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Les trois singes

(Nuri Bilge Ceylan / Turquie / 2008)

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troissinges.jpgSi l'on se base sur ses trois derniers longs-métrages, Nuri Bilge Ceylan, metteur en scène à la précision maniaque et photographe hors-pair, réalise des films à admirer mais peu aimables. Le problème, c'est qu'ils le sont de moins en moins d'un titre à l'autre (je ne suis pas le seul à penser cela). En 2002, Uzakfinissait par séduire par sa façon de laisser filer l'inattendu au coeur du trivial, prenant ainsi parfois un air de famille avec le cinéma de Tsai Ming-liang (le burlesque naissant de l'étirement du temps et du confinement des personnages), et par ses contemplations extérieures (images de toute beauté d'Istanbul sous la neige). Creusant plus profond encore le sillon de l'intime, Les climats (2006), malgré ses incroyables plans rapprochés sur les corps et les visages, peinait à s'affranchir du vide et de l'attente.

L'annonce d'un nouveau projet au sujet de film noir (un homme politique écrase un quidam, demande à son chauffeur de prendre sa place en prison et séduit la femme de celui-ci) laissait espérer l'épanouissement de la même force plastique à partir, cette fois-ci, d'une assise narrative plus solide. Malheureusement, dans Les trois singes (Uc maymun), notre homme a encore décidé de ne filmer que les creux de son histoire. Dans tous les sens du terme, puisqu'il a une manière unique de rendre palpable la pluie ou la chaleur et qu'en même temps, il scrute, selon la formule consacrée, les visages comme des paysages, Ceylan est un cinéaste météorologique. Or, chez lui, on voit les nuages menaçant qui s'amoncellent ou les trombes d'eau qui s'abattent, mais jamais l'orage en lui-même. Mettant un point d'honneur à masquer les principaux événements, il cantonne des meurtres dans le hors-champ et nous jette dans des discussions déjà entamées, dans lesquelles l'enjeu a déjà été formulé sans nous (nous devons par conséquent rattraper le retard, le temps de deux ou trois phrases, pour saisir enfin la teneur réelle des propos échangés). Autres procédés tout aussi déroutants : deux actions nous apparaissant parfaitement liées par le montage peuvent se révèler finalement largement séparées dans l'espace et le temps et un plan s'étirant plus que de raison peut retarder l'arrivée d'un contrechamp d'autant plus surprenant que l'on ne l'attendait plus. Certes, cela peut agir comme stimulant. Certes, les signes de la maîtrise ne manquent pas (caches, cadrages et sur-cadrages, irruptions du fantastique, rareté farouche des dialogues). Mais on finit par étouffer.

La proximité des corps nous donne au départ l'envie d'aimer ces personnages. Seulement, les compositions graphiques incessantes, mêlant la trivialité à la photogénie, la volonté, via les innombrables gros plans, de ne laisser aucune échapatoire à quiconque, le maintien d'une terrible chape de plomb pesant sur le triangle familial affligé et inerte pendant toute la dernière partie, finissent par rendre pour ainsi dire claustrophobe. Ceylan nous épuise à ne filmer que des temps morts qui veulent symboliser le sort peu enviable de l'humanité entière. La pente qu'il suit actuellement le mène droit vers un cinéma qui ne se nourrit que de sa conscience d'oeuvrer dans les hautes sphères artistiques, un cinéma mortifère. Et j'ai bien peur qu'il ne prenne le prix de la mise en scène reçu au dernier festival de Cannes pour un encouragement à poursuivre dans cette voie.

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