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Harvey Milk

(Gus Van Sant / Etats-Unis / 2008)

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harveymilk.jpgL'affaire était mal engagée : une bande annonce à faire fuir ("Par le réalisateur de Will Hunting" claironne le distributeur, conscient que les amateurs de Van Sant vont, de toute manière, aller voir le film et qu'il faut cibler plutôt ceux qui ne connaissent que ses travaux hollywoodiens), une affiche moche, la lecture en biais, sur mes supports papiers favoris, de deux ou trois articles positifs mais étrangement mollassons et, pour enfoncer le clou, un double assassinat, chez le Dr Orlof et chez les critiques poètes de Matière Focale. Il fallut la semaine dernière l'insistance d'un ami et la découverte de belles notes chez Anna, Shangols et Rob Gordon pour me redonner l'envie nécessaire.

C'est entendu, Harvey Milk (Milk) n'est pas un biopicrévolutionnaire. Mais telle n'est pas son ambition. Gus Van Sant joue le jeu et reprend la plupart des éléments narratifs traditionnels du genre : la voix off, le déroulement chronologique mais dans la connaissance du dénouement, la précision des dates et des lieux, la succession finale de cartons résumant la suite des destins individuels, l'alternance et l'opposition entre vie publique et vie privée, le resserrement des enjeux dramatiques autour d'un combat particulier symbolisant tous les autres (la lutte contre la Proposition 6 d'un sénateur visant à exclure les enseignants homosexuels des écoles américaines)... Le cinéaste ne dynamite pas la biographie mais il l'allège et la dynamise. La mise en scène reste d'une fluidité admirable (l'insertion de nombreuses images d'archives est parfaite) et les très légers décrochages que l'on observe ça et là font par moments, comme les quatre précédents, flotter le film en apesanteur. Ces moments sont brefs, disséminés dans un récit classique, mais ils suffisent à l'élever : c'est un générique de début admirable qui pose avec force et grâce la situation des homos américains, c'est une discussion-séance photo entre Harvey et Scott où le petit chevauchement des voix sur des images fixes crée le décalage, c'est la focalisation régulière sur le visage de Milk, laissant l'arrière plan dans le flou, c'est l'énigmatique plan de Josh Brolin (mine de rien l'un des plus passionnants comédiens du moment), à moitié nu sur son canapé (plan qui pourrait sortir d'Elephant), c'est sa marche finale dans les couloirs de l'hôtel de ville (Elephant encore). Mais la réussite ne tient pas seulement à ces effets de signature. A ceux que les immenses Elephant et Paranoid Park ennuient, il faut dire qu'Harvey Milkest un film très vivant, et cela pas seulement grâce à la couleur locale et à l'exubérance que l'on peut imaginer. Les différentes étapes du parcours de Milk sont remarquablement emboîtées, chaque comparse (et ils sont nombreux) est installé fermement et le regard de Van Sant navigue avec la même pertinence de l'intime aux mouvements de foule (qui ne font jamais direction de figurants).

"L'activisme à la con" du héros est moqué par son amant, au début de leur relation. Si le cinéaste quitte quelque peu les rivages plus expérimentaux, il ne manque pas de s'inscrire dans le sillage des oeuvres hollywoodiennes les plus intéressantes parmi celles interrogeant les usages politiques. Les mécanismes du lobbying sont détaillés et débattus et l'accession au pouvoir s'accompagne inévitablement des recherches de compromis poussant jusqu'aux alliances contre-nature. Harvey Milkest le récit d'un trajet militant particulier. Que l'on puisse prendre l'activisme de Milk pour celui de Van Sant, à la limite, je m'en fous. Le fait est que pendant deux heures, j'ai vraiment marché aux côtés des gays de San Francisco et que j'ai été emporté par une histoire et un souffle.

Il va sans dire que le film est porté de bout en bout par un grand Sean Penn. Prodigieux, l'acteur n'a peut-être jamais été meilleur qu'ici, son maniérisme et son émotivité habituels servant merveilleusement le personnage. La quasi-totalité des cinéastes avec qui il a travaillé l'ont tiré vers le sol, vers une puissance de jeu bien ancrée, au risque de l'alourdissement. Van Sant, encore une fois, l'allège.

Que l'auteur de Last days, entre des phases de grande inspiration, continue à proposer des films mainstream de cette qualité, personnellement, cela me va très bien.

Commentaires

  • Plutôt d'accord avec toi, c'est ce que je soulignais dans mon commentaire au Dr : si le biopic n'est pas révolutionné, la très belle mise en scène et photographie finissent tout de même par nous séduire et (presque) nous convaincre. Pas si nul que décrit chez le Dr ou Matière Focale.

  • A l'occasion des braderies, oups... de l'opération "Printemps du cinéma", on se laisse à "rattraper" des séances. Pour ma part, j'en ai profité pour jeter un oeil à Harvey Milk ; parce que... "on en parle", et généralement "en bien" (dans la presse ; sur les blogs).

    Par précaution, je préfère préciser que, vu l'offre - assez pauvre - de l'industrie actuelle en "cinéastes estimables", j'ai une petite curiosité pour Gus van Sant, qui reste, selon moi, malgré les louanges excessives un réalisateur "honnête" ; n'ayant pas prouvé de manière concluante qu'il était "grand". Pour ma part, mes préférences vont à (Good) Will hunting, To die for (Prête à tout), Finding Forrester, et, éventuellement Elephant...

    Pour ce nouveau film, mon avis est beaucoup moins indulgent. Son Milk ne me remue absolument pas... Le film se déroule sans aspérité, sans "mystère", ni "magie" : tout est gagné d'avance. Les faits relatés (le parcours militant du personnage principal jusqu'à l'élection) sont racontés assez scolairement, pour ne pas dire platement. Etant entendu que le spectateur est par avance acquis à la Cause (la défense d'une minorité, ici, les "gays").

    Dans ce type de film, on peut toujours se demander pourquoi les auteurs préfèrent traiter un sujet "sensible" il y a vingt ans - et parfois cinquante, sinon plus - alors que tout est déjà joué, tandis qu'au moment où on raconte il y a d'autres sujets au moins aussi problématiques (l'immigration, la pédophilie, le trafic d'organes, la drogue).

    D'où l'impression que tout est prévisible. Pas de véritable enjeu dramatique : hormis la "proposition 6" (dont on devine qu'elle ne passera pas - c'est gros comme un... Elephant ?). Et, au plus le "conflit" Dan White (homo refoulé ? arriviste hypocrite ? "politiquement jaloux" ?), voire (pour ceux que ça passionne), la collection d'amants...

    Pour couronner le tout, question "mise en scène", on est vite déçu (on peut repartir... "la queue entre les jambes") : la narration (un récit récapitulatif) demeure très sage, préférant mettre en avant l'interprétation (plutôt convaincante, quoique légèrement appuyée) de l'acteur, et le sujet (le parcours militant du personnage principal). Des effets assez lourds : le téléphone "arabe", le ralenti devant la fenêtre au moment de s'effondrer, etc.

    Vu donc ce film, bien que "regardable" (mais plutôt "malhonnête", sur le principe) avec une légère indifférence...

    Cordialement.

  • Tout s'explique, père Delauche. Vous préférez le Van Sant des studios, vous avez été attiré par de bons échos et vous vous retrouvez déçu. Il est logique que moi, qui aime le Van Sant plus indépendant et qui ai eu de mauvais retours avant d'entrer dans la salle, je sois au final agréablement surpris.
    Certes le programme est connu d'avance. Mais justement, Van Sant l'assume, vu la façon dont il démarre son film, avec Milk et son magnétophone et l'annonce de son décès. Cela ne m'a pas gêné que la narration ne soit pas éclatée (et au moins, nous sont épargnés les flash-backs sur un événement-traumatique-lié-à-l'enfance-qui-expliquerait-tout).
    Quand un projet "classique" est ainsi annoncé ainsi dès le départ, au moins peut-on savourer les petits écarts qui le transcendent au fur et à mesure.
    Et puis n'aurait-ce pas été prévisible justement d'accumuler les "enjeux dramatiques", de donner une explication précise au geste de White par exemple ?
    Quant au sujet, le genre du biopic impose de lui-même ce décalage temporel et il est évident que le projet tenait à coeur à Van Sant depuis un bout de temps. De plus, on pourrait dire que le Gus peut être un cinéaste à grands sujets mais qu'il les traite de biais (les armes dans Elephant, la drogue, le désespoir dans Last days). Et ainsi, dans Milk, il traite d'un sujet sensible mais (mettons les guillemets qui s'imposent) "déjà réglé".
    Cordialement aussi.

  • Ce qui est curieux avec ce film, c'est son vide, alors précisément qu'il est plein d'un propos (politique, sociologique, biographique) - bien plus au fond que ses films comme Elephant ou Gerry qui avaient été ainsi qualifiés (de vides), et qui pourtant n'avaient pas de "propos" défini. Il y a une forme de transparence dans ce film, d'extériorisation toute politique qui appauvrit je trouve le film en lui-même.

  • Je ne sais trop quoi répondre à cela, à cette idée du vide chez Van Sant. Ou alors, je dirai qu'il travaille énormément la surface et que dans ses films les moins classiques, il laisse remonter le fond tout seul, alors que dans Harvey Milk les enjeux dramatiques sont beaucoup plus visibles.

  • Bonjour, je l'ai enfin vu hier soir (par hasard). La salle était pleine. Le film lui-même vaut pour Sean Penn (qui en effet excellent, son Oscar est mérité) et j'ai bien aimé l'atmosphère très "années 70" qu'a su reconstitué Gus Van Sant. Les documents aident beaucoup et s'insèrent bien dans le film. A voir. Bonne fin d'après-midi.

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