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Nightswimming - Page 11

  • Les Carnets de Siegfried (Terence Davies, 2022)

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    Film qui "transperce le cœur" en retraçant la trajectoire accidentée du poète anglais Siegfried Sassoon, de la boucherie de 14-18 au crépuscule des années 60. Images d'archives guerrières, lumières de l'aristocratie, ombres du théâtre, envolées de la littérature, tout s'entremêle. Dans les plans, souvent longs, souvent fixes ou gracieusement circulaires, des fantômes semblent constamment naître du regard des personnages. "J'ai vécu parmi les morts" dit Siegfried, pensant sûrement aux hommes qui sont tombés autour de lui : camarades combattants ou amants passagers. A la réalisation, Terence Davies, décédé à 77 ans, juste après l'avoir terminé, au bout d'une singulière carrière dans le cinéma britannique.
  • L'Empire (Bruno Dumont, 2024)

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    Le Père Dumont n'a pas fini de nous bousculer, mais c'est pour notre bien. Il nous livre son film en pièces détachées : à nous de recoller les morceaux de son drame mystique - space opera - comédie loufoque, d'accepter l'assemblage des éléments les plus hétéroclites qu'on puisse imaginer (de la ferme au vaisseau spatial, hop, sans prévenir), de trouver ce qu'il veut nous dire sur le monde d'aujourd'hui en y faisant remonter des notions moyenâgeuses. Le Bien lutte contre le Mal et on se demande, avec le réalisateur sans doute, si on doit encore et toujours recourir à cette opposition pour mener nos vies actuelles. C'est peu dire que le film est décalé. Et en plus, c'est à nous de combler nous-même ce décalage, d'effectuer les raccords, de trouver les équivalences. Il est sacrément confiant dans son spectateur, Dumont. Tant mieux. Au moins, ça fait vivre une expérience hors du commun.
  • Daaaaaali! (Quentin Dupieux, 2023)

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    La biographie, très peu pour lui. Quentin Dupieux tente plutôt, et réussit en beauté, l'évocation drôlatique et onirique (lire en accentuant les syllabes, comme le fait Dalí). Quatre, cinq ou six comédiens différents interprètent selon les scènes l'artiste mégalomane au carré qui se perd dans les méandres d'un récit-gigogne. Dupieux reprend l'idée de Luis Buñuel des rêves enchâssés et la multiplie à l'infini (l'infini qui a l'élégance de durer 1h18, un sublime condensé). Face aux Dalí, une journaliste ne parvient pas à mener un entretien (oui, le résumé du film tient dans cette phrase). Face aux orgueils stratosphériques, Anaïs Démoustier se tient en femme merveilleusement normale. Elle est notre point d'attache dans l'exploration d'un monde de fous où la vie se confond avec l'art, où l'art ne cesse de se confondre avec lui-même. La comédie française peut dire merci à Quentin Dupieux.
  • May December (Todd Haynes, 2023)

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    On regarderait pendant des heures Julianne Moore être regardée par Nathalie Portman, tout cela devant un miroir invisible, c'est-à-dire face à la caméra et donc face à nous. Mais on a beau enquêter, pour s'imprégner d'un rôle ou percer un mystère, poser toutes les questions imaginables, fouiner partout, manipuler son monde, on n'arrive jamais à saisir toute la vérité. L'un des meilleurs films de Todd Haynes, qui s'y connaît pour filmer les actrices, et qui nous montre les attraits et les dangers du cinéma s'acharnant à imiter la vie. Derrière les sourires affichés même quand tout va mal, même quand la folie est contagieuse, l'Amérique reste insondable.
  • La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer, 2023)

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    On croyait avoir tout vu, tout entendu, sur le sujet, et voilà que Glazer trouve un nouveau moyen de représentation sidérant. La vie paisible de la famille du commandant Höss se déroule en mur mitoyen avec le camp d'Auschwitz. Ce mur, on ne le passera jamais, mais le moindre signe nous maintiendra en alerte : un cri, un claquement, une cheminée, une fumée. Ici, ce sont les bourreaux qui sont placés sous surveillance par la mise en scène. Une mise en scène qui semble tout réinventer : le son, le cadrage, la perspective, le hors-champ, la netteté, la vision de l'histoire depuis aujourd'hui. L'Histoire nous regarde, à tous les sens du terme. Ça glace et ça stimule. C'est du jamais vu, jamais entendu.
  • L'Innocence (Hirokazu Kore-eda, 2023)

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    Quand on regarde quelqu'un, on n'en voit toujours que la moitié... Plus qu'un film choral sur les différences de points de vue, c'en est un sur la vision toujours partielle que l'on a de la réalité des choses et des gens, sur le danger des non-dits, sur les conséquences des malentendus et des préjugés. Prix du scénario mérité à Cannes et, derrière la caméra, un Hirokazu Kore-eda qui étale encore son savoir-faire entre le rendu des petits mystères de la vie quotidienne et la description plus ample et dramatisée des destinées individuelles.
  • Dossier secret (Orson Welles, 1955)

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    Au début de "Dossier secret" (ou "Mr. Arkadin" ou "Confidential Report"), je me suis dit qu'à 20 ans il était normal d'être impressionné par ces cadrages bizarres, ces angles impossibles, ce montage fou-fou, ces faux-raccords volontaires, ces entassements baroques, mais qu'à le revisiter maintenant, Welles y allait quand même un peu trop à l'épate. Enfin quand même, on s'incline devant le génie à partir du moment où on le voit vraiment à l'écran, lui. Au moment où Arkadin apparaît, au moment où Welles apparaît, le récit s'élance, le film prend tout son sens (quoiqu'il repose sur un "minable secret", sur du vent, celui qui porte quelques secondes l'avion sans pilote), la forme s'impose dans toutes les larges dimensions de son auteur et se marie idéalement au fond, puissance, vitesse et don d'ubiquité. Arkadin est partout (un tour de l'Europe à en perdre haleine) et le montage est si court, les cadres si encombrés, qu'au début de certains plans, pendant une demi-seconde, on croit encore avoir affaire à lui, alors que ce n'est qu'un autre personnage ou une silhouette quelconque qui se tient à côté ou devant Van Stratten. Autre détail qui en dit long, le "jeu" de la couverture tirée par celui-ci et Zouk (redoublé juste après par celui entamé de part et d'autre d'une porte séparant les deux mêmes) : ce n'est pas qu'un élément burlesque, c'est une façon d'étirer l'espace, de le tordre, de le rendre insolite.

  • "L'Art assassin" de Pauline Mari (livre)

    Parfait pour finir l'année, "L'Art assassin" de Pauline Mari, épatant bouquin, livre de cinéma le plus stimulant que j'ai pu lire depuis un bon moment. Partant du concept pas forcément évident de l'artiste-tueur (ou du tueur-artiste), 16 films (et quelques autres) sont analysés, de "La Main du Diable" à "Edward aux mains d'argent", de façon lumineuse, en posant d'abord le contexte, puis en prenant un détail ou un ensemble d'éléments pour en tirer les racines artistiques profondes, un tableau, un roman, une école esthétique. Il y a à chaque fois une sorte de rétro-éclairage et, qu'il s'agisse de films archi-connus comme "Psychose" ou pas du tout comme "Femina ridens", tous les chapitres sont passionnants et m'ont semblé totalement "neufs". Excellentissime ! Je recommande chaudement...

  • Perfect Days (Wim Wenders, 2023)

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    Scènes de la vie quotidienne d'un agent d'entretien des toilettes publiques de Tokyo, grand-petit film. Petit au sens modeste, comme le cadre de vie du personnage et le cadre serré du film, comme les lieux qu'il habite et nettoie, comme les plaisirs qu'il s'autorise. Avec calme, simplicité et bienveillance, Wenders nous parle du lien social, du rapport avec les autres mais aussi de la nécessité à être en accord avec soi-même. Un beau film-hommage à un pays, une ville, un quartier, un acteur, le magnifique Koji Yakusho.