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Nightswimming - Page 18

  • Au revoir les enfants (Louis Malle, 1987)

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    Très longtemps attendu avant de le revoir, après sa découverte tout jeune, en salle, à l'époque, puis quelques occasions télévisées au début des années 90, il reste un Louis Malle magnifique, très éloigné de l'académisme mémoriel que l'on peut redouter. On n'y trouve aucune facilité de reconstitution, personne n'écoutant par exemple tel discours sur un vieux poste de radio, ni aucun mot d'auteur surligné nostalgiquement. Certes, le cadre strict du collège catholique joue beaucoup mais encore fallait-il s'y tenir, ce que fait la mise en scène, à la fois dure et empathique, calme et énergique, rigoureuse et surprenante, à l'image en fait de cet univers qui contraint en même temps qu'il laisse passer la vie.
  • Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce 1080 Bruxelles (Chantal Akerman, 1975)

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    Je n'avais que trop tardé à découvrir ce qui est dorénavant le "meilleur film de l'histoire du cinéma", mise en scène du temps réel absolument fascinante. Les 3h21 sont déroulées en une première moitié réglée puis une seconde déréglée, la construction est mathématique, avec des effets de symétrie et des changements d'angles à 180° ou à 90° qui ne sont rien et deviennent des séismes. Cependant, la soupe fume vraiment et c'est bien le bruit des talons de Delphine Seyrig qui rythme les déplacements comme ceux des portes et des interrupteurs induisent les coupes dans les plans. On voit (et on entend) tout ce qu'ont pu en tirer ensuite Haneke, Van Sant, Tsai, Puiu etc., mais le film qui m'est venu à l'esprit tout le long, en parallèle, c'est étonnamment "Shining", avec les images géométriques d'ascenseur, de couloir, de pièces, les motifs de décoration, les jeux de couleurs, le mystère des portes fermées et les visites fantomatiques, le miroir et le meurtre : cet appartement du 23 Quai du Commerce c'est l'hôtel Overlook.

  • Esterno Notte (Marco Bellochio, 2022)

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    Toujours la politique, les fantômes, la folie, et puis cette idée de ressassement, très bien exprimée à travers ce choix du passage d'un personnage central à un autre au fil des épisodes, provoquant des retours d'images jamais tout à fait identiques, un glissement général qui caractérise aussi les scènes elles-mêmes presque toutes étonnantes dans leur déroulement et une véritable incarnation de toutes les figures, un travail sur le jeu, un approfondissement, alors qu'un récit linéaire et choral aurait pu donner l'impression d'une simple succession de numéros d'acteurs.

  • Divers, mars 2023

    Des trois films actuellement en salles vus cette semaine, celui que j'ai le plus apprécié était évidemment celui non prévu au programme. "En plein feu" (Quentin Reynaud, 2023) ** est en effet plutôt bon, dans le genre film-catastrophe de chambre, ou d'habitacle, et même lorsqu'il s'agit d'en sortir. En équilibre entre cadre étroit et extérieur vaste, entre réalisme et fantastique, il n'est pas totalement abouti mais en tout cas étonnamment prémonitoire. Dussolier et Lutz, ça fonctionne (si bien que ça me donne envie d'aller voir en amont de la carrière de Lutz).
    A part ça, trouvé "Goutte d'Or" (Clément Cogitore, 2023) ** intéressant mais très inégal, exactement à l'image de la performance de Karim Leklou, assez convaincant dans le désarroi mais insuffisant pour faire croire à une réelle emprise de son personnage de charlatan sur les gens qu'il arnaque (les séances de voyance sont du coup trop longues et redondantes).
    Quant à "Empire of Light" (Sam Mendes, 2022) *, c'est très beau pendant dix minutes, puis ça croule de plus en plus sous les clichés du mélo inter-racial dans lequel aucun personnage secondaire ni aucun lieu ne vivent en dehors du couple chargé de délivrer le discours plombant du réalisateur, celui-ci ne manquant pas, cerise sur le gâteau, de nous bassiner avec la sempiternelle magie-du-cinéma. Aussi léché que pénible.

  • Les Fiancées de Rome (Luciano Emmer, 1952)

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    "Les Fiancées de Rome" est un joli film choral de Luciano Emmer, qui, faisant les portraits de trois jeunes femmes collègues et amies (Lucia Bosè, Cosetta Greco et Liliana Bonfatti), s'étend géographiquement et socialement avec une belle souplesse narrative (ce qui rend l'usage de la voix off d'un "observateur" de leur vie quelque peu superflu). Liant pertinemment l'horizon commun du mariage au problème du logement, c'est aussi un film féministe, l'attachement se faisant sans souci à ces trois filles sensibles, fortes et intelligentes, alors que les hommes papillonnant autour se révèlent calculateurs, machistes ou transparents... jusqu'à l'arrivée dans le dernier quart d'heure du chauffeur de taxi sympathique et désintéressé Marcello Mastroianni, dont la présence semble soudain, presque magiquement puisque sans intervention directe, provoquer chez ses congénères masculins des comportements enfin acceptables.

  • Tar (Todd Field, 2022)

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    Lignes de portée et lignes architecturales de "Tar" qui aident à mieux écouter et à mieux regarder... Et une fois installée cette mise en scène des sons et de l'espace, les pincées de fantastique peuvent produire leurs effets sans perdre en cohérence. Cate Blanchett saisissante.

  • La Sorcellerie à travers les âges (Benjamin Christensen, 1922) & Les Sorcières d'Akelarre (Pablo Aguero, 2020)

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    Après avoir regardé "Les Sorcières d’Akelarre" dans l’optique de quelques présentations aux lycéens, j’ai eu la furieuse envie de revoir "La Sorcellerie à travers les âges". Évidemment, tout est déjà dans ce film "total" sinon définitif, entre documentaire et fiction. Plutôt que des images scandaleuses, on perçoit aujourd’hui des visions surréalistes et des réminiscences des diableries de Méliès, alors que la démarche est vraiment historique. Aussi étonnants : la construction, l’emploi du"je" et l’idée de représentation qui tient tout le film. Représentations picturales à travers l’histoire, représentation cinématographique et mise en abyme, avec d’une part, la vieille femme qui raconte le sabbat à l’inquisiteur tel qu’il veut l’entendre et nous le voir (pour stopper la torture et non, comme chez Aguero, pour gagner du temps et séduire le tortionnaire, comportement si peu crédible) et d’autre part, l’une des actrices du film, désignée ainsi, qui "teste" devant la caméra l’un des instruments de torture. Christensen modernise le sujet et se place tout aussi clairement du côté des femmes victimes de l’oppression insensée. On est loin de l'histoire de sororité facile, esthétisante, artificielle et sans doute anachronique du film de 2020.

  • Paris est toujours Paris (Luciano Emmer, 1951)

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    Treize ans avant "Bande à part" et sa course dans le musée : sans doute la visite le plus rapide du Louvre dans "Paris est toujours Paris" de Luciano Emmer. Le groupe d'Italiens est déposé à l'entrée par leur bus et récupéré à la sortie. Nous, on reste à l'extérieur pour suivre en un seul plan le trajet du bus d'un point à l'autre, avec uniquement la voix off du guide qui fait visiter au pas de charge à l'intérieur. La séquence dure moins d'une minute. Godard a sûrement dû voir ça à l'époque.
    Par ailleurs, le film est sympathique mais un peu trop touristique (même s'il se focalise sur le côté Paris by night, entre cabarets et troquets louches, avec deux chouettes séquences de tour de chant d'Yves Montand), choral mais plutôt soumis au régime des sketches, réaliste mais handicapé par le fait que presque tous les personnages parisiens parlent soit français avec un accent italien prononcé, soit carrément italien, même entre eux.
  • L'Ange ivre (Akira Kurosawa, 1948)

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    Dans "L'Ange ivre", les contre-plongées en extérieur, c'est le point de vue du cloaque, ce qui permet quand même, de temps en temps, de voir un coin de ciel. En intérieur, les angles choisis, jamais neutres, donnent à sentir le poids des décors et des objets. La mise en scène hyper-expressive de Kurosawa étonne toujours parce que son dynamisme ne vient pas seulement de ces choix visuels forts mais aussi de la vérité des gestes et des humeurs, de leur imprévisibilité, ainsi que des mouvements continus entre des pôles opposés (entre les personnages, entre les genres), le tout déroulé avec fluidité, notamment grâce à l'usage très moderne de la musique, le plus souvent diégétique.

  • Babylon (Damien Chazelle, 2022) & Othon (Jean-Marie Straub & Danièle Huillet, 1970)

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    Hier, j'ai fait un babylonothon. C'est très particulier : il s'agit de voir le même jour "Babylon" de Damien Chazelle et "Othon" de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. C'est usant mais ça fait du bien au corps et à l'esprit. Le but, c'était de tenir le plus grand écart possible, entre le trop-plein et le trop-vide, avec deux films qui plongent dans le passé mais en insistant sur leur réalisation au présent et en affrontant bravement l'anachronisme (les thèmes, le style, la caractérisation des personnages de "Babylon", l'environnement et les accents d'"Othon"), deux films qui posent le problème du décor autour des personnages, à admirer ou dont il faut faire parfois abstraction (les figurants dénudés qui gesticulent dans les fêtes ou la circulation automobile dans Rome). L'un veut tout dire, au risque de frustrer sur certains points aussitôt abandonnés, l'autre ne veut donner que le texte de Corneille mais en laissant penser que beaucoup plus de choses se jouent là, dans son déplacement en 1969. L'un est strié de "fuck", "dick", "pussy" significatifs, l'autre perd régulièrement son intelligibilité à cause de l'environnement, la monotonie, le débit, les accents. J'ai vraiment bien aimé le premier, qui cueille d'entrée et qui tente d'agripper jusqu'au bout son spectateur par un régime de courtes pauses et de longues accélérations (parfois avec des coups en-dessous de la ceinture mais, parmi de nombreux moments excessifs, difficile par exemple de ne pas être ému par les dix dernières minutes), et je n'ai pas du tout détesté le second, qui demande beaucoup de temps d'adaptation pour y trouver sa place. Ce qui me fait rire, en revanche, c'est le récent "Conseil des Dix" des Cahiers avec la farandole d'étoiles offertes à "Othon" (comme le diadème de l'Empereur, sans doute) et la pluie de points noirs jetés sur "Babylon" (comme le caca de l'éléphant, probablement).