paysage de montagne que Vittorio de Seta cadre constamment ses personnages de (véritables) bergers sardes en contre-plongée (plus ou moins accentuée) ? C'est sûrement pour les ennoblir et pour offrir une plus grande beauté esthétique. Comme la post-synchronisation (dialogues et bruits d'ambiance), le collage un peu trop systématique de ces nombreux plans rapprochés avec ceux plus larges de situation fausse légèrement l'approche documentaire pourtant très affirmée par les choix de tournage et le rythme plutôt lent et parfois anti-dramatique. Dès lors, c'est surtout le traçage d'une ligne de vraie fiction tragique qui suscite l'intérêt et valide en quelque sorte la mise en scène.

  • Treno popolare (Raffaello Matarazzo, 1933)

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    Des travailleurs font l'aller-retour Rome-Orvieto en train pour profiter d'un jour férié. "Treno Popolare" est l'étonnante première fiction de Raffaello Matarazzo (et la première musique pour le cinéma de Nino Rota), construite en deux temps d'une durée équivalente. Dans le primo tempo, un montage étourdissant se joue de toutes les contraintes du parlant naissant et fait passer d'un voyageur à un autre avec une liberté qui fait de cette chronique sociale un véritable ancêtre du genre choral. Dans le secondo tempo, un choix est effectué pour se concentrer sur trois jeunes personnes qui badinent. Cela relègue la folle inventivité au deuxième plan, derrière la fraîcheur et le naturel, sensation accentuée par le tournage en extérieurs réels et au milieu de la population locale. Avec humour, charme et vivacité, on prépare le terrain au néo-réalisme (comme chez Renoir au même moment).

  • Les Invités de huit heures (George Cukor, 1933)

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    En 1933, la Grande Dépression frappe aussi les riches : Les Invités de huit heures vont le comprendre douloureusement les uns après les autres, en étant touchés soit au compte en banque, soit au cœur. La dépression est économique et bientôt psychique, la satire féroce virant imperceptiblement au funèbre. Malgré l'élégance du travail de Cukor, la variété des effets dans l'écriture et les nuances bienvenues de l'interprétation, le film est ligoté par le théâtre, son régime de performances successives, ses additions de longues scènes bien séparées les unes des autres. Ce n'est que sur la fin qu'une libération semble possible, comme pour les personnages, toujours pas autorisés à sortir des décors, mais soit délivrés par la mort, soit enfin réunis pour dîner et communier autour de leur sort. On en viendrait alors presque à les plaindre.

  • Paris nous appartient (Jacques Rivette, 1961)

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    "Paris nous appartient" demande un temps certain d'adaptation (montage brut, cadrages qui se voient, interprétation inégale, discussions ou très simples ou très obscures), s'appréhende très progressivement jusqu'à ce qu'on saisisse à peu près de quel jeu il s'agit ici. Des comédiens de théâtre sont en quête d'un décor (et d'argent). En même temps, ils se montent la tête avec des histoires de suicide, de meurtre, de secret, de complot. Mais Rivette ne tranche jamais, laisse délibérément flotter, ajoute des éléments factuels pour mieux les soustraire aussitôt, intègre un absurde pas si absurde que ça, construit sur rien ou sur l'absence (celle du suicidé qui enclenche la fiction). C'est un jeu de piste qui fait aller d'un point A à un point B, en suivant les indications données par d'autres. On se retrouve ici ou là dans Paris, on rencontre de multiples personnages, mais c'est un film policier, criminel ou d'espionnage sans aucune action (sauf dans les 5 dernières minutes où la condensation sème encore le doute). A ce jeu déroutant qui finit par être addictif, le temps en a ajouté un autre : reconnaître à l'écran Chabrol, Godard, Demy, Rivette lui-même (et voir les Cahiers du Cinéma posés en évidence sur une étagère), soit la Nouvelle Vague, qui fait donc partie du complot.

  • Princesse Mononoké (Hayao Miyazaki, 1997)

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    Au tournant des années 2000, l'aventure était là, et pas dans les hideux bidouillages numériques de Lucas et compagnie. C'est en partant du dessin que Miyazaki retrouve le souffle des fresques de Kurosawa. Son art de l'animation ouvre sur une richesse thématique infinie, sur des questions comme le rapport à la nature jamais posées de manière simpliste, sur des créations de personnages à multiples dimensions (et quels personnages féminins ! de l'héroïne à la moindre ouvrière des forges). A partir du dessin : de l'ampleur, du concret et de la profondeur.