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Nightswimming - Page 16

  • India Song (Marguerite Duras, 1975)

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    Arrivés au terme de "India Song", on tombe sur une carte des Indes, balayée par la caméra pour dessiner un parcours. Ce tout dernier plan ne donne pas, en lui-même, beaucoup plus d'informations que le reste mais nous fait dire plutôt : voilà, nous y sommes parvenus, tout a fini par converger, par faire film, malgré l'immobilité, malgré les brouillages des repères (géographiques, temporels), malgré la disjonction (anti-)spectaculaire de tous les éléments habituellement entremêlés, voix, corps, image, son, bruit, musique, malgré la difficulté longtemps persistante à s'y retrouver dans cette histoire et parmi ces personnages. La carte n'est pas une récompense, puisque la fascination a commencé à s'exercer bien avant la fin, mais elle matérialise plutôt le rassemblement de toutes les forces cinématographiques (ou picturales ou littéraires ou musicales) qui étaient au départ dispersées.

  • Shut Up and Play the Hits (Dylan Southern et Will Lovelace, 2012)

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    Documentant le concert d'adieu de LCD Soundsystem au Madison Square Garden en avril 2011, "Shut Up and Play the Hits" n'a été montré en 2012 qu'aux Etats-Unis et en Angleterre, ce qui m'avait sur le moment énormément frustré. Puis je l'avais un peu oublié, comme beaucoup de monde apparemment. C'était un mauvais signe.
    A des années-lumière de la classe et du naturel caractérisant "The Last Waltz" de Scorsese, "Shut Up" réussit l'exploit de ne pas rendre service à son sujet et d'être contre-productif. Le film est déjà encombré d'échantillons d'un entretien dans lequel un journaliste pose des questions aussi longues que pompeuses auxquelles James Murphy paraît ne pas savoir quoi répondre. Sur son parcours, rien. Sur la singularité de sa musique, rien. Sur la notion de groupe, rien.
    LCD Soundsystem était, au départ, son projet à lui mais quiconque a assisté à l'un de leurs concerts sait à quel point il s'agit d'un vrai groupe (et quel groupe !). Ici, en dehors des séquences musicales, Nancy Whang, Pat Mahoney et Tyler Pope, bien que présents dès les prémices de l'aventure, sont invisibles. On n'entend et ne voit que Murphy. Pire, on le suit alors qu'il déambule seul dans son bel appartement, dans la rue ou au bureau de son label DFA, lors de séquences documentaires puant le fabriqué (le comble est atteint quand, après ce dernier show, l'équipe le filme dans la réserve devant tout le matos rangé, attendant que le sanglot monte).
    On en vient à se demander s'il s'est fait piégé par les auteurs ou s'il a lui-même mis en scène, par leur intermédiaire, cet ego-trip.
    Reste heureusement les longs extraits du concert, montés évidemment trop rapidement (caméras partout, durée du plan nulle part), inévitablement raccourcis ("Losing My Edge" est décrit par le journaliste comme le meilleur morceau écrit par Murphy, ce qu'il explique... sur la musique elle-même !), mais transmettant toujours cette énergie faisant de LCD le groupe le plus important des années 2000.
    Il se trouve de toute façon que "Shut Up" est rapidement devenu caduc. D'une part, LCD Soundsystem s'est reformé 5 ans après. D'autre part, le fameux concert a été édité, débarrassé de toutes ces tentatives documentaires inutiles et prétentieuses. Ces fabuleuses 3h30 de pur live sont disponibles notamment sur Youtube.
  • Stan the Flasher (Serge Gainsbourg, 1990)

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    De sale réputation (comme tous les films de Gainsbourg à part peut-être le premier), "Stan the Flasher" n'est pas si mauvais que ça. Les dialogues alternent de façon un peu lassante entre jeux de mots, éclats vulgaires et emprunts littéraires (parfois en auto-citations : Michel Robin déclamant les paroles de "Cargo culte" en prison, c'est pour le moins bizarre). La représentation redoutée de l'attirance pédophile (Gainsbourg disait "lolycéenne", ça passait mieux) restant soft, c'est plutôt le nombre de mots insultants à l'attention des femmes en général qui finit par faire mal aux oreilles. On peut toujours dire, cependant, que l'on reste dans la tête du personnage, avec le choix plutôt pertinent de Claude Berri, qui arrive notamment à tracer une ligne intéressante par sa voix. Même si l'on s'agace parfois de certains effets, on tient jusqu'au bout grâce à la distanciation théâtrale, le travail (en studio) sur les décors, les lumières (très bleues), les cadres, un certain irréalisme et surtout la brièveté du film (1h08 !).

  • Le Gang des Bois du Temple (Rabah Ameur-Zaïmeche, 2023)

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    Bien aimé "Le Gang des Bois du Temple" de Rabah Ameur-Zaïmeuche. N’ayant vu jusque là, sans grande passion, que deux de ses films précédents, j’ai apprécié ici le resserrage de boulons consécutif à l’inscription franche dans le genre criminel. L’équilibre est bien trouvé entre moments de stase, en dialogues (qui semblent) improvisés ou en observation calme, et emballements dramatiques qui, dans un engrenage attendu, restent surprenants quand ils adviennent. C’est dû aussi à l’intéressante "choralité", à la diversité des points de vue qui fait mine de provoquer des détours pour mieux se recentrer. Encadré par le genre (il l’est aussi par deux beaux moments musicaux), le récit tient bien et on peut profiter des singularités de la mise en scène de RAZ.

  • Moonage Daydream (Brett Morgen, 2022)

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    Le film de Brett Morgen, est vraiment "immersif", par ses qualités enveloppantes, ce qui en fait un documentaire "avec" Bowie plutôt que "sur" Bowie. Spectaculaire montage d'archives uniquement guidé par les propos du chanteur (et quelques relances de journalistes), "Moonage Daydream" donne l'impression rare d'entrer dans sa tête, de partager ses visions et intuitions, d'apprendre vraiment comment il se voyait lui-même à chaque étape de sa carrière. Ce montage est tellement vif qu'il faut tout de même un moment pour s'y habituer. Par ailleurs, il vaut mieux bien connaître les différentes étapes de cette trajectoire artistique pour se repérer car même si l'avancée est chronologique, elle est surtout "thématique", fixant des époques successives en fascinants déluges d'images et de sons, sans quasiment donner aucun titre d’album, film ou chanson. Comme on se tient loin du didactisme conventionnel, cette précieuse proximité avec l’œuvre a un prix : il faut accepter que tout ne soit pas abordé, que tel morceau ne remonte pas sur la bande son, que telle image ne soit pas insérée ("Twin Peaks" ? mais le montage de Morgen est déjà, en quelque sorte, lynchéen), que des périodes soient survolées ou réduites à un thème (celle de "Outside"/"Earthling" à celui du chaos en une seule et longue séquence construite sur "Hallo Spaceboy"). Les créations visuelles et sonores de Bowie sont de toute façon si nombreuses qu'une heure de plus n'aurait pas suffi. Les 2h15 passent très vite et derrière le parti pris s'apprécie la fidélité envers l'univers ainsi transposé/remodelé.

  • Borsalino and Co. (Jacques Deray, 1974)

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    C'est effectivement un meilleur film que le premier, c'est plus sombre, plus compact, mieux cousu. Delon est très bon et l'effet de contraste avec Bébel ayant disparu, on a l'impression qu'il joue mieux ici. Il manque juste à Deray l'inspiration, la fulgurance visuelle ou rythmique pour rendre tout ça inoubliable, même si la représentation de la violence, sèche et souvent imprévisible, est assez étonnante. Pourquoi cela se termine-t-il sur "à suivre" ? Annonce trop prématurée de Delon producteur ou projet vraiment engagé puis tombé à l'eau ? Pas sûr en tout cas qu'un troisième volet en Amérique aurait été très excitant, l'un des intérêts du diptyque étant justement sa relative autonomie par rapport au modèles cinématographiques américains, le fait qu'on y croie sans y trouver d'imitation trop flagrante.

  • Borsalino (Jacques Deray, 1970)

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    Eu envie hier soir de découvrir "Borsalino" (peut-être l'avais-je déjà vu gamin mais je n'en avais aucun souvenir). Pas mal sans être terrible. Le traitement paraît assez superficiel, la narration pas particulièrement fluide. Certaines séquences, les plus "légères" ou les moments de transition, sont vraiment trop pépères. Pourtant, d'autres sont plutôt prenantes, comme celles autour du couple Corinne Marchand-Michel Bouquet, celle du guet-apens dans l’entrepôt au milieu des carcasses... Intéressant aussi de voir comment en cinq ou six ans seulement, depuis les États-Unis ou l'Italie, la représentation sanglante de la violence s'est propagée jusque dans le cinéma populaire français. Quant au duo de stars, on ne sait pas trop si l'accentuation de l'opposition des styles (l'un qui sourit presque tout le temps, l'autre quasiment jamais) sert vraiment une complémentarité des personnages ou n'est là que pour satisfaire à bon compte le public attendant de retrouver l'image conventionnellement accolée à chacun.

  • The Last Waltz (Martin Scorsese, 1978)

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    A partir d'un certain niveau de moyens techniques et donc financiers, réaliser un grand film-concert, c'est quand même pas compliqué. Il suffit qu'une réelle complicité existe entre le réalisateur et le groupe pour que le projet avance de concert (hé hé), que l'équipe de tournage soit compétente et réactive (pour l'image, Scorsese ne s'est pas emmerdé : Michael Chapman "assisté" de rien moins que les deux hongrois Laszlo Kovacs et Vilmos Zsigmond), que le cinéaste ait déjà un sens musical de la mise en scène et du montage, que l'équilibre soit assuré sans précipitation entre plans longs accompagnant la coulée vitale du live et inserts attrapant les fulgurances, que la sensation de la durée soit préservée (Scorsese, sur ce plan-là, trafique un peu, sans que cela soit trop visible ou gênant, en raccourcissant certains morceaux), que la présence du public soit manifeste sans que l'attention soit détournée vers lui (pas de plans de réaction ici, Scorsese ne gardant que ceux filmés larges du fond de la scène avec les musiciens en amorces, façon de garder le lien entre le groupe et son public, selon le même principe posé par Altman dans "Nashville" deux ans plus tôt).
    La réussite ainsi assurée, la différence se fait, quand on découvre ces films, en fonction de l'amour que l'on porte aux groupes en question. Je continue donc, pour ma part, à mettre au plus haut le "Stop Making Sense" de Jonathan Demme/Talking Heads. Mais "The Last Waltz" n'est pas avare, bien sûr, de grands moments et la conclusion réunissant The Band et tous les prestigieux invités pour "I Shall Be Released", c'est quelque chose.
  • Fairytale (Alexandre Sokourov, 2022)

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    D'une idée folle (Churchill, Hitler, Mussolini, Staline et leurs nombreux doubles errent, discutent et s’asticotent au purgatoire en attendant de savoir si Dieu leur accordera l'entrée au paradis), Sokourov tire une expérience cinématographique incroyable, qui interroge autant qu'elle fascine. "Fairytale" est certes bavard, voire radoteur, mais sa relative brièveté (1h20) fait que ce handicap reste surmontable, la quantité de textes s'accordant d'ailleurs plutôt bien à la lenteur des gestes et déplacements obtenue par le ralentissement des images (le fait que chacun parle dans sa langue contribue aussi à contrer la monotonie). En deepfake ou pas (Sokourov récuse le terme, sans doute en partie pour garder sa position d'artiste, loin des bidouilleurs de l'internet, mais la technique semble au moins proche), des images sidérantes sont créées, particulièrement lors des séquences où les "personnages" sont confrontés aux masses qui les ont vénérés, formes mouvantes, liquides. Des séquences d'une texture audio-visuelle que l'on n'a jamais vue ailleurs. Gris, le film donne une idée de l'enfer, de l'éternel et tragique recommencement de l'Histoire, de la folie des maîtres du monde et de celle des foules hypnotisées. Grand film d'horreur.

  • Les Herbes sèches (Nuri Bilge Ceylan, 2023)

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    Film long, beau et rude comme l'environnement de ce village reculé d'Anatolie, presque entièrement fait de conversations qui font mine d'épuiser les sujets mais ne lèvent jamais toutes les ambiguïtés, qui sont admirablement construites sur des oppositions pour mieux approfondir chaque caractère, qui échappent à la théorie par les simples sons d'ambiance (neige qui tombe, eau de source qui coule) ou par les éclairages intérieurs révélant les personnages. Il est parfois dur d'escalader un relief mais une fois arrivé au sommet, quel point de vue sur le monde !