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Nightswimming - Page 13

  • Les Cavaliers (John Frankenheimer, 1971)

    *
     
    Frankenheimer tente une échappée loin de Hollywood, ambitieuse, curieuse mais décevante. Des images de l'Afghanistan de 1970 étonnent mais elles ne restent qu'un fond documentaire : au premier plan, aucun acteur ne semble afghan, une distribution cosmopolite se partageant les rôles parlants, en anglais avec accent prononcé, et l'Espagne a accueilli de nombreuses scènes. Omar Sharif est surprenant, excellent cavalier seulement doublé aux moments les plus extrêmes (le morceau de bravoure arrive très tôt, sorte de course à la Ben Hur sans les chars et sans musique). Il traverse le film dans un état second, fiévreux, se perdant volontairement dans le danger, ses évanouissements creusant des ellipses dans le récit. Derrière lui, le peuple afghan, société archaïque, s'enivre de sports violents, d'affrontements d'animaux divers (chameaux, oiseaux, béliers). La seule figure féminine est une putain cupide et manipulatrice qui aura le temps, in extremis, avant d'être renvoyée, d'être comblée de plaisir par le héros. Son irruption dans la dernière partie réduit encore l'intérêt d'un film qui devenait déjà moins intéressant à force d'opacité des motivations au-delà d'une rivalité père-fils très symbolique.

  • Le Deuxième Acte (Quentin Dupieux, 2024)

    **

    Trouvé plaisant et assez drôle (tout ce qui tourne autour de l'IA notamment). En revanche, j'ai lu ici ou là "vertigineux", alors que ça ne l'est pas, en tout cas, pas sur un plan fiction/réalité qui concernerait les quatre vedettes, et le fait qu'ils portent des prénoms différents des leurs me semble suffisamment clair. Les "décrochages", je les ai vus seulement comme une conséquence du processus d'étagement cher à Dupieux. On reste dans sa fiction malgré les évocations directes des problématiques contemporaines (qui ne sont pas dépourvues d'une certaine facilité, même si elles peuvent être percutantes). Le vertige, ou le trouble, je l'ai plutôt éprouvé avec le coup du suicide par exemple, donc grâce au jeu habituel de Dupieux sur les niveaux de fiction, qui n'ont jamais beaucoup à voir avec la réalité.
  • Chers Camarades ! (Andreï Konchalovsky, 2020)

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    Récit d'une sanglante répression de manifestation ouvrière sous Khrouchtchev. Les efforts de reconstitution et de contextualisation commencent par donner des dialogues chargés d'explications et l'esthétique ligne claire choisie (noir et blanc net, format resserré) fait paraître les scènes de violence un peu datées. Cela a au moins le mérite de rendre la peur hiérarchique et la féroce compétition des services et des sections. A mi-chemin, le film gagne à creuser un cas particulier, sans revirement de conscience trop facile (malgré un dénouement trop heureux, bien que non dénué d'ironie). Ces derniers temps, malheureusement, Konchalovsky a semble-t-il, comme son frère, décidé de serrer plus que jamais Poutine dans ses bras...
  • La Forêt d'émeraude (John Boorman, 1985)

    *

    Alors que son personnage devrait passer par tous les états, Powers Boothe a une expression et demie. Le fiston Charley B. en a un peu plus et l'avantage d'une blondeur qui tranche avec les sombres cheveux des indiens. Déjà manichéen, le récit est invraisemblable par ses enchaînements (tiré d'une histoire vraie, il est tout de même très romancé et augmenté d'autres histoires d'enlèvements comparables, dixit Boorman). Entre des scènes d'action hollywoodiennes, les "visions" chères au cinéaste apportent un peu d'originalité sinon de la légèreté. Le meilleur est sans doute dans la gestion de l'espace, avec la frontière qui ne cesse d'avancer et les trajectoires des personnages, celle de Tomme principalement, entre ses deux pères (ses deux mères, elles, n'existent quasiment pas). Le film ne m'aura décidément plu qu'à l'adolescence.
  • Tropical Malady (Apichatpong Weerasethakul, 2004)

    ***

    Même s'il y en a d'autres, c'est le chaînon qui me manquait entre Blissfully Yours et Oncle Boonmee (d'ailleurs "annoncé" dans un dialogue). AW choisit deux personnages dans la réalité foisonnante, leur offre une histoire d'amour puis la possibilité de se projeter dans un conte, une histoire qui semble remonter de dessous cette réalité. L'opposition est assez marquée entre les deux "récits" qui se succèdent ainsi, et le conte, dans sa lenteur et ses répétitions, m'a semblé d'abord avoir de la valeur surtout par effet miroir avec la première partie (au-delà de la fascination visuelle générée par la jungle bien sûr), en tout cas jusqu'aux quinze dernières minutes qui, elles, se suffisent à elles-mêmes et qui sont vraiment sublimes.

  • Outsiders & Rusty James (Francis Ford Coppola, 1983)

    **/****

    Flashs de mon adolescence transformés longtemps après en expérience sur des cobayes de 14 et 22 ans. Résultat, les deux préfèrent largement Outsiders à "l'ennuyeux" Rusty James !
    Et pourtant...
    Outsiders a autant de hauts que de bas. La planque des pauvres petits Macchio et Howell est bien longuette et mélo, comme les scènes d'hôpital qui mobilisent les mêmes. Ailleurs, plus que les rapports entre mecs, c'est la gestion de l'espace qui séduit, embrassé avec ampleur et dynamisme (dans une hyper-expressivité qui fait parfois sourire : Coppola n'attend pas 2 minutes pour proposer des plans de baston à ras de terre, avec donc, on l'imagine, la caméra dans un trou). La mise en scène est musicale mais l'aide des standards attendus est aussi agréable que facile.
    Et donc, de l'illustration à l'inspiration...
    Tout semble touché par la grâce dans Rusty James, qui dérive du film de bande au film-rêve/cauchemar. Rusty James est entraîné ou suit son frère, ou plutôt l'image de son frère, dans les limbes. Le lien fraternel, bien plus profondément ressenti que dans l'autre, est d'autant plus beau qu'il est suspendu, dans l'espace et le temps, entre deux lieux, entre deux époques. Comme si Coppola faisait ici la critique même du monde et de la mythologie d'Outsiders, notamment en dépouillant Dillon de ses forces et de ses illusions, Dillon qui ne fait que prendre des dérouillées et des cuites, qui ne cesse de tomber et de se traîner. Le récit qui va vers la fatalité mais en n'empruntant que des détours (la virée à moto avant de revenir devant l'animalerie), le noir et blanc et les touches de couleurs, les ombres démesurées, les fumées fantastiques, la castagne chorégraphiée, la voix basse et les bras croisés de Rourke, la surdité et la folie, le flic moustachu, le symbolisme des poissons, les pulsations continues de Copeland, les rêves et la lévitation, tout passe, tout s'embrase. Même feu qu'au début 1984 à mes 12 ans et demi.
  • Les Carnets de Siegfried (Terence Davies, 2022)

    ***

    Film qui "transperce le cœur" en retraçant la trajectoire accidentée du poète anglais Siegfried Sassoon, de la boucherie de 14-18 au crépuscule des années 60. Images d'archives guerrières, lumières de l'aristocratie, ombres du théâtre, envolées de la littérature, tout s'entremêle. Dans les plans, souvent longs, souvent fixes ou gracieusement circulaires, des fantômes semblent constamment naître du regard des personnages. "J'ai vécu parmi les morts" dit Siegfried, pensant sûrement aux hommes qui sont tombés autour de lui : camarades combattants ou amants passagers. A la réalisation, Terence Davies, décédé à 77 ans, juste après l'avoir terminé, au bout d'une singulière carrière dans le cinéma britannique.
  • L'Empire (Bruno Dumont, 2024)

    ***

    Le Père Dumont n'a pas fini de nous bousculer, mais c'est pour notre bien. Il nous livre son film en pièces détachées : à nous de recoller les morceaux de son drame mystique - space opera - comédie loufoque, d'accepter l'assemblage des éléments les plus hétéroclites qu'on puisse imaginer (de la ferme au vaisseau spatial, hop, sans prévenir), de trouver ce qu'il veut nous dire sur le monde d'aujourd'hui en y faisant remonter des notions moyenâgeuses. Le Bien lutte contre le Mal et on se demande, avec le réalisateur sans doute, si on doit encore et toujours recourir à cette opposition pour mener nos vies actuelles. C'est peu dire que le film est décalé. Et en plus, c'est à nous de combler nous-même ce décalage, d'effectuer les raccords, de trouver les équivalences. Il est sacrément confiant dans son spectateur, Dumont. Tant mieux. Au moins, ça fait vivre une expérience hors du commun.
  • Daaaaaali! (Quentin Dupieux, 2023)

    ***

    La biographie, très peu pour lui. Quentin Dupieux tente plutôt, et réussit en beauté, l'évocation drôlatique et onirique (lire en accentuant les syllabes, comme le fait Dalí). Quatre, cinq ou six comédiens différents interprètent selon les scènes l'artiste mégalomane au carré qui se perd dans les méandres d'un récit-gigogne. Dupieux reprend l'idée de Luis Buñuel des rêves enchâssés et la multiplie à l'infini (l'infini qui a l'élégance de durer 1h18, un sublime condensé). Face aux Dalí, une journaliste ne parvient pas à mener un entretien (oui, le résumé du film tient dans cette phrase). Face aux orgueils stratosphériques, Anaïs Démoustier se tient en femme merveilleusement normale. Elle est notre point d'attache dans l'exploration d'un monde de fous où la vie se confond avec l'art, où l'art ne cesse de se confondre avec lui-même. La comédie française peut dire merci à Quentin Dupieux.