(Paul Morrissey / Etats-Unis / 1972)
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Au sein de la production underground new yorkaise des années 60/70 chapeautée par Andy Warhol, les films réalisés par Paul Morrissey sont réputés comme étant les plus accessibles, intégrant quelques règles établies de narration et de technique que refusait d'utiliser le maître de la Factory dans ses propres oeuvres. Heat a l'aspect chaotique d'un documentaire avec l'enregistrement du son en direct (on entend régulièrement la circulation aux alentours du motel) et une lumière naturelle. Le découpage des séquences se fait plus volontiers à l'intérieur des plans, à coups de zooms et de recadrages, que par un montage classique. Les images ainsi captées à la volée peuvent laisser l'impression d'un style approximatif, bien que l'on remarque de ci de là d'évidentes compositions plastiques.
Dans Heat, Paul Morrissey se penche sur Hollywood, côté cour. Il s'attache à des paumés, des marginaux, des has been, qui gravitent autour de la piscine d'un motel de Los Angeles, tenu par une grosse patronne aussi perverse que ses clients. Parmi ces artistes, apprentis-stars qui ne font plus la différence entre cinéma, télévision et shows érotiques, débarque Joey, un ex-enfant vedette, de retour de l'armée et d'autres galères. Arriviste mais sans trop faire d'efforts, il séduit la mère de sa voisine, actrice sur le déclin, riche et encore désirable.
Le film ne cesse de se référencer au temps du glorieux Hollywood. Pendant le générique, on voit Joey se promener au milieu des décombres d'un vieux studio en démolition. L'ombre des stars du muet et des grands producteurs plane sur des villas devenues trop grandes. Les excès sentimentaux des protagonistes évoquent le mélodrame de la grande époque. Mais Morrissey insiste bien sur l'envers du décor, se focalisant sur son petit peuple de loosers, montrant en particulier ce qui était peu ou pas dévoilé alors : appât du gain, folie et, surtout, frasques sexuelles. De ce point de vue, Heat n'est pas un film piqué des hannetons et comme dirait l'Office Catholique, des images peuvent heurter. Le cinéaste joue autant avec les codes des genres cinématographiques qu'avec la censure, la limite avec le hard ne tenant guère qu'à la mince épaisseur d'un tissu qui ne cache pas grand chose de la forme se trouvant dessous. Ces scènes-là sont d'autant plus surprenantes qu'elles sont traitées avec le même naturel que le reste, allant parfois jusqu'à des plaisanteries hardies.
C'est que, autre sujet d'étonnement, l'humour est constant. Certains dialogues sont franchement hilarants. On n'oubliera pas la réflexion de la mère à sa fille, fâchée que cette dernière vive avec une femme : "Tu n'es pas lesbienne, c'est provisoire" (et de fait, cela se révélera vrai); ni l'échange avec l'ex-mari, vivant lui avec un homo : "- Je ne veux plus que tu donnes tout mon argent à ce Jockey. - Il s'appelle Joey." Si l'esthétique à l'oeuvre, peu gratifiante, lasse parfois, elle porte cependant ses fruits lors des nombreuses scènes de ménage, assurément les meilleurs moments du film.
Monstrueux ou touchants, les personnages semblent se confondre avec les acteurs hors-normes qui les incarnent. On sent une inégalité de jeu entre eux et à l'intérieur des registres de chacun, mais tous assument leur caractère tête brûlée. Joey c'est Joe Dallesandro, qui traverse le film en faisant converger tout les regards sans faire grand chose, magnifié en maillot de bain par une mise en scène qui doit beaucoup à l'imagerie gay. Sous sa longue chevelure, il est assez magnétique.
Commentaires
Tiens, j'ai aussi chroniqué les trois films de la trilogie Morrissey et je suis relativement d'accord avec ta critique, à cette nuance près qu'il me semble que cet opus est le plus "narratif" des trois (donc le plus éloigné du cinéma de Warhol) et le plus "clean" aussi (je ne me souviens pas d'images choquantes et "Heat" me paraît très éloigné du "hard". A moins que je finisse par m'habituer et que plus rien ne me choque?)
Merci pour ces précisions par rapport au deux autres. En fait, d'une part, j'ai peut-être utilisé des formules maladroites et d'autre part, je n'ai vu ni "Flesh" ni "Trash" (ni aucun Warhol).
Tu as tout a fait raison, la construction du film est tout à fait classique. On suit le récit très normalement, d'autant plus que, comme je l'ai dit, il joue avec les codes du mélodrame. Cela dit, "Heat" appartient toujours, par bien d'autres aspect, au mouvement underground.
D'autre part, je n'ai pas été choqué moi non plus. Le spectateur un minimum cinéphile en a vu bien d'autres depuis quinze ans, même en se cantonnant au cinéma "traditionnel" (en réfléchissant à ma réponse, je me disais que le cinéma de Larry Clark, que j'aime énormément, semble devoir pas mal de choses à celui de Morrissey). Je voulais juste faire comprendre que deux ou trois scènes de "Heat" le réservent à un public averti (du genre, tu te rappelles peut-être de ça, à faire dire à Chrétien-médias, à l'époque où Télérama reprenait leurs recommandations à propos de chaque film passant à la TV : "Non"). Quand le blondinet à moitié idiot se masturbe à côté de son frangin et devant la voisine, qui bientôt l'aide très gentiment, le fait qu'il garde sa longue chemise, le tissu bien autour du sexe en érection, ne cache pas grand chose, d'autant plus que Morrissey insère quelques plans très rapprochés. Là, on est quand même pas dans "Pauline à la plage"... C'est en ce sens que je parlais de limite avec le porno. Morrissey a contribué avec quelques autres à ouvrir les brèches dans lesquelles s'engouffrent aujourd'hui plusieurs cinéastes quant à la représentation du sexe à l'écran.
Pour les petits curieux, le très agréable site dvdbeaver.com, dans son compte-rendu des dvd de la trilogie Flesh/Trash/Heat, montre, à partir d'une capture d'écran tirée du premier, le "first erected penis in a non-pornographic movie".
Sur ce, je file lire ta prose sur Morrissey.