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Nightswimming - Page 10

  • Charles mort ou vif (Alain Tanner, 1969)

    ***
    Au moment où son entreprise familiale de fabrication de ressorts de montres fête ses 100 ans et où la télévision vient l'interviewer, un petit patron suisse, la cinquantaine, décide de tout laisser tomber et de disparaître du tableau industriel et bourgeois pour vivre autrement. La rencontre avec le journaliste TV est l'occasion d'une première longue introspection. Ensuite, Tanner, et un extraordinaire François Simon, vont remarquablement intégrer au récit ces réflexions quasi-philosophiques sur la vie, les placer dans le nouveau quotidien du personnage et préserver leur naturel (d'autant plus qu'elles ne sont pas assénées mais produites généralement en reponse à des interlocuteurs, d'où un vrai film de rencontres et d'échanges). Ce pas de côté, se dit-on, est un peu plus facile à effectuer dans cette situation de départ socialement confortable. Tanner ne l'oublie pas et ne fait donc pas de son film un programme, montrant, dans une économie des plus modestes et dans une suite de saynètes réalistes, simples, fluides, musicales, honnêtes et émouvantes, une trajectoire possible dans un monde si difficile à réenchanter. 

  • Darling Lili (Blake Edwards, 1970)

    ***
    Un chant d'amour à Julie Andrews, amplement mérité, et un film ambitieux d'Edwards, qui connut un échec cuisant. Le sujet n'était peut-être pas à même de faire se déplacer les foules (durant la première guerre mondiale une chanteuse anglaise à succès espionne les Alliés pour le compte des Allemands) mais c'est le mélange des genres qui a dû braquer le public. C'est pourtant ce qui le rend assez passionnant, très agréable à suivre, d'autant que la mise en scène du cinéaste, malgré les tripatouillages de la production, fait mouche, par les recherches plastiques, la maîtrise du rythme (bien que chaque scène soit assez longue), le rendu de l'espace. Conformément aux règles du film d'espionnage, les surprises sont régulièrement au rendez-vous mais elles sont très diverses, loin d'être réduites à des idées de scénario. Les changements de ton, les révélations de présences inattendues, l'alternance entre instants érotiques et pauses fleur bleue, l'omniprésence des chansons (le film n'est pourtant pas tout à fait une comédie musicale), les débordements burlesques, rendent l'ensemble imprévisible et charmant, presque fou dans la dernière demi-heure. 

  • Romances et Confidences (Mario Monicelli, 1974)

    *
    Avec une peinture de la classe ouvrière milanaise en fond, l'histoire d'un couple à la différence d'âge marquée est racontée en comédie triste et en chronique terne. Tognazzi et Muti, et les autres en support, ont du mal à rendre leurs personnages émouvants et à les arracher à la superficialité malgré les variations d'humeur affichées. Ils ne sont pas aidés par une post-synchronisation simpliste, réduisant fortement la visée réaliste. Quelques procédés de distanciation, par voix off et arrêt sur image, réveillent à peine et sont d'ailleurs prolongés par l'interminable récit du cocufiage, aveu de la jeune femme à son mari qui ne touche absolument pas, à cause de cet étirement de la durée virant à la farce. 

  • Blue Steel (Kathryn Bigelow, 1990)

    **
    Jamie Lee Curtis, en femme-flic à la fois proie, appât et chasseuse, au regard toujours bleu mais aux traits se durcissant ou s'adoucissant selon les situations, est l'attraction principale du film, devant sa photographie, dont les jeux de lumière parviennent à ne pas apparaître gratuits ni clipesques, et ses cadrages, de nombreux et assez beaux plans rapprochés sur les visages s'intercalant entre ceux plus généraux pour rendre l'ambiance new-yorkaise. Dommage que les scènes d'action soient si chargées de ralentis, que les tirages de cheveux scénaristiques soient si évidents dans chaque rebondissement et que la figure du psychopathe tueur en série ne soit pas aussi renouvelée, malgré le fait d'en avoir fait un trader, que celle de l'héroïne. 

  • Street Trash (Jim Muro, 1987)

    **
    Fameux film de genre que je découvre avec 34 ans de retard. L'argument mis en avant, celui de la boisson mystérieuse et dévastatrice dès la première gorgée, source de la majorité des moments gores, est comme oublié en cours de route pour revenir sur la fin, signe de faiblesse pour un scénario bien moins souple et travaillé que la mise en scène de Jim "steadicam" Muro. Celui-ci en fait d'ailleurs un peu trop avec sa caméra, cherchant manifestement à prouver, avec ce premier (unique) film, plutôt qu'à assurer une cohérence. L'approche documentaire sur le monde des clochards new-yorkais est régulièrement parasitée par des effets liés au genre horrifique (typiquement, l'agression de la jeune femme par la bande de clodos filmée comme une attaque de morts-vivants : nuit, brume, rictus, postures étranges, bras qui se tendent de nulle part pour saisir la victime...) et par la quasi-transformation du décor déjà si anxiogène de la Grosse Pomme d'alors en ruine post-apocalyptique (le "royaume" du chef de bande). Cet univers terrible et violent, Muro arrive à le faire exister à l'écran en passant avec aisance d'un personnage et d'un lieu à d'autres, malgré les énormités et les trous de l'intrigue, malgré les exagérations de ton et de style. Comme l'utilisation de mélanges de couleurs lors des séquences les plus dégoûtantes, les multiples entorses au réalisme font que le film est plus bizarre que traumatisant, ce qui n'est pas plus mal. 

  • Un enfant de Calabre (Luigi Comencini, 1987)

    ***
    Un beau film de Comencini, qui maîtrisait depuis longtemps le thème de l'enfance au cinéma. Un film au message résolument positif mais dont la sobriété, la justesse et l'émotion éloignent définitivement de toutes ces chroniques faciles et balisées de réussites sportives ou culturelles inattendues. L'un des intérêts ici est d'ailleurs que le père de ce petit calabrais le pousse à étudier, pendant qu'il garde les animaux, alors que le gamin ne veut que courir (pour rêver). Jamais surdramatisé ni encombré de conflits superflus (ce qui n'empêche pas certaines réactions paternelles d'être violentes), le scénario est enrichi par petites touches (le passé communiste du vieil homme soutenant le petit dans ses projets de courses, la naissance du sentiment amoureux) qui donnent une trame serrée mais non contraignante. Comencini parvient même à discrètement nimber d'onirisme certaines interventions. Et comme il termine son film juste après le franchissement d'une ligne d'arrivée pour épargner les effusions convenues, il montre les beaux paysages de Calabre sans effet carte postale mais pour ce qu'ils sont, simplement le cadre de vie des personnages.

  • France (Bruno Dumont, 2021)

    *
    Après un premier tiers en forme de satire des médias banale, didactique, mimétique et vaine, de plus entravée par le jeu lourdingue du prénom qui induit des interprétations plus ou moins pernicieuses (France se sacrifie pour les pauvres immigrés, France est atteinte de sinistrose), le film parvient à intéresser au bout d'un moment en allant vers toujours plus de bizarrerie, en ne laissant pas deviner le chemin suivi par le récit, et en proposant de manière contradictoire d'humaniser le personnage à force de le faire pleurer tout en déréalisant la fiction par accumulation d'écrans, transparences, panoramas, approximations de dialogues, regards-caméra. Cela ne dure malheureusement qu'un temps. Dans le dernier mouvement, Dumont revient nous dire quoi penser, formule sa morale de l'histoire, à travers un coup de théâtre en forme de bêtise de scénario, puis l'une de ces gifles violentes dont il est friand dans ses mauvais jours, à l'encontre de ses personnages et du spectateur, et enfin par deux séquences conclusives qui, placée ainsi, nous assurent que pour mieux cerner le mal rongeant notre propre société, à la campagne comme à la ville, il faut arrêter d'aider les autres.

  • Le Lien (Ingmar Bergman, 1971)

    **

    Une tentative de renouvellement de Bergman par l'éloignement de son île, la co-production avec les États-Unis, l'embauche d'Elliott Gould, l'emploi de musique parfois pop, effectuée cependant sur une structure basique, voire banale, mari/femme/amant, sous le point de vue, évidemment, féminin. Gould convient parfaitement au rôle perturbateur mais le personnage peine tellement à gagner notre sympathie que l'on en vient à la donner plutôt à celui, tout en stabilité bourgeoise, de von Sydow. La cyclothymie de l'amant décide trop souvent des virages du récit (comme les explications possibles, judéité, sœur "cachée", pèsent un peu trop, même laissée à l'état d'hypothèses). Mais l'impact bergmanien ne s'est heureusement pas évaporé. Il se signale surtout là où il ne se passe rien en apparence : confrontation initiale avec la mère défunte à l'hôpital (champs-contrechamps muets entre le regard et les instruments médicaux ou bien des fragments du corps allongé), rangement par le couple de leur salon après la réception du futur amant comme si de rien n'était alors que l'on sait que quelque chose s'est enclenché, logorrhée nerveuse d'avant l'amour... Et puis il y a ces plans sur le visage de Bibi Andersson qui nous donnent l'impression de lire ses pensées et d'observer la faille qui s'y ouvre.

  • L'Année tchèque (Jiri Trnka, 1947)

    ***
    On connaît généralement le nom de Trnka si l'on est spécialiste du cinéma d'animation ou bien si l'on a lu les Cahiers et les Positif des années 50. Son premier long métrage de marionnettes est composé de plusieurs tableaux consacrés à des contes et légendes liés à la vie des paysans, sans dialogue mais en musiques et chansons populaires. Celles-ci, alliées à un montage très vif, donnent au film son dynamisme. Trnka travaillant de plus, à partir de son matériel inanimé, sur la notion de mouvement, les décors et les éclairages étant variés, les éléments judicieusement convoqués, il n'y a donc là rien d'ennuyeux ni de statique. Enfin, une profondeur supplémentaire est apportée sur le plan narratif : chaque segment recèle en son sein un autre niveau de représentation (rêve, récit, spectacle... de marionnettes) pour offrir une belle série d'enchâssements (jusqu'à faire des paraboles chrétiennes, de plus en plus marquées au fil des histoires, des couches comme les autres, jusqu'à transformer toute bondieuserie en élément du merveilleux). 

  • Snobs (Jean-Pierre Mocky, 1962)

    °
    Un Mocky des débuts, et des plus pénibles, malgré ses compositions en noir et blanc, ses moqueries adressées à l'Armée et à l'Église, sa constitution d'une troupe. La caricature règne sans partage, jusque dans les voix des comédiens, forcées pour mieux atteindre la cible désignée, le snobisme. Cette cible est pourtant rendue floue, tout le monde finissant par se traiter de "snob", sans distinction. Les répliques, saturées de bons mots et de formules, se referment constamment sur elles-même, le comique est souvent de répétition, et la narration se révèle purement mécanique, guidée par le compte à rebours d'une élection servant à désigner un directeur général parmi quatre prétendants ambitieux, histoire prétexte trop hachée qui ne prend jamais.