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Gran Torino

(Clint Eastwood / Etats-Unis / 2008)

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grantorino.jpgA partir d'un sujet brûlant (et d'une affiche trompeuse) qui faisait frémir, compte tenu du peu que l'on en savait, Eastwood signe son meilleur film depuis Million Dollar Babyet son rétablissement apparaît d'autant plus spectaculaire qu'il se fait sur un terrain glissant. Délaissant les lourds échafaudages du type Mémoires de nos pères ou L'échange, il privilégie la simplicité tout en tissant un maillage scénaristique serré qui aboutit à une réelle profondeur. Loin d'être le film de revanche attendu, Gran Torino est tout d'abord une histoire de voisinage au service de laquelle le cinéaste met sa science des lieux, donnant vie à un quartier en apparence des plus banals.

Chacun le sait maintenant, Eastwood campe un Walt Kowalsky veuf et raciste, ne supportant pas sa famille, ni ses voisins asiatiques. Le fait qu'il se mette en scène lui-même est nécessaire au maintien de l'équilibre du film, qui serait impensable avec un autre acteur. Car Eastwood ne cesse de jouer avec son image de Dirty Harry en bout de course, fonçant crânement vers la caricature à grands coups de grimaces dégoûtées, de grognements, de crachats et d'injures. Il est impossible de prendre ces actes et ces propos pour argent comptant, le regard est trop ironique. Et s'il fallait une preuve supplémentaire de sa volonté d'éviter le malaise, elle tiendrait dans les rapports que le personnage entretient avec ses amis, qu'il traite également (et réciproquement) de tous les noms. Eastwood s'interroge avec pertinence sur une question éminemment complexe : la différence entre une vanne xénophobe renvoyée entre partenaires "consentants et avertis" et l'attaque haineuse envers les étrangers et la possibilité d'un glissement de l'une à l'autre. Le long d'un scénario magistral par sa manière de faire évoluer le personnage principal, tout semble mûrement réfléchi afin de ne tomber ni dans l'abjection ni dans l'angélisme et le politiquement correct.

L'histoire de Gran Torinoest celle d'un esprit qui vacille soudain au contact de l'autre. Le cinéaste revient à ce qu'il a réussi de mieux ces dernières années : la description sensible de rapports transgénérationnels. L'humour et l'émotion y ont les meilleures places. Certains reprochent à Eastwood son geste de rachat envers un sale raciste : ceux-là ne se gênent donc pas pour reprendre à leur compte ("un salaud restera toujours un salaud") le regard que peut avoir un tel individu ("un niaquoué restera toujours un niaquoué"), niant toute possibilité de changement. Ici en tous cas, l'étranger n'est ni meilleur, ni plus sympathique, mais il se révèle plus proche que la famille elle-même. Pour Kowalsky, la prise de conscience est rude. Dès lors, ses saillies perdent de plus en plus en agressivité et elles ne subsistent que sur un mode comique. Lui-même n'y croyant plus, elles ne lui servent plus que de paravent transparent. Fort habilement, elles ressortiront avec plus de vigueur lors du dénouement, mais dans un tout autre but puisqu'il s'agira alors de provoquer une certaine réaction.

Walt Kowalsky sait que son premier geste salvateur, que ses voisins jugent héroïque, a été mal interprété et résultait de la plus basse défense de son petit territoire. Il sait aussi qu'en agissant ainsi, en protégeant par la force cette famille, il entraîne tout son monde dans un engrenage. En usant de l'intimidation, il ne fait que ce qu'il sait faire. Pour briser le cercle vicieux, il lui faudra imaginer autre chose. On le verra donc réfléchir longuement. Bien des fils sont tirés pour nous mener vers un final sacrificiel : expiation des pêchés commis par le passé, mise en application d'une nouvelle conscience, probabilité d'une mort prochaine par maladie, recherche de la seule issue légale possible... Ainsi bétonnée, difficile de ne pas accepter la chose. "Je suis l'homme de la situation" dit-il avant l'affrontement. Mais le plaidoyer pour l'auto-défense qui semblait nous pendre au nez est totalement retourné. Quand la manipulation du spectateur se fait dans ce sens, il n'y a rien à redire.

Mouvance du paysage et des populations américaines, impasse du communautarisme, dangers du repli sur soi et du manque de culture, difficultés sociales... Je pense que ce qui gêne les éternels adversaires d'Eastwood, c'est seulement le fait que ces vérités soient dîtes par un Républicain notoire.

Commentaires

  • Ah! Ah! Tu as été plus rapide que moi... Je laisse planer le suspense jusqu'à demain...

  • Je suis dans les salles dans 45mns, je reviens commenter dès ce soir...

  • Hé Hé, j'attends avec impatience des nouvelles de vous deux...

  • Bravo Ed, excellente critique, je n'y vois rien à redire. Une seule petite chose : L'Echange était un projet bien plus ambitieux, avec une mise en scène largement supérieure. Gran Torino est un très bon film (dans un cru 2009 qui part sur les chapeaux de roues), ce n'est pas le meilleur de Clint depuis MDB.
    Quand je vois le nouveau contrepied de Eastwood sur la self-defense, je suis hilare - surtout en pensant à ce bon vieux Dr qui avait vu cette apologie dans L'Echange. Mais je garde mes piques pour sa chronique du lendemain.
    Eastwood confirme qu'il est le meilleur réalisateur en exercice (selon moi).
    Mais chaque année, pas de chance, un film le surpasse. Cette année - février 2009 seulement - c'est le magnifique The Wrestler...

  • Edit. : sans compter que, en matière de gros échafaudages, il me semble que MDB (que je défendais et défends toujours) remporte la palme.

  • Julien, je ne reviens pas sur notre petit désaccord par rapport à L'échange.
    "Gros échafaudages", j'entendais par là : construction narrative alambiquée et, à mon sens, lourdingue des deux titres cités, par opposition à la linéarité de "Million", "Iwo Jima" et ce dernier.
    J'ai failli donner moi aussi, dans ma note, un petit coup de coude au Doc par rapport à cette histoire d'apologie de self-defense, mais chut... attendons demain.
    Sinon, je la sens également plutôt pas mal cette année 2009 (pas encore vu The Wrestler).

  • Je ne me souviens pas de notre désaccord sur l'Echange, mais je me souviens bien des énormités du bon Dr et de la suffisance lapidaire de Ludovic. Ce que j'aime chez Eastwood, c'est cette classe naturelle, cette grande ambiguïté et cet art consommé du contrepied. J'ai comme l'impression que certains ne sauront plus sur quel pied danser en tentant une fois de plus l'exégèse politique du film. Mais bon, on devance un peu les débats là.
    Cours voir The Wrestler. Je n'en dis pas trop pour éviter l'effet déception mais c'est vraiment à voir (surtout si on sait que c'est ce gros pompier de Darren A. qui l'a réalisé : je n'ai rien aimé de ce qu'il a filmé jusqu'à présent).

  • Ma note de "L'échange" rendait mon impression mitigée. Rapidement : la première partie et l'enquête m'avaient plu, mais pas les séquences de l'asile ni celles de procès. Et toute la fin jouait trop, selon moi, avec les sentiments du spectateur. Le tout restait quand même de belle facture.
    "The wrestler", j'irai (mais pas tout de suite) d'autant plus libre d'esprit que je n'ai jamais vu aucun film d'Aronofsky.

  • C'est bien ce que je disais : nous n'avons pas de désaccord profond sur l'Echange, je l'estime plus que toi et c'est pour moi l'un des grands films de 2008, mais c'est tout.
    Pour cette année cinéma, j'ai déjà 3 films en haute position, le top ten sera difficile (et c'est tant mieux !)...

  • Ca y est : j'ai lancé mon pavé dans la mare des louanges! (sur "matière focale" aussi, on est plus réservé). Je te laisse découvrir ma note mais je crois que notre principal désaccord se situe au niveau du scénario que je ne trouve absolument pas "magistral" mais, au contraire, extrêmement téléphoné et cousu de fil blanc. Eastwood ne parvient pas à faire autre chose de ses personnages que des symboles (les bons "niakoués" contre les mauvais, le "raciste" qui devient le "sacrifié" etc) et sombre, après une partie "comique" plutôt réussie, dans la pire bien-pensance et la mièvrerie manipulatrice...

  • Ce n'est donc pas avec ce film-ci que l'on va se réconcilier sur l'ami Clint. A vue de nez chacun va camper sur ses positions de l'époque de MDB. Je suis tout à fait prêt à brandir l'étendard de l'Eastwoodisme. Et juste pour Julien, j'ai vu aussi "The wrestler" (période faste) et je suis plus mitigé, en tout cas je met "Gran Torino" nettement au dessus. j'essayerais de m'en expliquer sous peu.

  • Doc et Vincent, mes réponses dans vos boîtes aux lettres respectives, après avoir lu vos articles.

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