(Wes Anderson / Etats-Unis / 2001)
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La Famille Tenenbaum (The Royal Tenenbaums) ou la comédie américaine la plus surévaluée de la décennie.
Dès un prologue tant vanté, prenant la forme d'un album de famille déjantée et traînant déjà en longueur, la réussite technique et décorative soutient, sous couvert d'originalité, un bon paquet d'idioties. Nous sommes devant un cinéma de la vignette ironique. Chaque plan est autonome et du découpage ne naît aucune progression narrative. Anderson parvient même, à l'occasion du "morceau de bravoure" du film, à filmer un plan-séquence qui ne lie pas les différents groupes auxquels il s'intéresse mais semble les séparer en leur réservant des dialogues distincts sous forme de mini-sketch.
Chantre d'un certain humour décalé, le jeune cinéaste use et abuse des champs-contrechamps fixes donnant à voir soudainement, de manière totalement inattendue, des personnages impassibles, accoutrés bizarrement et placés dans un cadre improbable, généralement surchargé de couleurs criardes et de bibelots concentrant toute la nostalgie de l'enfance. Wes Anderson ne semble connaître que cette figure de style. De plus, 1h45 de slowburn, ça finit par lasser et par donner l'impression que le film dure 3 plombes, sans parler de l'uniformisation du jeu des acteurs. Pris dans ce glacis, les trois gags burlesques (la chute de Danny Glover, le coup de couteau donné à Gene Hackman et l'accident de voiture d'Owen Wilson) tombent à plat, ne provoquant aucun effet notable sur le spectateur endormi.
Chaque personnage n'est qu'un bloc. Seul celui d'Hackman évolue mais de façon totalement prévisible. Jusqu'au dernier quart d'heure, les protagonistes sont caractérisés par une unique tenue : Ben Stiller et ses deux garçons sont en survet' Adidas rouge (Ha Ha Ha !), Owen Wilson est en cowboy (Ho Ho Ho !), Luke Wilson ne quitte pas son bandeau de tennisman (Hi Hi Hi !)... A force de se décaler, le regard nous fait perdre tout contact avec le sujet et les personnages et l'humour devient incompréhensible.
La bande-originale nous fait voyager à travers les différentes époques de la musique underground et indépendante. Si remarquable qu'elle soit, au lieu de charmer, elle ne fait que souligner les petites manières du cinéaste, par la maladresse de l'emploi qui en est fait (enchaîner autour d'une séquence de tentative de suicide deux chansons des regrettés Elliott Smith et Nick Drake, quelle classe ! et puis c'est tellement plus subtil que de faire appel au répertoire de Kurt Cobain ou de Ian Curtis, n'est-ce pas...?).
Enfin, inutile de préciser que cette crise familiale ne fera que renforcer les liens et que tout le monde, au terme de cette histoire à l'eau de rose, se sera amélioré.
Si ça se trouve, il vaut mieux fréquenter les Familles Addams, Foldingue, Pierrafeu, Cucuroux, Duraton... que sais-je encore...
Merci (quand même) à Mariaque.
Commentaires
Ah non, pas toi !.... Décidément, ce Wes Anderson est un bon sujet d'empoignade (surestimé ? sous-estimé ? fétichisé ? sincère ? poseur ?), peut-être parce qu'aussi, ses films ne sont pas vraiment des comédies, au fond. A dire vrai, la famille Tennenbaum est le premier que j'ai vu de lui. Ca m'avait un peu désarçonné, mais ce n'était quand même pas rien. Pas un souvenir aussi net que les suivants (ou les précédents chronologiquement mais que j'ai vu après) que j'ai de plus en plus aimé, à chaque titre découvert. Pour tout dire, je pense l'exact contraire de Michel Ciment qui a osé dire que "chacun de ses films était pire que le précédent". Moi qui ne suis pas non plus friand du "cinéma-vignette", je trouve que là, elles respirent comme rarement (notamment par la musique que je trouve en rare adéquation avec le montage, moi qui n'aime pas trop non plus le cinéma juke-box). Bon, je ne vais pas chercher à te faire changer d'avis mais je suis quand même surpris que le tien soit si tranché... Sinon, je te conseille (quand même) "Les Berkman se séparent" réalisé par Noah Baumbach, son scénariste. Il n'y pas tout l'attirail et l'imagerie qui peut-être te gênent ici, mais j'y trouve une vraie grâce d'écriture, une mélancolie pop qui évoque aussi bien les nouvelles de Salinger que certains moments de Woody Allen.
"Les Berkman se séparent " est effectivement meilleur que "La Famille Tenenbaum": les acteurs sont plus fins, l'ensemble plus réaliste et donc l'objectif de douce mélancolie bien plus efficacement atteint. Il y a chez Anderson quelque chose de figé dans le décorum, d'accord avec toi. A la limite, le côté loufoque assumé de "Life Aquatic" fonctionne un peu mieux (une sorte de film-jouet), mais " Darjeling Limited" m'a vraiment agacé dans sa manière d'esquiver toutes les scènes difficiles de confrontation réelle entre les personnages (par ex. avec la mère, à la fin, hop on ferme les yeux et on passe un morceau des Kinks, c'est réglé, on s'est tout dit par télépathie...)
moi aussi, je l'ai vu ce film.
le cinéma indépendant américain c'est vraiment la plus grosse fumisterie de la décennie tellement y a pas plus conformiste derrière les apparats du non-conformisme. je me comprends.
Bon, je me joins à Joachim pour défendre le film. Je me souviens d'un bon moment même si le défaut du cinéma de Wes Anderson est son côté un brin évanescent : j'avoue qu'il ne me reste jamais grand chose de ce cinéma qui a pourtant beaucoup de charme...
Je fais une réponse groupée :
Peut-être que Wes Anderson est le cinéaste que "j'aimerai aimer". Je dis bien "peut-être" car ma connaissance est lacunaire, se limitant aux "Tenenbaum" et au "Darjeeling ltd". J'ai déjà parlé ici-même de ce dernier, du charme incroyable que dégageait son prologue et le début du voyage (sans doute était-il bien aidé par cette idée du voyage en train, mais Anderson déployait une mise en scène très fluide), mais aussi de cette manie de faire bifurquer le récit vers le sentimentalisme (je suis d'accord avec Sadoldpunk sur le manque de rigueur et de profondeur des dernières séquences). Je ne pense donc pas, contrairement à Ciment, qu'il signe des films de moins en moins bons. J'espère le contraire.
Pour les "Tenenbaum", je pense que c'est vraiment une comédie. Cela en a tous les signes extérieurs (il faudrait qu'Anderson se calme un peu sur le recours aux accoutrements décalés qui entravent jusqu'aux personnages du "Darjeeling"). Mais pour moi, dans ce film-là, ça ne prend jamais (je n'ai pas ri une seule fois, l'accroche de "Premiere" au dos du dvd est hallucinante : "On est secoué par le rire et l'émotion") et cela devient même désagréable : on se dit que le cinéaste nous force à penser "Je ne ris pas, mais c'est si intelligemment fait que c'est encore plus fort de ne pas en rire...". Voilà la raison de ma sévérité : absolument rien ne m'a accroché. C'est un film de "trucs", qui n'avance pas en termes de récit.
Toutefois, je ne rejoins pas le jugement de Christophe sur la "fumisterie" que représenterait le cinéma indépendant US, d’ Hartley à S.Coppola, j’y ai trouvé trop de "films amis" pour m’en détourner. Ma prochaine note sera d’ailleurs une défense de "Wendy et Lucy".
Enfin, "Les berkman se séparent" n’était pas vraiment un film que je mettais dans ma colonne "A voir" (je l’avais même oublié), mais maintenant, il y est.
Hartley je ne connais pas mais c'est les années 90 non ?
John Sayles faisait de beaux films à l'époque aussi.
C'est vrai, Christophe. Hartley a disparu sinon de la circulation du moins des écrans français depuis plusieurs années. De John Sayles : excellent souvenir de "Lone star".