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Paranoid Park

(Gus Van Sant / Etats-Unis / 2007)

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Après Gerry, Elephant et Last days, un très grand film, pour souffler un peu.

Faut-il d'abord s'excuser d'aimer Gus Van Sant ? Faut-il s'excuser de penser que oui, effectivement, ce virage pris par l'américain il y a 5 ou 6 ans est à l'origine de la série de films la plus fascinante que j'ai vu ces dernières années ? Faut-il préciser que je me fous du culte qu'une certaine critique lui voue ? Faut-il asséner : "Non, je ne suis pas une groupie aveugle, je ne suis pas un fan enamouré" ? Faut-il dire que je ne lis plus Les Inrockuptibles depuis plus de dix ans ? Pour moi, Van Sant vient de faire deux films remarquables (Gerry et Last days) et deux films bouleversants (Elephant et Paranoid Park). Dernièrement, aucun autre cinéaste ne m'a touché autant.

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Cette fois-ci, nous suivons donc Alex, lycéen adepte du skateboard. Un soir, sur une voie ferrée longeant le Paranoid Park, lieu de retrouvailles pour les meilleurs skaters du coin, Alex tue accidentellement un veilleur de nuit. En fait, nous ne suivons pas Alex, nous sommes ballottés au rythme de ses divagations. Collant ainsi à sa vision des choses, pendant longtemps, le film tourne autour du pot comme Alex rechigne à nommer ou visualiser ce qui s'est passé. Le récit avance par bribes, par chevauchement, par allers-retours. Des dialogues reviennent. La chronologie est bousculée. Les jeunes gens d'Elephant tournaient en rond dans les couloirs de leur lycée; ici c'est toute la narration qui tourne et qui se rapproche de plus en plus de ce qui doit bien, au bout d'un moment, être représenté. Bien que le temps soit élastique, il y a donc tout de même un avant et un après, pour nous, exactement comme pour Alex (et si il l'oublie, la photo du corps que lui tend l'inspecteur le lui rappelle).

Comme dans Elephant, la sensation de flottement est continue. La variété d'utilisation des ralentis (leurs compositions et leurs effets), l'extraordinaire travail sur le son, la beauté du cadre et de la lumière (Christopher Doyle piqué à Wong Kar-wai), tout cela donne à nouveau vie à une oeuvre qui n'est que sensations. Van Sant filme les parents de dos ou dans le flou de l'arrière plan et brise la narration par de purs moments esthétiques : cette scène de douche ou ces plans de skaters dans les rues (le premier qui parle de clip vidéos prend la porte !). La dernière fois que j'ai eu l'impression d'être à ce point dans la tête de quelqu'un, c'était, par des moyens bien différents, dans Keane, le formidable film de Lodge Kerrigan.

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Ne pas chercher de message, encore moins de causes, il n'y a que des signes. L'effroi qu'éprouve Alex (et l'oubliera-t-on jamais cette scène choc, autant pour cette moitié de corps que pour ce regard indéchiffrable et sidéré lancé par l'adolescent ?), cet effroi débouche plus sur du trouble que sur de la culpabilité bien lisible. Gus Van Sant est avec ces personnages, à leurs basques, à leurs côtés. Il les magnifie parfois. Mais le monde est tellement difficile à appréhender, l'horreur et la violence tellement difficile à expliquer, que l'on peut juste attendre que cela passe en regardant ces corps se mouvoir avec grâce. Ce cinéma participe d'une fascination envers l'adolescence comme celui de Larry Clark ou d'autres films tels Virgin suicides ou Ghost world.

Et il y aurait encore à écrire sur les non-dits (le dialogue avorté à propos de l'Irak), les ouvertures laissées au spectateur, le rôle de l'écriture, le sublime personnage de l'amie d'Alex (qui lui propose de coucher sur le papier ce qu'il ne peut pas exprimer autrement), la musique (et un hommage discret à pleurer au regretté Elliott Smith)... Sans doute faudra-t-il que Van Sant passe bientôt à autre chose. Pour l'instant, il réalise parfaitement mon désir de cinéma : celui d'un voyage à l'intérieur, d'une grande beauté visuelle.

PS : Arrivant plusieurs semaines après la bataille, je vous invite à lire d'autres points de vues, sur Matière focale, chez le Dr Orlof, chez Dasola et sur Sounds of the Foehn. Et un beau collage de Joachim.

Photos : Allocine

Commentaires

  • "Faut-il d'abord s'excuser d'aimer Gus van Sant ?" Non. Il ne faut jamais s'excuser d'aimer... pour qui que ce soit.

  • Bien sûr, c'était une façon de parler. Quand Almodovar touche profondément un grand nombre de spectateurs, on dit qu'il a enfin atteint le grand public. Quand c'est Van sant, on dit qu'il est à la mode...
    Plus sérieusement, devant des connaissances moins intensément cinéphiles, il n'y en a qu'une à propos de qui on se sent presque obligé de "s'excuser" d'aimer les films, c'est Catherine Breillat. Mais c'est une toute autre histoire.
    J'en profite pour rajouter à la fin de ce texte un petit lien te concernant, à propos d'une de tes notes sur Van Sant qui m'avait beaucoup plu.

  • Il y a cet autre très beau texte: http://nunozu.blogspot.com/2007/12/pur-cinma.html

    Moi aussi, le nom de réalisateur que j'ai vu le plus souvent sur un écran ces dernières années, c'est Gus van Sant ayant toujours eu le vice d'aller revoir ses films. Sans compter la découverte de Mala Noche qui en quelque sorte, boucle la boucle car instaurant les prémisses de sa veine expérimentale abandonnée dans les films "indépendants" ou "hollywoodiens".

  • Ce Paranoïd Park m'a aussi beaucoup touché. Tu as raison de dire que l'introspection est ici magistralement effectuée, et la scène de la douche m'a personnelement bluffé. Oui j'aime Gus van Sant (sauf que j'ai été déçu par Last days... mais bon) et je l'assume parfaitement :)

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